Un livre qui me semble indispensable à lire pour défendre le droit de ne pas croire, de n'être assujetti à aucune religion, aucun dogme. Mais pas de façon passible, de façon revendicatif, à assumer le choix de ne pas se faire envahir par ses fanatiques durs ou mous, d'ailleurs, étant tous dangereux.
Ce livre est de François Cavanna qui s'intitule: "Lettres aux culs-bénits"
Je vous en livre la préface en guise d'amuse-bouche.
Avant
tout
Lecteur, avant tout, je te
dois un aveu. Le titre de ce livre est un attrape-couillon. Cette « lettre
ouverte » ne s’adresse pas aux culs-bénits. Pas vraiment. Ceux d’entre eux qui
ont acheté le livre, croyant, sur la foi de son titre, qu’il leur était
destiné, ont été possédés. C’est bien fait.
Mais je suis bien tranquille,
ils ne l’ont pas acheté. L’auraient-ils acheté et, par erreur, par curiosité,
par masochisme ou par mortification pieuse, lu, ce n’en serait pas moins du
papier gaspillé : les culs-bénits sont imperméables, inoxydables,
inexpugnables, murés une fois pour toutes dans ce qu’il est convenu d’appeler
leur « foi ». Arguments ou sarcasmes, rien ne les atteint, ils ont rencontré
Dieu, ils l’ont touché du doigt. Amen. Jetons-les aux lions, ils aiment ça.
Ce n’est donc pas à eux,
brebis bêlantes ou sombres fanatiques, que je m’adresse ici, mais bien à vous,
mes chers mécréants, si dénigrés, si méprisés en cette merdeuse fin de siècle
où le groin de l’imbécillité triomphante envahit tout, où la curaille
universelle, quelle que soit sa couleur, quels que soient les salamalecs de son
rituel, revient en force partout dans le monde. Ce titre, vous ne vous y êtes
pas trompés, vous. Vous l’avez perçu comme un appel, un signe de ralliement,
une main qui s’agite au-dessus de l’océan de la connerie montante pour vous
faire savoir que vous n’êtes pas seuls, que nous ne sommes pas seuls. Le petit
nombre, c’est vrai, et dispersé, c’est vrai, mais conscient et décidé à ne pas
hurler avec les loups, à ne pas bêler avec les ouailles.
Ô vous, les mécréants, les
athées, les impies, les libres-penseurs, vous les sceptiques sereins qu’écœure
l’épaisse ragougnasse de toutes les prêtrailles, vous qui n’avez besoin ni de
petit Jésus, ni de père Noël, ni d’Allah au blanc turban, ni de Yahvé au noir
sourcil, ni de dalaï-lama si touchant dans son torchon jaune, ni de grotte de
Lourdes, ni de messe en rock, vous qui ricanez de l’astrologie crapuleuse comme
des sectes « fraternellement » esclavagistes, vous qui savez que le progrès
peut exister, qu’il est dans l’usage de notre raison et nulle part ailleurs,
vous, mes frères en incroyance fertile, ne soyez pas aussi discrets, aussi
timides, aussi résignés !
Ne soyez pas là, bras
ballants, navrés, mais sans ressort, à contempler la hideuse résurrection des
monstres du vieux marécage qu’on avait bien cru en train de crever de leur
belle mort.
Vous qui savez que la question
de l’existence d’un dieu et celle de notre raison d’être ici-bas ne sont que
les reflets de notre peur de mourir, du refus de notre insignifiance, et ne
peuvent susciter que des réponses illusoires, tour à tour consolatrices et
terrifiantes,
Vous qui n’admettez pas que
des gourous tiarés ou enturbannés imposent leurs conceptions délirantes et, dès
qu’ils le peuvent, leur intransigeance tyrannique à des foules fanatisées ou
résignées,
Vous qui voyez la laïcité et
donc la démocratie reculer d’année en année, victimes tout autant de
l’indifférence des foules que du dynamisme conquérant des culs-bénits, À
l’heure où les chouans de tout bord redressent arrogamment la crête et
brandissent fourches et étendards pour proclamer leur fierté de pratiquer – et
d’imposer – la « foi de leurs pères »,
À l’heure du « New-Age » des «
ésotérismes » (ravaudage à la mode, puisque venu d’Amérique, des vieilles
défroques ultra-éculées de l’occultisme), à l’heure des « guérisseurs par la
foi qui sauve », des sorciers, des diseurs de bonne aventure accueillis à bras
ouverts sur les petits écrans parce que « faisant de l’audimat », des escrocs
éhontés vendeurs de croix « magiques », de talismans et autres gris-gris,
À l’heure où les athées, les
libres-penseurs, les agnostiques, n’ont droit qu’à de rares et furtifs passages
dans les médias tandis que la télé s’ouvre plein pot aux rites et cérémonies
des « grandes religions » (Comme si les fidèles ne pouvaient pas faire à leur
dieu bien-aimé le sacrifice d’aller jusqu’à son lieu de culte, au lieu de
regarder ça du fond de leur lit !),
À l’heure où fleurit
l’obscurantisme né de l’insuffisance ou de la timidité de l’école publique,
empêtrée dans une conception trop timorée de la laïcité,
Sachons au moins nous
reconnaître entre nous, ne nous laissons pas submerger, écrivons, « causons
dans le poste », éduquons nos gosses, saisissons toutes les occasions de sauver
de la bêtise et du conformisme ceux qui peuvent être sauvés !
