LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE
La publication du livre de
Lénine, d’abord en allemand puis dans une traduction anglaise, montre bien
qu’on voulait lui faire jouer un rôle beaucoup plus grand que celui qui avait
été le sien dans l’ancienne controverse du parti russe. On le fait lire aux
jeunes générations de socialistes et de communistes pour influer sur le
mouvement ouvrier international.
Alors, nous posons cette
question : qu’est-ce que ce livre peut apporter aux ouvriers des pays
capitalistes ?
Les idées philosophiques qui y
sont attaquées sont complètement déformées ; et la théorie du matérialisme
bourgeois nous est présentée sous le nom de marxisme. A aucun moment, on ne
tente d’amener le lecteur à une compréhension et un jugement clairs et
indépendants sur des problèmes philosophiques ; ce livre est destiné à lui
apprendre que le Parti a toujours raison, qu’il doit lui faire confiance et
suivre ses chefs. Et sur quelle voie ce chef du parti veut-il engager le
prolétariat international ? Pour le savoir il n’y a qu’à lire la conception de
la lutte de classe dans le monde, que Lénine expose à la fin de son livre : « Il
est impossible, en quatrième lieu, de ne pas discerner derrière la scolastique
gnoséologique de l’empiriocriticisme, la lutte des partis en philosophie, lutte
qui traduit en dernière analyse les tendances et l’idéologie des classes
ennemies de la société contemporaine. La philosophie moderne est tout aussi
imprégnée de l’esprit de parti que celle d’il y a deux mille ans. Quelles que
soient les nouvelles étiquettes ou la médiocre impartialité dont usent les
pédants et les charlatans pour dissimuler le fond de le question, le
matérialisme et l’idéalisme sont bien des partis aux prises. L’idéalisme n’est
qu’une forme subtile et raffinée du fidéisme qui, demeuré dans sa
toute-puissance, dispose de très vastes organisations et, tirant profit des
moindres flottements de la pensée philosophique, continue incessamment son
action sur les masses. Le rôle objectif, le rôle de classe de
l’empiriocriticisme se réduit entièrement à servir les fidéistes dans leur
lutte contre le matérialisme en général et contre le matérialisme historique en
particulier. » (V.I. Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, op. cit., p.
372).
Aucune allusion ici à
l’immense pouvoir de l’ennemi, la bourgeoisie, qui possède toutes les richesses
du monde, et contre laquelle la classe ouvrière ne progresse que péniblement.
Aucune allusion au pouvoir spirituel de la bourgeoisie sur les ouvriers qui
sont encore en grande partie dominés par le culture bourgeoise, dont ils
peuvent à peine se dégager dans leur lutte incessante pour le savoir. Aucune allusion
à la nouvelle idéologie du nationalisme et de l’impérialisme qui menaçait
d’envahir aussi la classe ouvrière, et qui, peu après en effet, l’entraîna dans
la guerre mondiale. Rien de tout cela : c’est l’Eglise, c’est le bastion du «
fidéisme », qui est pour Lénine la puissance ennemie la plus dangereuse. Le
combat du matérialisme contre la foi religieuse représente pour lui le combat
théorique qui accompagne la lutte des classes. L’opposition théorique, en fait
limitée, de l’ancienne classe dominante et de la nouvelle, voilà pour lui le
grand combat d’idées à l’échelle mondiale, et il la plaque sur la lutte du
prolétariat dont l’essence et les idées sont bien éloignées de ses propres
conceptions. Ainsi dans la philosophie de Lénine le schéma valable pour la
Russie est appliqué à l’Europe occidentale et à l’Amérique, et la tendance
anti-religieuse d’une bourgeoisie montante est attribuée au prolétariat en
ascension. Tout comme les réformistes allemands de cette époque pensaient que
la division devait se faire entre « réaction » et « progrès », c’est-à-dire non
pas selon des critères de classes, mais en se basant sur une idéologie
politique – entretenant ainsi la confusion chez les ouvriers – Lénine pense que
la division se fait selon l’idéologie religieuse, entre réactionnaires et
libre-penseurs. Au lieu de se voir invitée à consolider son unité de classe
contre la bourgeoisie et l’Etat et parvenir ainsi à dominer la production, la
classe prolétarienne occidentale reçoit de Lénine le conseil de livrer bataille
à la religion. Si les marxistes occidentaux avaient connu ce livre et les idées
de Lénine avant 1918, ils auraient sans aucun doute, critiqué bien plus
vivement sa tactique pour la révolution mondiale.
