n. m. (rad, manichéen, de Manès ou Manichée)
Le manichéisme a été l'une des
hérésies les plus importantes du christianisme, si toutefois on peut le classer
parmi 1es sectes chrétiennes. Son fondateur, Manès, Mani ou Manichée , naquit
en Perse, vers 218 de l'ère vulgaire. On le représente comme un homme austère,
doué d'une vaste érudition. Les uns veulent qu'il ait été prêtre, les autres
médecin ; on assure même qu'il peignait fort agréablement. Haï des chrétiens,
parce qu'hérétique, mal vu des persans qui le considéraient comme chrétien, il
parvint à se maintenir jusqu'en mar 277 (d'autres disent jusqu'en 274) époque
où la légende veut qu'il ait été écorché vif sur l'ordre du roi de Perse,
Varahram Ier. Mani avait visité l'Inde et était entré en relations étroites
avec les prêtres de Bouddha. Quelles étaient donc les doctrines des manichéens
pour qu'elles leur aient valu les persécutions de l'Église ? On retrouve dans
le manichéisme des influences gnostiques ‒ ce sont les principales ‒
mésopotamiennes, perses, bouddhiques. Deux principes coexistent éternellement :
l'un bon (symbolisé par la lumière) et appelé prince de lumière, l'autre
mauvais (symbolisé par les ténèbres) et dénommé Prince de ce monde, Satan et
aussi Matière. La Matière, ayant subi le rayonnement de la lumière, voulut
s'élever jusqu'à elle et il y eut guerre entre les deux éléments. En vain pour
contre-balancer les efforts de la Matière, le bon principe ou Dieu créa[1]t-il
l'homme primitif (spirituel) ; ce dernier fut vaincu et emprisonné dans la
Matière. L'homme actuel a été créé par le principe mauvais de même que sa
descendance : l'humanité, soumise aux mêmes tentations que lui. Le salut est en
la connaissance de la vraie science, apportée par le prophète Mani ; cette
Connaissance a été diffusée parmi les hommes par l'histoire de Jésus-Christ,
purement symbolique, d'ailleurs. Dans la pratique, plus radicalement, plus
austèrement que le christianisme, le manichéisme place le salut dans le
renoncement, l'abstention. Le fait de considérer Jésus comme un symbole et non
comme un vivant mena les manichéens à nier le mystère de l'Incarnation et celui
de la Résurrection, à tenir comme nul le sacrement de la communion, le pain et
le vin ne pouvant être la chair et le sang d'un fantôme ; les manichéens
avaient en aversion les représentations de la croix, ils tournaient en dérision
la fable de la vierge-mère et plus tard le culte qui lui fut rendu ; ils
niaient la résurrection de la chair. Le bon ne pouvant se lier avec le mauvais,
ils rejetaient le mariage et combattaient vigoureusement la procréation ; ils
ne mangeaient pas de viandes, ils ne consommaient pas de vin ; à part les
poissons et les reptiles ils ne tuaient pas les animaux ; l'enfer et plus tard
le purgatoire sont considérés comme des inventions insensées ; c'est sur terre
que l'âme subit son enfer qui durera jusqu'à ce que des incarnations
successives (qui peuvent être animales) l'aient purifiée et délivrée de sa
prison de chair. Les manichéens menaient une vie en apparence très austère, ils
se glorifiaient de mener l'existence des apôtres. Leurs adversaires
prétendaient que cette sévérité d'attitude cachait des mœurs relâchées au point
de vue sexuel et la pratique de l'homosexualité. Il y avait deux catégories
distinctes d'adeptes : les néophytes ou « auditeurs », les initiés ou élus ou «
parfaits ». Ceux-ci seuls, en somme, renonçaient au plaisir, au travail, au
mariage ; connaissaient la signification réelle des symboles doctrinaires ; les
autres suivaient de loin, renonçaient à moins, ne connaissaient
qu'imparfaitement. Il est évident que la doctrine de la coexistence du bien et
du mal, leurs principes étant considérés comme égaux en force et en puissance,
était aux antipodes de la doctrine prêchée par le christianisme, qui croyait au
triomphe final de l'Église, de Dieu, du principe de l'autorité sur celui de la
rébellion. La chute de l'homme est le résultat de sa désobéissance, elle n'est
qu'un accident ; il n'y a jamais lutte égale entre les deux adversaires, Dieu
tolère Satan et, théoriquement, chaque fois que la désobéissance entre
sérieusement en lutte avec l'obéissance, c'est celle-celle-ci qui remporte la
victoire. C'est sans doute ce qui explique l'opposition féroce de l'État romain
aux progrès du manichéisme qui avait envahi la Perse, le Tibet, la Chine, le
Turkestan et comptait de nombreux sectateurs dans le sud de l'Italie et la
province d'Afrique (Saint Augustin a été manichéen pendant huit ans). Les
gouvernants de l'Empire considérèrent le manichéisme comme une sorte
d'anarchisme (plus redoutable, certes, que le christianisme), qui devait
logiquement conduire ses adeptes à l'abandon de tous leurs devoirs de citoyens
et d'hommes, comme une importation étrangère ne pouvant convenir à des Romains.
