« Quand un leader honnête
s’engage dans une impasse, quand il ne sait plus comment s’en tirer, il donne
sa démission et cède sa place à d’autres. S’il n’y a personne capable de mieux
tenir son rôle, il exposera devant tout le monde avec franchise les obstacles
et attendra ensemble avec la communauté qu’une solution se présente, soit par
les circonstances, soit par la découverte de particuliers. Mais le politicard
n’a pas le courage d’être aussi honnête!
Pour la défense du mouvement
ouvrier mondial il faut bien dire qu’on lui a rendu particulièrement difficile
la lutte pour la démocratie des foules laborieuses, pour la démocratie
authentique et réelle, et non la pseudo-démocratie qui se gargarise de mots. On
a toujours donné raison à ceux qui proclamaient: «La dictature du prolétariat
est une dictature comme les autres. On s’en rend nettement compte aujourd’hui,
car autrement on ne serait pas obligé d’«introduire la démocratie.» On aurait
tort de se réjouir des éloges que la social-démocratie a prodigués à l’Union
Soviétique («recueillement», «démocratie», «enfin»). C’était une pilule amère,
une formalité. Une régression objective au cours de l’évolution est souvent
nécessaire et doit être acceptée ; mais la dissimulation de la régression, le
recours aux illusions, aux méthodes et aux mensonges fascistes ne sauraient se
justifier. Qu’on s’imagine que Lénine eût déclaré, en introduisant en 1923 la
«Nouvelle Politique Économique» (N.E.P.): «Nous nous sommes haussés d’une phase
inférieure à une phase supérieure de la dictature prolétarienne. L’introduction
de la «Nouvelle Politique Économique» constitue un immense pas en avant sur la
route du communisme.» Une telle déclaration aurait sapé la confiance du peuple
dans les dirigeants soviétiques. En réalité, Lénine commenta sa «Nouvelle
Politique Économique «par les propos suivants:
«
C’est une mesure triste et cruelle, mais pour le moment inévitable. L’économie
du communisme de guerre s’est heurtée à des difficultés imprévues. Il nous faut
faire un pas en arrière, pour reprendre ensuite avec d’autant plus de certitude
notre marche en avant. Nous rendons un peu de liberté au commerce privé pour
nous en tirer, mais nous savons fort bien ce que nous faisons ».
Lors de l’«introduction de la démocratie
soviétique» on aurait cherché en vain tant d’objectivité et tant de franchise.
Or, en 1935, elle aurait été plus nécessaire que jamais. Elle aurait contribué
à gagner à la cause soviétique des millions d’amis dans le monde; elle aurait
mobilisé la pensée; elle aurait peut-être rendu inutile le pacte avec Hitler,
dont on a essayé d’attribuer la responsabilité aux Trotskystes. En fait, on
assista à la transformation de la démocratie sociale de Lénine en un nouveau
nationalisme russe.
Dans la Gazette Rouge de
Leningrad, l’organe central des bolcheviks russes, nous lisons, dans le n° 14
du 4 février 1935:
«Notre
amour, notre fidélité, notre force, notre cœur, notre héroïsme, notre vie –
tout est à toi, prends-les, ô grand Staline, tout t’appartient, ô leader de la
grande patrie. Commande à tes fils, ils sont capables de se déplacer en l’air
et sous terre, dans l’eau et dans la stratosphère [11] . Les humains de toutes
les époques et de toutes les nations diront que ton nom est le plus glorieux,
le plus fort, le plus sage, le plus beau de tous. Ton nom figure sur chaque
usine, sur chaque machine, sur chaque lopin de terre, dans chaque cœur humain.
Si ma femme bien-aimée met au monde un enfant, le premier mot que je lui
apprendrai sera « Staline ». »
Dans la Pravda du 19 mars 1935
(citée par le Rundschau, n° 15, p. 787, 1935) on nous brosse sous le titre
«Patriotisme soviétique», un tableau du «patriotisme socialiste» qui commence à
faire une concurrence sérieuse au «patriotisme fasciste»:
«
Le patriotisme soviétique – sentiment ardent d’amour illimité, de dévouement
inconditionnel à la patrie, de responsabilités de sa destinée et de sa défense
– jaillit des profondeurs insondables de notre peuple. Jamais nulle part,
l’héroïsme du combat pour la patrie ne s’est haussé à un niveau comparable au
nôtre. L’histoire inimitable et merveilleuse du mouvement révolutionnaire en
Russie, l’histoire de l’Union Soviétique, ont montré et montrent encore ce que
les travailleurs sont capables d’accomplir quand le sol de la patrie est en
jeu. Dans l’activité illégale, sur les barricades, dans les cavalcades de la
rapide cavalerie de Boudjenni, au feu de la boîte à mitraille des armées
d’airain de la Révolution, au pas cadencé des ouvriers d’usines et de
l’industrie socialiste, dans l’hymne des travailleurs des villes et des
campagnes, dans l’activité du Parti Communiste a retenti et retentit encore le
chant immense, immortel de notre cher pays libéré et rénové.
C’est
l’Union Soviétique choyée et élevée par Lénine et Staline ! Elle se laisse
caresser par les rayons du printemps qui a commencé avec la Révolution
d’Octobre ! Les ruisseaux se mirent à murmurer, les rivières engourdies
rompirent la glace, toutes les énergies des populations laborieuses se mirent
en mouvement pour ouvrir de nouvelles perspectives à l’évolution historique
grâce à l’Union Soviétique, grâce au rayonnement de sa gloire et de sa
puissance. On voit se lever la semence d’une vie prospère et d’une culture
socialiste. Nous portons la bannière rouge du communisme vers de nouvelles
hauteurs, tout près du ciel bleu.