La Troisième Internationale
vise à la révolution mondiale d’après le modèle de la révolution russe et avec
le même but. Le système économique de la Russie est le capitalisme d’Etat,
appelé là-bas socialisme d’Etat ou même parfois communisme, ou la production
est dirigée par une bureaucratie d’Etat sous les ordres de la direction du
Parti communiste. Cette bureaucratie d’Etat, les hauts fonctionnaires, qui
forment la nouvelle classe dirigeante, dispose directement de la production,
donc de la plus-value, alors que les ouvriers ne reçoivent que des salaires, constituant
ainsi une classe exploitée. Il a été possible de cette manière, dans le temps
très court de quelques dizaines d’années, de transformer une Russie primitive
et barbare en un état moderne dont l’industrie se développe rapidement,
utilisant le science et les techniques les plus modernes. D’après le Parti
communiste, une révolution analogue est nécessaire dans les pays capitalistes
avancés, la classe ouvrière étant la force active, qui amènera la chute de Ia
bourgeoisie et l’organisation de la production par une bureaucratie d’Etat. La
Révolution russe n’a pu vaincre que parce que les masses étaient dirigées par
un parti bolchevik uni et très discipliné, et parce que dans le parti c’est la
perspicacité infaillible et l’assurance inébranlable de Lénine et de ses amis
qui montraient à tous la bonne voie. Il faut donc que dans la révolution
mondiale, les ouvriers suivent le Parti communiste, lui laissent la direction
de la lutte et, après la victoire, le gouvernement; les membres du parti
doivent obéir à leurs chefs dans la plus stricte des disciplines. Tout dépend
donc de ces chefs du parti capables et qualifiés, de ces révolutionnaires
éminents et expérimentés ; il est absolument indispensable que les masses
croient que le parti et ses chefs ont toujours raison.
En réalité, pour les ouvriers
des pays capitalistes développés, d’Europe occidentale et d’Amérique, le
problème est complètement différent. Leur tâche n’est pas de renverser une
monarchie absolue et arriérée, mais de vaincre une classe qui dispose de la
puissance morale et spirituelle la plus gigantesque que le monde ait jamais
connue. La classe ouvrière ne vise nullement à remplacer le règne des
affairistes et des monopoleurs sur une production déréglée par celui de hauts
fonctionnaires sur une production réglée par en haut. Son but est de gérer
elle-même la production et d’organiser elle-même te travail, base de
l’existence. Alors, mais alors seulement, le capitalisme aura été anéanti. Un
objectif pareil ne peut cependant être atteint par une masse ignorante, et les
militants convaincus d’un parti qui se présente sous l’aspect d’une direction
spécialisée. Il faut pour cela que les ouvriers eux-mêmes, la classe entière,
comprennent les conditions, les voies et les moyens de leur combat, que chacun d’eux
sache de lui-même ce qu’il a à faire. Il faut que les ouvriers eux-mêmes,
collectivement et individuellement, agissent et décident et, donc, s’éduquent
et se fassent une opinion eux[1]mêmes.
Telle est la seule manière d’édifier par en bas une véritable organisation de
classe, dont la forme tient du conseil ouvrier. Que les ouvriers soient
persuadés d’avoir des chefs vraiment à la hauteur, des as en matière de
discussion théorique, à quoi cela sert-il? N'est-il pas facile d’en être
convaincu quand chacun ne connaît que la littérature de son parti et de lui
seul ? En réalité, seule la controverse, le choc des arguments, peut permettre
d’acquérir des idées claires. Il n’existe pas de vérité toute faite qu’il
suffirait d’absorber telle quelle; face à une situation nouvelle, on ne trouve
la bonne voie qu’en exerçant soi-même ses capacités intellectuelles.
