"Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. Dans les pays sous-développés les générations précédentes ont à la fois résisté au travail d’érosion poursuivi par le colonialisme et préparé le mûrissement de luttes actuelles. Il nous faut perdre l’habitude, maintenant que nous sommes au cœur du combat, de minimiser l’action de nos pères ou de feindre l’incompréhension devant leur silence ou leur passivité. Ils se sont battus comme ils pouvaient, avec les armes qu’ils possédaient alors et si les échos de leur lutte n’ont pas retenti sur l’arène internationale. Il faut en [198] voir la raison moins dans l’absence d’héroïsme que dans une situation internationale fondamentalement différente. Il a fallu que plus d’un colonisé dise « ça ne peut plus durer », il a fallu que plus d’une tribu se rebelle, il a fallu plus d’une jacquerie matée, plus d’une manifestation réprimée pour que nous puissions aujourd’hui tenir tête avec cette certitude dans la victoire. Notre mission historique, à nous qui avons pris la décision de briser les reins du colonialisme, est d’ordonner toutes les révoltes, tous les actes désespérés, toutes les tentatives avortées ou noyées dans le sang."
"L’amertume désabusée de Cartier face à l’obstination de la France à s’attacher des gens qu’elle devra nourrir alors que tant de Français vivent dans la gêne traduit l’impossibilité dans laquelle se trouve le colonialisme à se transformer en programme désintéressé d’aide et de soutien. C’est pourquoi encore une fois il ne faut pas perdre son temps à répéter qu’il vaut mieux la faim dans la dignité que le pain dans la servitude. Il faut au contraire se convaincre que le colonialisme est incapable de procurer aux peuples colonisés les conditions matérielles susceptibles de lui faire oublier son souci de dignité. Une fois que le colonialisme a compris où l’entraînerait sa tactique de réformes sociales, on le voit retrouver ses vieux réflexes, renforcer les effectifs de police, dépêcher des troupes et installer un régime de terreur mieux adapté à ses intérêts et à sa psychologie."
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