samedi 17 juillet 2021

La psychologie de la masse du fascisme par Wilhelm Reich

 

La société païenne était une association volontaire, la vie sociale étant réglée par l’autogouvernement [5] . L’État a pris naissance avec la naissance des classes «afin de maîtriser les antagonismes de classes» et assurer de la sorte la continuité de la société. Bientôt, et «en règle générale», il se mit au service de «la classe la plus puissante, celle qui détenait le pouvoir économique, qui avait pu s’assurer grâce à lui aussi le pouvoir politique» et mettre en place de nouveaux moyens d’asservissement et d’exploitation de la classe opprimée. Qu’est-ce qui vient remplacer la direction étatique et autoritaire des chefs et l’obéissance des sujets quand la Révolution sociale remporte la victoire ?

 

La dictature du prolétariat n’était pas, en principe, une institution permanente, mais un processus commençant par la destruction de l’appareil de l’État autoritaire, l’instauration d’un État prolétarien et se terminant par l’autonomie administrative totale, par l’autogouvernement de la société.

 

Une participation électorale de 90 % ne fournit aucune indication sur la progression de l’autogouvernement social, pour la bonne raison qu’elle n’est pas révélatrice du contenu de l’activité des masses humaines: de plus, elle n’est pas l’apanage du seul système soviétique: dans les démocraties bourgeoises et même dans les «plébiscites» fascistes on signale parfois une participation électorale de 90 % et davantage! C’est là un des principes fondamentaux de la démocratie du travail de ne pas mesurer la maturité sociale d’une communauté à la quantité des suffrages exprimés, mais au contenu effectif et tangible de l’activité sociale de ses membres. « Les masses laborieuses sont-elles capables – et par quelles méthodes peut-on les rendre capables – de faire disparaître l’État autoritaire qui se dresse au-dessus de la société et d’elles-mêmes, de prendre en charge ses fonctions, autrement dit de développer organiquement l’autogouvernement social ? »

 

L’insistance de Lénine ne s’explique qu’au regard de la conviction profondément enracinée et apparemment indestructible des hommes et de la plupart de leurs leaders que la masse ne saurait parvenir à l’âge adulte et se passer d’une tutelle autoritaire. «Auto[1]administration», «autogouvernement», «discipline non[1]autoritaire», voilà des notions qui, face au fascisme, ne suscitent que des sourires ironiques: on les qualifie de rêves d’anarchistes, d’utopies, de fantasmes! Ceux qui méprisent et dénigrent ces notions peuvent même se réclamer de Staline qui avait affirmé qu’il ne saurait être question de supprimer l’État, qu’il faudrait au contraire renforcer et élargir la puissance de l’État prolétarien. Ainsi Lénine s’était trompé! L’homme est et restera sujet; sans autorité, sans contrainte, il ne travaillera pas, il «s’adonnera à son plaisir et à sa paresse»! Pourquoi donc perdre son énergie et son temps à courir après de telles chimères! S’il en est ainsi, on aurait dû réclamer aux dirigeants de l’Union Soviétique une rectification officielle de la doctrine de Lénine; on aurait dû les sommer de déclarer erroné le texte suivant de Lénine:

«Nous ne sommes pas des utopistes. Nous ne « rêvons » pas à la manière de supprimer du jour au lendemain toute administration, toute hiérarchie. Ces rêves anarchistes, qui se fondent sur une méconnaissance des tâches de la dictature du prolétariat, sont essentiellement étrangers au marxisme et équivaudraient à différer la révolution socialiste à l’époque où les hommes auront changé. Or, il nous faut faire la révolution socialiste avec les hommes de notre temps, avec les hommes incapables de se passer de hiérarchies, de contrôles, de « surveillants et de comptables »… Mais on se soumettra à l’avant-garde armée des exploités et des travailleurs – au prolétariat. On peut et on doit par contre remplacer sans le moindre délai le ton impérieux si typique des fonctionnaires de l’État par la simple fonction de « surveillant et de comptable »… Ce sera à nous, travailleurs, d’organiser nous-mêmes la grosse industrie, en nous appuyant sur notre expérience du travail et sur les réalisations du capitalisme, en créant une discipline stricte et sévère, que maintiendra la puissance étatique des travailleurs en armes; transformons les fonctionnaires de l’État en simples exécutants de nos ordres, en « surveillants et comptables » responsables, révocables, médiocrement payés… C’est là notre tâche de prolétaires, c’est par là que pourra et devra commencer la mise en place de la révolution prolétarienne. Un tel début basé sur la grosse industrie aboutit à l’extinction progressive de tout fonctionnarisme, à la lente création d’un ordre sans guillemets, qui n’ait pas le moindre rapport avec l’esclavage du salariat [6] , ordre au sein duquel les fonctions sans cesse simplifiées de surveillance et de comptabilité seront assumées à tour de rôle par tous, pour devenir à la fin une simple habitude, si bien qu’elles cesseront progressivement d’être des fonctions spécifiques d’une couche d’individus » (L’État et la Révolution, p. 5 ss.).

 

S’il est vrai que la classe des exploiteurs a été anéantie et que l’éducation socialiste des masses a été un succès, le maintien «sans faiblir» de la dictature est un non-sens complet. Si toutes les conditions sont remplies, pourquoi la dictature exerce-t-elle son pouvoir «sans faiblir»? Contre qui sévit-elle si la classe des exploiteurs n’existe plus et si les masses ont été éduquées en vue d’assumer leurs fonctions sociales? Les formules ridicules de ce genre dissimulent toujours une vérité par trop évidente: la dictature se prolonge, mais elle n’est plus dirigée contre les exploiteurs de l’ancienne école, mais contre les masses elles-mêmes.

 

1) En quoi consiste réellement la participation des masses à l’administration de l’État? Cette participation a-t-elle la forme d’une prise en charge progressive des fonctions administratives, telle qu’elle découle des exigences de la démocratie sociale? Quelles sont les modalités de cette «participation»?

2) Le patronage formel d’une entreprise sur une administration n’est pas un autogouvernement. L’administration domine-t-elle l’entreprise ou l’entreprise domine-t-elle l’administration ?

3) Des conseils «auprès» des commissariats du peuple sont des organes superfétatoires ou, dans la meilleure hypothèse, des organes exécutifs des commissariats, tandis que Lénine exigeait le remplacement de toutes les fonctions administratives bureaucratiques par des soviets dont l’action devait s’étendre progressivement dans la masse.

4) L’«introduction» de la démocratie soviétique et le renforcement simultané de la dictature du prolétariat équivalent à l’effacement d’une évolution, considérée comme un objectif, au terme de laquelle l’État prolétarien et la dictature prolétarienne devraient s’effacer.

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