Bien entendu, cela ne signifie
nullement que tout ouvrier devrait juger de la valeur d’arguments scientifiques
dans des domaines exigeant des connaissances spécialisées. Ceci veut dire, en
premier lieu, que tous les ouvriers devraient s’intéresser non seulement à
leurs conditions de travail et d’existence immédiates, mais aussi aux grandes
questions sociales liées à la lutte de classe et à l’organisation, et se
trouver en mesure de prendre des décisions à cet égard. Mais en second lieu,
ceci implique un certain niveau dans la discussion et les affrontements
politiques. Quand on déforme les idées de l’adversaire parce qu’on ne peut pas
les comprendre ou parce qu’on en est incapable, on a de fortes chances de
l’emporter aux yeux des militants fidèles; mais le seul résultat – celui
d’ailleurs qu’on recherche dans les querelles partisanes – est de rattacher ces
derniers au parti avec un fanatisme accru. Pour les ouvriers, ce qui compte
pourtant n’est pas de voir augmenter la puissance d’un parti quelconque, mais
bien leur capacité de prendre le pouvoir et d'instaurer leur domination sur la
société. C’est uniquement par la discussion, sans vouloir à tout prix diminuer
l’adversaire, lorsque les divers points de vue sérieux ont été compris à partir
des rapports de classes et en comparant les arguments entre eux. C’est alors
que l’auditoire participant au débat pourra acquérir cette lucidité à toute
épreuve, dont la classe ouvrière ne saurait se passer pour asseoir
définitivement sa liberté.
La classe ouvrière a besoin du
marxisme pour s’émanciper. De même que l’acquis des sciences de la nature est
indispensable à la mise en œuvre technique du système capitaliste, de même l’acquis
des sciences sociales est indispensable à la mise en œuvre organisationnelle du
communisme. Ce dont on eut besoin en tout premier lieu, ce fut de l’économie
politique, cette partie du marxisme qui met à nu la structure du capitalisme,
la nature de l’exploitation, les antagonismes de classe, les tendances du
développement économique. Elle fournit immédiatement une base solide à la lutte
spontanée des ouvriers contre leurs maîtres capitalistes. Puis, à une étape
ultérieure de la lutte, la théorie marxiste du développement social, de
l’économie primitive au communisme en passant par le capitalisme, suscita la
confiance et l’enthousiasme grâce aux perspectives de victoire et de liberté
qu’elle ouvrait. A l’époque où les ouvriers, pas très nombreux encore,
entamèrent leur lutte ardue, et où il fallait secouer l’apathie des masses, ces
perspectives se révélèrent de première nécessité.
Lorsque la classe ouvrière a
grandi en nombre et en puissance, que la lutte de classe occupe une place
essentielle dans la vie sociale, une autre partie du marxisme doit venir au
premier plan. En effet, le grand problème pour les ouvriers n’est plus de
savoir qu’ils sont exploités et doivent se défendre; il leur faut savoir
comment lutter, comment surmonter leur faiblesse, comment acquérir vigueur et
unité. Leur situation économique est si facile à comprendre, leur exploitation
si évidente, que l’unité dans la lutte, la volonté collective de prendre la
production en main, devraient à première vue en résulter sur-le-champ. Ce qui
leur brouille la vue et les en empêche, c’est avant tout la puissance d’idées
héritées et injectées, le formidable pouvoir spirituel du monde bourgeois,
lequel étouffe leur pensée sous un épais manteau de croyances et d’idéologies,
les divise, les rend timorés et leur trouble l’esprit. Dissiper une fois pour
toutes ces épaisses nuées, liquider ce monde des vieilles idées, ce processus
d’élucidation fait partie Intégrante de l’organisation du pouvoir ouvrier,
elle-même processus; il est lié au cheminement de la révolution. Sur ce plan,
la partie du marxisme à mettre en valeur est celle que nous avons appelée sa
philosophie, le rapport des idées à la réalité.
