mercredi 14 juillet 2021

MANUEL encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

Adj. (Est la traduction du latin manualis qui vient de manus, main)

Il s'applique à ce qui se fait avec les mains, au travail physique qui produit des choses matérielles et qui est généralement accompli avec les mains. Le travail manuel se distingue ainsi du travail intellectuel, ou travail de la pensée. Ces deux formes de l'activité sont-elles, vis-à-vis l'une de l'autre, dans un état d'Interdépendance ou sont-elles, au contraire, nettement séparées, au point même que leurs rapports sont hostiles ? Il n'est pas superflu de poser une telle question lorsqu'on considère l'usage que la phraséologie de notre époque a fait du mot manuel par opposition à intellectuel, en les employant tous deux comme substantifs. On s'est mis à dire : un manuel, pour « un travailleur manuel », un intellectuel (voir ce mot), pour « un travailleur intellectuel » et, ne se bornant pas à cette distinction entre les travailleurs, on est arrivé à les opposer les uns aux autres au point d'en faire deux classes ennemies ! Il convient d'observer que la période aiguë de cet état d'antagonisme s'est produite surtout avant 1914, lorsque le syndicalisme ouvrier présentait une certaine unité et constituait une force avec laquelle il semblait qu'on devait compter. Pour les uns, alors que le manuel était l'homme en qui s'incarnait le travail utile, bienfaisant, producteur de la richesse et du bonheur universelle, qui possédait toutes les qualités populaires et représentait toutes les vertus sociales ; l'intellectuel était le prototype du parasite, le frelon de la ruche, la mouche du coche, le lys qui ne travaille pas ou dont l'activité est inutile sinon malfaisante, et aussi le corrupteur, le traître, le complice de l'organisation bourgeoise et capitaliste qui asservit les prolétaires. Pour les autres, au contraire, le manuel, l'homme aux mains calleuses et au front baissé vers la terre demeurait la « canaille » de jadis, le croquant, le goujat grossier, brutal, illettré, sans éducation, « l'espèce inférieure » uniquement bonne à fournir de la main-d'œuvre en attendant que, le machinisme le remplaçant complètement, les mâles ne fussent plus utlisables qu'à la caserne et les femelles réservées à la reproduction et au lupanar ; l'intellectuel l'homme aux mains blanches et au front levé vers les étoiles était le dieu par qui se répandait toute science et toute sagesse, « l'élite » précieuse dont la pensée et la volonté éclairaient et dirigeaient le monde. Manuel était synonyme d'exploité, de prolétaire. Intellectuel était synonyme d'exploiteur, de bourgeois. Un ouvrier que des combinaisons d'affaires et de politique aurait fait patron, millionnaire, député, demeurerait un « prolétaire » aux yeux de ses anciens compagnons de misère. Un artiste, un écrivain, un médecin, un avocat, voire un de ces miteux « grapignans » de basoche qui sont au plus bas de l'échelle des « professions libérales », resterait marqué « bourgeois » jusqu'à la fin de ses jours, catalogué fainéant et jouisseur, même s'il mourrait de misère physiologique dans un chauffoir municipal. Si déplumé qu'il serait et si révolutionnaire qu'il se manifesterait, « l'intellectuel » n'appartiendrait pas moins à la classe bourgeoise, ennemie des « prolétaires ». Par contre, le « manuel », arrivé à la table des ministres, serait toujours un prolétaire ; en buvant leur cognac et en fumant leurs cigares, il vengerait les « camarades », les « frères de misère » qui continueraient à peiner dans l'enfer capitaliste. Des « résidus de bourgeoisie », disait dédaigneusement M. Clemenceau, quoique bourgeois lui-même, des fonctionnaires qui lui rappelaient qu'ils étaient des prolétaires. Voilà à quelles aberrations la phraséologie d'avant-guerre avait abouti. Aujourd'hui que la classe ouvrière mutilée, divisée et devenue impuissante, a fait la dure expérience qu'il n'était pas nécessaire d'aller chercher parmi les « intellectuels » des « traîtres » qui la livreraient à ses ennemis, et que ceux de chez elle y suffiraient amplement, on paraît marcher vers une plus saine et plus exacte appréciation des choses. Nous verrons mieux, au mot ouvriérisme, ce qu'ont été la formation, le développement et les conséquences de la division des travailleurs en manuels et intellectuels opposés les uns aux autres. Le travail manuel ne se sépare pas du travail intellectuel. Aucun homme, et même aucun animal, n'est une simple mécanique. Dans tout geste, même le moins