Ces coups de gueule au jour le
jour ne prétendent pas à l’exhaustivité. Il y aurait trop à dire ! Ce n’est pas
ici un cours de théologie à l’envers (Les fausses sciences ne m’intéressent
nullement, pas plus la théologie ou l’apologétique que l’astrologie, les lignes
de la main ou la torsion de petites cuillères à distance). Simplement, en cette
veille d’un siècle que les ressasseurs de mots d’auteur pour salons et
vernissages se plaisent à prédire « mystique », je m’adresse à vous,
incroyants, et surtout à vous, enfants d’incroyants élevés à l’écart de ces
mômeries et qui ne soupçonnez pas ce que peuvent être le frisson religieux, la
tentation de la réponse automatique à tout, le délicieux abandon du doute
inconfortable pour la certitude assénée, et, par-dessus tout, le rassurant
conformisme.
Dieu est à la mode. Raison de
plus pour le laisser aux abrutis qui la suivent.
Un livre aussi «
blasphématoire » n’aurait pu être édité ailleurs qu’en France sans risquer de
gros ennuis. Les fanatiques ne se trouvent pas tous en Iran. S’ils
n’assassinent pas à tous les coups, du moins peuvent-ils traîner l’impie en
justice, lui casser la gueule dans un coin noir ou foutre le feu chez lui.
Heureusement, nous sommes en
France ! En France, qui est encore un peu (si peu !) la patrie de Voltaire, de
Diderot, de Hugo, de Renan. Profitons-en. Tant que ça dure…
Eh,
vous !
Vous,
les chrétiens,
les Juifs,
les musulmans,
les bouddhistes,
les hindouistes,
les shintoïstes,
les adventistes,
les panthéistes
les « témoins » de ceci-cela,
les satanistes,
les gourous,
les mages,
les sorciers,
les yogis,
les ardents,
les mous,
les qui coupent la peau de la
quéquette aux petits garçons,
les qui cousent le pipi aux
petites filles,
les qui prient à genoux,
les qui prient à quatre
pattes,
les qui prient sur une jambe,
les qui ne mangent pas ceci-cela,
les qui se signent par la
droite,
les qui se signent par la
gauche,
les qui se vouent au diable
parce que déçus de Dieu,
les qui prient pour que tombe
la pluie,
les qui prient pour gagner au
Loto,
les qui prient pour que ça ne
soit pas le sida,
les qui mangent leur dieu en
rondelles,
les qui ne pissent jamais
contre le vent,
les qui ont la foi des
charbonniers,
les qui ont la foi du patron,
les qui ont la foi parce que
c’est plus convenable,
les qui vénèrent les reliques,
les qui se confessent et puis
recommencent,
les qui font l’aumône pour
gagner le ciel,
les qui lapident le bouc
émissaire,
les qui égorgent le mouton,
les qui se figurent survivre
en leurs enfants,
les qui se figurent survivre
en leurs œuvres,
les qui ne veulent pas
descendre du singe,
les qui bénissent les armées,
les qui bénissent les chasses
à courre,
les qui brûlent les livres,
les qui commenceront à vivre
après la mort…
Vous tous,
qui ne pouvez vivre sans un
père Noël et sans un père Fouettard,
vous tous,
qui ne pouvez supporter de
n’être rien de plus que des vers de terre avec un cerveau,
vous tous,
qui avez besoin de n’être pas
nés pour mourir et qui êtes prêts à avaler tous les mensonges rassurants,
vous tous,
qui vous êtes bricolé un dieu
« parfait » et « bon » aussi stupide, aussi mesquin, aussi sanguinaire, aussi
jaloux, aussi avide de louanges que le plus stupide, le plus mesquin, le plus
sanguinaire, le plus jaloux, le plus avide de louanges d’entre vous,
vous tous, oh, vous tous,
Foutez-nous la paix !
Faites vos salamalecs dans le
secret de votre gourbi, fermez bien la porte, surtout, et ne corrompez pas nos
gosses.
Foutez-nous la paix, chiens !
Inch’
Allah !
Que Dieu existe ou non n’a
aucune importance. Il ne s’ensuit aucune influence sur notre conduite.
Dieu, par définition, est
inconnaissable. Sa nature et, à plus forte raison, ses desseins, ne nous sont
pas accessibles. Si vraiment il existe et nous a voulus tels que nous sommes,
c’est-à-dire incapables de le concevoir tout en étant torturés par la question
de son existence et par celle de nos fins dernières, laissons-lui le soin de
gérer tout cela. Il l’a créé ? Qu’il s’en démerde !
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