De toutes ces idéologies, la
moins importante est la religion. Comme elle représente l’écorce desséchée d’un
système d’idées reflétant les conditions d’un passé lointain, elle n’a plus
qu’un semblant de pouvoir à l’abri duquel se réfugient tous ceux qui sont
effrayés par le développement capitaliste. Sa base a été continuellement minée
par le capitalisme lui-même. Puis la philosophie bourgeoise l’a remplacée par
la croyance en ces petites idoles, ces abstractions divinisées, telles que
matière, force, causalité, liberté et progrès sociaux. Mais dans la société
bourgeoise moderne, ces idoles oubliées ont été abandonnées et remplacées par
d’autres plus modernes et plus vénérables : l’Etat et la nation. Dans la lutte
pour la domination mondiale entre les vieilles et les nouvelles bourgeoisies,
le nationalisme, idéologie indispensable de cette lutte, est devenu si puissant
qu’il a réussi à entraîner derrière lui une grande masse de travailleurs. Mais
plus importantes encore sont ces, puissances spirituelles comme la démocratie,
l’organisation, le syndicat, le parti, parce que toutes ces conceptions
prennent leurs racines dans la classe ouvrière elle-même et sont nées de sa vie
pratique et de sa propre lutte. Ces conceptions sont toujours plus ou moins
liées au souvenir d’efforts passionnés, de sacrifices dévoués, d’une anxiété
fébrile quant à l’issue du combat, et leur valeur, qui ne fut que momentanée et
fonction des circonstances particulières où elles se développèrent, cède la
place à une croyance en leur efficacité absolue et illimitée. C’est ce qui rend
difficile la transition vers de nouvelles formes de lutte adaptées aux
nouvelles conditions de vie et de travail. Les conditions d’existence
contraignent fréquemment les ouvriers à élaborer de nouvelles formes de lutte
mais les vieilles traditions peuvent les gêner et les retarder considérablement
dans cette tâche. Dans la lutte incessante entre l’héritage idéologique du
passé et les nouvelles nécessités pratiques, il est indispensable que les
ouvriers comprennent que leurs idées ne sont pas des vérités absolues mais des
généralisations tirées d’expériences et de nécessités pratiques antérieures ;
ils doivent aussi comprendre que l’esprit humain a toujours tendance à assigner
une validité absolue à telles ou telles idées, à les considérer comme bonnes ou
mauvaises d’une façon absolue, comme des objets de vénération ou de haine,
rendant ainsi la classe ouvrière esclave de superstitions. Mais ils doivent se
rendre compte de leurs limites et de l’influence des conditions historiques et
pratiques pour vaincre ces superstitions et libérer ainsi leur pensée. Inversement,
ils doivent sans cesse garder à l’esprit ce qu’ils considèrent comme leur
intérêt primordial, comme la base principale de la lutte de la classe ouvrière,
comme la grande ligne directrice de toutes leurs actions, mais sans en faire un
objet d’adoration. Voilà le sens de la philosophie marxiste, qui – outre sa
faculté d’expliquer les expériences quotidiennes et la lutte de classes –
permet d’analyser les relations entre le monde et l’esprit humain, dans la voie
indiquée par Marx, Engels, et Dietzgen; voilà ce qui donne, à la classe
ouvrière, la force nécessaire pour accomplir la grande œuvre de son
auto-émancipation.
Le livre de Lénine, tout au
contraire, a pour but d’imposer aux lecteurs les croyances de l’auteur en une
réalité des notions abstraites. Il ne peut donc être d’aucune utilité aux
ouvriers. Et en fait, ce n’est pas pour les aider qu’il a été publié en Europe
occidentale. Les ouvriers qui veulent la libération de leur classe par
elle-même, ont largement dépassé l’horizon du Parti communiste. Le Parti
communiste, lui, ne voit que son adversaire, le parti rival, la Deuxième
Internationale, essayant de conserver la direction de la classe ouvrière. Comme
le dit Deborin dans la préface de l’édition allemande, l’ouvrage de Lénine
avait pour but de regagner au matérialisme la social-démocratie corrompue par
la philosophie idéaliste bourgeoise, ou de l’intimider par la terminologie plus
radicale et plus violente du matérialisme, et apporter par là une contribution
théorique à la formation du « Front Rouge ». Pour le mouvement ouvrier en
développement, il importe peu de savoir laquelle de ces tendances idéologiques
non marxistes aura raison de l’autre.