Le
patriotisme soviétique, c’est l’amour de notre peuple pour un pays qui a été
arraché, au prix du sang et à la pointe de l’épée, aux capitalistes et aux
grands propriétaires fonciers; c’est son attachement à la vie grandiose créée
par notre grand peuple ; c’est la garde vigilante et armée que nous montons à
l’Est et à l’Ouest; c’est le dévouement au grand héritage culturel du génie
humain qui s’est épanoui dans notre pays et seulement dans notre pays [12] .
Peut-on s’étonner que des étrangers s’approchent de la frontière de l’Union
Soviétique, des gens ayant reçu une éducation différente, pour s’incliner
profondément devant ce refuge de la civilisation, devant l’État du drapeau
rouge ?
Union
Soviétique, ô printemps de l’humanité ! Le nom de Moscou a pour les
travailleurs, pour les paysans, pour tous les hommes honnêtes et cultivés de la
terre la résonance d’un tocsin, mais il signifie aussi l’espoir d’un avenir
lumineux et de la victoire sur la barbarie fasciste… Dans notre pays socialiste
il est impossible de séparer les intérêts du peuple de ceux du pays et de son
gouvernement. La source du patriotisme soviétique réside dans le fait que notre
peuple est en train de forger sous la direction du Parti Communiste sa propre
vie, que notre beau et riche pays n’a été révélé aux couches laborieuses que
par l’autorité soviétique. À l’attachement naturel à la patrie, à la terre et
au ciel qui nous ont vus naître, s’ajoute la force gigantesque de la fierté que
nous éprouvons à l’endroit de notre patrie socialiste, de son grand parti
communiste, de son Staline. C’est l’idée du patriotisme soviétique qui donne
naissance, qui fait grandir des millions de héros, de chevaliers, de guerriers
prêts à se ruer comme une avalanche dévorante sur les ennemis du pays et à les
balayer de la surface de la terre. C’est au sein maternel que notre jeunesse
boit l’amour de la patrie. Nous sommes obligés d’élever de nouvelles
générations de patriotes soviétiques qui placent les intérêts du pays plus haut
que tout le reste, plus haut que leurs vies… …
C’est
avec le plus grand soin, avec la plus grande adresse, la plus grande force
créatrice que nous nourrissons – comme une plante fragile – l’esprit invincible
du patriotisme soviétique. Le patriotisme soviétique est une des manifestations
les plus éminentes de la Révolution d’Octobre. Il est un réservoir inépuisable
de force, de hardiesse, de fraîcheur juvénile, d’héroïsme, d’émotion, de
beauté, de mouvement!
Le
patriotisme soviétique embrase notre pays comme une immense flamme. Il fait
avancer la vie. Il réchauffe les moteurs de nos chars d’assaut, de nos
bombardiers lourds, de nos destroyers, il sert de munition à nos canons. Le
patriotisme soviétique veille à nos frontières, où des ennemis perfides et
voués au désastre menacent notre vie paisible, notre puissance et notre
gloire…»
« Quand les masses
humaines réclament à grands cris des statues plus grandes que nature de leurs
«führer», elles sont en train de perdre le sens de leurs responsabilités. Du
temps de Lénine, on ignorait le culte artificiel des leaders et on ne voyait
nulle part les images gigantesques des leaders du prolétariat. On sait que
Lénine détestait ce genre d’hommages. »
« Les organisations
social-démocrates des ouvriers de la ville de Vienne ont considéré
l’inauguration du métro par la municipalité social-démocrate de Vienne comme
une prouesse spécifiquement social-démocrate. Les ouvriers de Moscou réunis
sous la bannière communiste, qui, par principe, considèrent la
social-démocratie viennoise comme un parti ennemi, voient dans le métro réalisé
par la municipalité communiste de Moscou une prouesse spécifiquement
communiste. Les ouvriers allemands considèrent le projet du chemin de fer de
Bagdad comme une réalisation spécifiquement allemande. Ces exemples mettent en
évidence le caractère pestiféré des satisfactions politiques illusoires puisées
à la source de l’irrationalisme. Elles dissimulent le fait pourtant patent
qu’un chemin de fer allemand ou viennois ou moscovite se construit selon des
principes internationaux strictement similaires, d’une manière absolument
semblable. Tous ces travailleurs ne disent pas: «Le lien qui nous unit tous,
c’est notre travail et nos performances. Tâchons de nous mettre ensemble, de
nous consulter et de voir comment nous pourrons apprendre aux ouvriers chinois
à appliquer nos principes de travail.» Non! L’ouvrier allemand est profondément
convaincu que son chemin de fer est tout à fait différent, qu’il est meilleur,
disons plus «wotanique» que le chemin de fer russe. C’est pourquoi il ne songe
pas à aider les Chinois à construire le leur. Bien au contraire, fasciné par sa
satisfaction nationaliste imaginaire, il suit quelque général pestiféré qui se
propose de voler aux Chinois leur chemin de fer. C’est ainsi que la peste
émotionnelle de la politique sème la dissidence et l’inimitié dans la même
classe, qu’elle suscite l’envie, la vantardise, l’opportunisme,
l’irresponsabilité. La suppression des satisfactions illusoires et leur
remplacement par des satisfactions réelles fondées sur l’intérêt du travail et
par la coopération ouvrière internationale sont les conditions sine qua non du
déracinement de l’État totalitaire dans les structures caractérielles des
travailleurs. Ce n’est qu’ainsi que les masses laborieuses trouveront les
forces nécessaires pour adapter la technique aux besoins des masses. »
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