C'est le point de vue auquel se place Dioclétien dans son terrible édit (vers
300) qui prononce contre les manichéens les pénalités les plus dures. Les édits
de Valentinien Ier et de Théodose ler ne furent pas moins sévères. On considéra
le manichéisme comme écrasé au IVème siècle. On a contesté que les manichéens
aient réellement admis le dualisme absolu et éternel du bon et du mauvais,
l'existence infinie de deux Dieux s'équivalant. Toujours est-il que l'Église a
toujours combattu les manichéens avec la dernière rigueur. Ils n'admettaient
pas les livres de l'Ancien Testament, ils n'acceptaient les Évangiles qu'en se
réservant le droit d'y faire les coupures ou les changements qui pouvaient les
mettre en harmonie avec leurs opinions particulières. Ils considéraient Orphée,
Zoroastre, etc., comme de véritables prophètes, la raison et le verbe leur
apparaissaient comme se trouvant chez tous les hommes, devant produire partout
les mêmes effets, répandre partout la même clarté ; aussi le nombre des écrits
à consulter s'étendait-il bien au-delà des livres canoniques. Le Jésus du
manichéisme est purement gnostique, c'est un ange du Principe ou Dieu bon,
chargé de délivrer les âmes engeôlées par la Matière ou le Dieu mauvais. Les
édits des empereurs romains n'avaient pas anéanti le manichéisme. Il demeurait
assoupi, latent, dans l'empire byzantin, chez les Slaves. On le retrouve en
Arménie, vers le milieu du VIIème siècle (ses adeptes s'appellent alors
Pauliciens), en Bulgarie ; mais voici qu'il fait tache d'huile dès la fin du
Xème siècle, on signale des manichéens ou Cathares (du grec katharos, pur), en
Champagne. Du XIème au XIIIème siècle, l'église cathare, la pure, la véritable,
se dressera contre l'église romaine, « la synagogue de Satan » en Italie, en
Sardaigne, en Espagne, en Aquitaine, dans l'Orléanais (en 1017, Robert le Pieux
fera tenailler et brûler treize cathares à Orléans), à Liège, dans le nord de
la France, en Flandre, en Allemagne, en Angleterre, en Lombardie, en Lorraine
et jusqu'en Bretagne. À vrai dire, la lutte entre les deux églises n'atteint
d'acuité que dans la France du Sud-Ouest et l'Italie du Nord. Comme Albi est le
principal centre de l'hérésie, les manichéens sont connus sous le nom
d'Albigeois. Il semble qu'il y ait eu une certaine différence entre le
manichéisme, doctrine d'austérité, et l'albigéisme, représenté comme une
doctrine de vie facile. On a souvent opposé les vaudois, qui menaient une
existence ascétique, aux albigeois, tenus pour dissolus. À la vérité
l'austérité n'était exigée que des initiés ou parfaits ; la masse des fidèles
ou auditeurs pouvaient vivre selon leurs instincts et leur bon plaisir, surtout
dans cette nouvelle phase du manichéisme ; il suffisait qu'un parfait plaçât
les mains sur la tête d'un croyant pour effacer toutes ses impuretés ; cela
s'appelait « la consolation », mais comme elle ne pouvait être dispensée qu'une
seule fois dans le cours de l'existence, l'auditeur n'avait généralement
recours au parfait qu'à l'article de la mort. L'albigéisme régnait en maître
dans tout le Languedoc ; il comptait seize églises ou diocèses dont les
principaux se trouvaient dans la région qui s'étend entre les Cévennes, les
Pyrénées et la Méditerranée. Il y avait des évêques cathares et on a même
prétendu, sans preuves, qu'il a existé un pape cathare. À Toulouse, les
catholiques en étaient réduits ou peu s'en faut à se cacher. Le pape Innocent
III organisa une croisade contre les Albigeois et appela les seigneurs du nord
de la France à y prendre part. « Il faut que les malheurs de la guerre ‒
écrivait Innocent III, 1207 ‒ les ramènent à la vérité ». Cette guerre fut
sauvage, atroce. Elle débuta par une boucherie à Béziers (1209) ; les Français
du Nord exterminèrent la population : dans une seule église, ils égorgèrent
sept mille personnes, des femmes, des vieillard, des enfants ; après quoi,
Béziers, mis à sac, fut totalement détruit par l'incendie. Dix ans plus tard,
de semblables horreurs se répétèrent à Marmande, et de sang-froid : « on tua,
dit un contemporain, tous les bourgeois avec les femmes et les petits enfants
». Vingt ans durant, le Midi fut mis à feu et à sang, sans que l'hérésie cessât
de subsister. Pour achever de la détruire, le concile de Toulouse, en 1229,
créa les inquisiteurs de la foi, dont les moines Dominicains assumèrent la
charge. Le roi de France reçut comme récompense de l'assistance prêtée à
l'Église le comté de Toulouse. Quant aux cathares, force leur sera de se
dissimuler désormais ; ils cessent d'être un danger pour l'Église, dans tous
les cas. Après le XIVème siècle, on n'en trouvera plus guère. S'il en existe
encore, c'est vraisemblablement en pays slaves ou aux États-Unis. ‒
E. ARMAND.
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