Mais d’un autre côté, la
philosophie de Lénine peut avoir une certaine importance pour la lutte des
ouvriers. Le but du Parti communiste – ce qu’il appelle la révolution mondiale
– est d’amener au pouvoir, en utilisant les ouvriers comme force de combat, une
catégorie de chefs qui pourront ensuite mettre sur pied, au moyen du pouvoir
d’Etat, une production planifiée; ce but, dans son essence, coïncide avec le
but final de la social-démocratie. Il ne diffère guère aussi des idées sociales
qui arrivent à maturation au sein de la classe intellectuelle, maintenant
qu’elle s’aperçoit de son importance toujours accrue dans le processus de
production, et dont la trame est une organisation rationnelle de la production,
tournant sous la direction de cadres techniques et scientifiques. Aussi le P.C.
voit en cette classe un allié naturel et cherche à l’attirer dans son camp. Il
s’efforce donc, à l’aide d’une propagande théorique appropriée, de soustraire
l’intelligentsia aux influences spirituelles de la bourgeoisie et du
capitalisme privé en déclin, et de la convaincre d’adhérer à un révolution
destinée à lui donner sa place véritable de nouvelle classe dominante. Au
niveau de la philosophie, cela veut dire la gagner au matérialisme. Une
révolution ne s’accommode pas de l’idéologie douceâtre et conciliante d’un
système idéaliste, il lui faut le radicalisme exaltant et audacieux du
matérialisme. Le livre de Lénine fournit la base de cette action. Sur cette
base un grand nombre d’articles, de revues et de livres ont déjà été publiés,
d’abord en allemand, et en bien plus grand nombre, en anglais, tant en Europe
qu’en Amérique, avec la collaboration d’universitaires russes et de savants
occidentaux célèbres, sympathisants du Parti communiste. On remarque tout de
suite, rien qu’au contenu de ces écrits, qu’ils ne sont pas destinés à la
classe ouvrière, mais aux intellectuels des pays occidentaux. Le léninisme leur
est exposé – sous le nom de marxisme ou de « dialectique » – et on leur dit que
c’est la théorie générale et fondamentale du monde et que toutes les sciences
particulières n’en sont que des parties qui en découlent. Il est clair qu’avec
le véritable marxisme, c’est-à-dire la théorie de la véritable révolution
prolétarienne, une telle propagande n’aurait aucune chance de réussite; mais
avec le léninisme, théorie d’une révolution bourgeoise installant au pouvoir
une nouvelle classe dirigeante, elle a pu et peut réussir. Seulement, il y a un
hic : la classe intellectuelle n’est pas assez nombreuse, – elle occupe des
positions trop hétérogènes au point de vue social et, par conséquent, elle est
trop faible pour être capable à elle seule de menacer vraiment la domination
capitaliste. Les chefs de la IIe comme de la IIIe internationale, eux non plus,
ne sont pas de force à disputer le pouvoir à la bourgeoisie, et cela quand bien
même ils réussiraient à s’affirmer grâce à une politique ferme et claire, au
lieu d’être pourris par l’opportunisme. Mais si jamais le capitalisme se
trouvait sur le point de sombrer dans une crise grave, économique ou politique,
de nature à faire sortir les masses de leur apathie, et si la classe ouvrière reprenait
le combat et réussissait, par une première victoire, à ébranler le capitalisme
– alors, leur heure sonnera. Ils interviendront et se pousseront ou premier
rang, joueront les chefs de la révolution, soi-disant pour participer à la
lutte, en fait pour dévier l’action en direction des buts de leur parti. Que la
bourgeoisie vaincue se rallie ou non à eux, en sorte de sauver du capitalisme
ce qui peut être sauvé, c’est une question secondaire; de toute manière, leur
intervention se réduit à tromper les ouvriers, à leur faire abandonner la voie
de la liberté. Et nous voyons ici l’importance que peut avoir le livre de
Lénine pour le mouvement ouvrier futur. Le Parti communiste, bien qu’il puisse
perdre du terrain chez les ouvriers, tente de former avec les socialistes et
les intellectuels un front uni, prêt, à la première crise importante du
capitalisme, à prendre le pouvoir sur les ouvriers et contre eux. Le léninisme
et son manuel philosophique servira alors, sous le nom de marxisme, à intimider
les ouvriers et à s’imposer aux intellectuels, comme un système de pensée
capable d’écraser les puissances spirituelles réactionnaires. Ainsi la classe
ouvrière en lutte, s’appuyant sur le marxisme, trouvera sur son chemin cet
obstacle : la philosophie léniniste, théorie d’une classe qui cherche à
perpétuer l’esclavage et l’exploitation des ouvriers.
Amsterdam. Juillet 1938.
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