réfléchi, dans tout travail, même le plus machinal et le plus grossier, il y a une part d'observation, d'initiative, d'intelligence qui fait que le geste, ou le travail, répond plus ou moins bien à ses fins. Le cantonnier ne lance pas ses cailloux à tort et à travers sur la route, le maçon observe l'indication du fil à plomb pour construire un mur, le haleur est attentif au rythme du refrain qui fait tendre à la même seconde ses muscles et ceux de ses compagnons pour un effort simultané. À tout travail musculaire correspond un travail du cerveau variable suivant qu'il est plus ou moins réfléchi. Plus le travail est individualisé, c'est-à-dire normalement distribué suivant la capacité de chacun, plus il demande de participation intellectuelle. C'est ainsi qu'il y a au moins autant d'invention intellectuelle que d'habileté manuelle dans la besogne de l'artisan. Si la sottise d'un prétendu aristocratisme fait refuser la qualité d'artiste à l'artisan (voir Beaux-Arts), il est aussi sot de classer « intellectuel » l'artiste qui peint, qui sculpte, qui grave, qui joue d'un instrument de musique, se servant incontestablement de ses mains dont l'habileté est indispensable pour traduire dans la matière et produire la forme physique, plastique ou auditive, conçue par sa pensée. Il n'y a pas plus d'hommes-machines que d'hommes-cerveaux ; tous ont besoin d'exercer leurs mains et leur intelligence. Même dans l'état social actuel où le machiavélisme capitaliste est arrivé, par le taylorisme, la rationalisation et autres procédés esclavagistes, à rendre le travail manuel de plus en plus impersonnel, dépourvu de toute intelligence ouvrière, la démarcation des travailleurs manuels et intellectuels constitue une calamité. Lorsque les hommes seront parvenus à fonder une société où la concurrence féroce n'entretiendra plus entre-eux, entre les individus comme entre les groupes, l'état de guerre dans lequel ils vivent et où le travail ne sera plus un moyen d'exploitation, une source de douleur et de misère, mais sera au contraire producteur du bonheur de tous, les activités manuelles et intellectuelles seront normalement distribuées pour chaque individu selon ses dispositions et ses préférences. Il n'y aura plus de damnés manuels, le travail des mains étant devenu le complément harmonieux de celui du cerveau, c'est-à-dire de l'activité librement choisie. Il n'y aura plus de bienheureux intellectuels, chacun devant apporter sa part suivant ses facultés et ses forces à l'activité commune. Il n'y aura que des élus qui travailleront tous, de leur intelligence et de leurs mains, pour un heureux équilibre individuel et social. Mais pour arriver à cela, il faut d'abord que les travailleurs, dans la lutte où ils sont engagés, ne fassent plus un choix empirique, et d'après des étiquettes stupides, de leurs amis et de leurs ennemis. Il faut qu'ils jugent les hommes d'après leur œuvre. Il faut qu'ils se débarrassent de cette phraséologie malsaine qui les divise en manuels et intellectuels. Car la preuve est faite aujourd'hui : c'est dans leurs propres rangs, plus que dans ceux des intellectuels, que les manuels ont rencontré les « traîtres » les plus dangereux et les plus malfaisants, depuis le simple flic qui les passe à tabac jusqu'aux représentants de l'« Internationale Ouvrière » qui figurent dans les conseils des gouvernements et les inviteront, à l'occasion, à marcher encore pour la prochaine « dernière guerre ». ‒

Édouard ROTHEN.

On appelle aussi manuel un petit livre, commode à porter dans une poche ou à tenir à la main, qui donne le résumé d'une des connaissances humaines. On en a composé pour toutes ces connaissances, depuis les plus abstraites jusqu'aux plus pratiques. Il y a des manuels de philosophie, de théologie, de littérature, comme de gymnastique, de cuisine, de savoir-vivre. Il y en a pour toutes les classes et toutes les professions : Manuel des souverains, Manuel des nourrices, etc... La collection des Manuels Roret, qui compte environ 300 volumes, a embrassé tous les métiers qui se sont pratiqués entre 1825 et 1873. On a fait depuis et on doit faire encore beaucoup mieux en raison de l'extraordinaire développement scientifique et industriel qui s'est produit durant ces cinquante dernières années. Les manuels ont généralement remplacé les abrégés dont l'objet est semblable. L'abrégé traite le plus souvent d'un sujet intellectuel. Le manuel a prévalu avec l'extension des sciences et des métiers.

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