mardi 20 juillet 2021

La psychologie de la masse du fascisme par Wilhelm Reich

 

« Quand un leader honnête s’engage dans une impasse, quand il ne sait plus comment s’en tirer, il donne sa démission et cède sa place à d’autres. S’il n’y a personne capable de mieux tenir son rôle, il exposera devant tout le monde avec franchise les obstacles et attendra ensemble avec la communauté qu’une solution se présente, soit par les circonstances, soit par la découverte de particuliers. Mais le politicard n’a pas le courage d’être aussi honnête!

Pour la défense du mouvement ouvrier mondial il faut bien dire qu’on lui a rendu particulièrement difficile la lutte pour la démocratie des foules laborieuses, pour la démocratie authentique et réelle, et non la pseudo-démocratie qui se gargarise de mots. On a toujours donné raison à ceux qui proclamaient: «La dictature du prolétariat est une dictature comme les autres. On s’en rend nettement compte aujourd’hui, car autrement on ne serait pas obligé d’«introduire la démocratie.» On aurait tort de se réjouir des éloges que la social-démocratie a prodigués à l’Union Soviétique («recueillement», «démocratie», «enfin»). C’était une pilule amère, une formalité. Une régression objective au cours de l’évolution est souvent nécessaire et doit être acceptée ; mais la dissimulation de la régression, le recours aux illusions, aux méthodes et aux mensonges fascistes ne sauraient se justifier. Qu’on s’imagine que Lénine eût déclaré, en introduisant en 1923 la «Nouvelle Politique Économique» (N.E.P.): «Nous nous sommes haussés d’une phase inférieure à une phase supérieure de la dictature prolétarienne. L’introduction de la «Nouvelle Politique Économique» constitue un immense pas en avant sur la route du communisme.» Une telle déclaration aurait sapé la confiance du peuple dans les dirigeants soviétiques. En réalité, Lénine commenta sa «Nouvelle Politique Économique «par les propos suivants:

« C’est une mesure triste et cruelle, mais pour le moment inévitable. L’économie du communisme de guerre s’est heurtée à des difficultés imprévues. Il nous faut faire un pas en arrière, pour reprendre ensuite avec d’autant plus de certitude notre marche en avant. Nous rendons un peu de liberté au commerce privé pour nous en tirer, mais nous savons fort bien ce que nous faisons ».

 Lors de l’«introduction de la démocratie soviétique» on aurait cherché en vain tant d’objectivité et tant de franchise. Or, en 1935, elle aurait été plus nécessaire que jamais. Elle aurait contribué à gagner à la cause soviétique des millions d’amis dans le monde; elle aurait mobilisé la pensée; elle aurait peut-être rendu inutile le pacte avec Hitler, dont on a essayé d’attribuer la responsabilité aux Trotskystes. En fait, on assista à la transformation de la démocratie sociale de Lénine en un nouveau nationalisme russe.

Dans la Gazette Rouge de Leningrad, l’organe central des bolcheviks russes, nous lisons, dans le n° 14 du 4 février 1935:

«Notre amour, notre fidélité, notre force, notre cœur, notre héroïsme, notre vie – tout est à toi, prends-les, ô grand Staline, tout t’appartient, ô leader de la grande patrie. Commande à tes fils, ils sont capables de se déplacer en l’air et sous terre, dans l’eau et dans la stratosphère [11] . Les humains de toutes les époques et de toutes les nations diront que ton nom est le plus glorieux, le plus fort, le plus sage, le plus beau de tous. Ton nom figure sur chaque usine, sur chaque machine, sur chaque lopin de terre, dans chaque cœur humain. Si ma femme bien-aimée met au monde un enfant, le premier mot que je lui apprendrai sera « Staline ». »

 

Dans la Pravda du 19 mars 1935 (citée par le Rundschau, n° 15, p. 787, 1935) on nous brosse sous le titre «Patriotisme soviétique», un tableau du «patriotisme socialiste» qui commence à faire une concurrence sérieuse au «patriotisme fasciste»:

« Le patriotisme soviétique – sentiment ardent d’amour illimité, de dévouement inconditionnel à la patrie, de responsabilités de sa destinée et de sa défense – jaillit des profondeurs insondables de notre peuple. Jamais nulle part, l’héroïsme du combat pour la patrie ne s’est haussé à un niveau comparable au nôtre. L’histoire inimitable et merveilleuse du mouvement révolutionnaire en Russie, l’histoire de l’Union Soviétique, ont montré et montrent encore ce que les travailleurs sont capables d’accomplir quand le sol de la patrie est en jeu. Dans l’activité illégale, sur les barricades, dans les cavalcades de la rapide cavalerie de Boudjenni, au feu de la boîte à mitraille des armées d’airain de la Révolution, au pas cadencé des ouvriers d’usines et de l’industrie socialiste, dans l’hymne des travailleurs des villes et des campagnes, dans l’activité du Parti Communiste a retenti et retentit encore le chant immense, immortel de notre cher pays libéré et rénové.

C’est l’Union Soviétique choyée et élevée par Lénine et Staline ! Elle se laisse caresser par les rayons du printemps qui a commencé avec la Révolution d’Octobre ! Les ruisseaux se mirent à murmurer, les rivières engourdies rompirent la glace, toutes les énergies des populations laborieuses se mirent en mouvement pour ouvrir de nouvelles perspectives à l’évolution historique grâce à l’Union Soviétique, grâce au rayonnement de sa gloire et de sa puissance. On voit se lever la semence d’une vie prospère et d’une culture socialiste. Nous portons la bannière rouge du communisme vers de nouvelles hauteurs, tout près du ciel bleu.

Le patriotisme soviétique, c’est l’amour de notre peuple pour un pays qui a été arraché, au prix du sang et à la pointe de l’épée, aux capitalistes et aux grands propriétaires fonciers; c’est son attachement à la vie grandiose créée par notre grand peuple ; c’est la garde vigilante et armée que nous montons à l’Est et à l’Ouest; c’est le dévouement au grand héritage culturel du génie humain qui s’est épanoui dans notre pays et seulement dans notre pays [12] . Peut-on s’étonner que des étrangers s’approchent de la frontière de l’Union Soviétique, des gens ayant reçu une éducation différente, pour s’incliner profondément devant ce refuge de la civilisation, devant l’État du drapeau rouge ?

Union Soviétique, ô printemps de l’humanité ! Le nom de Moscou a pour les travailleurs, pour les paysans, pour tous les hommes honnêtes et cultivés de la terre la résonance d’un tocsin, mais il signifie aussi l’espoir d’un avenir lumineux et de la victoire sur la barbarie fasciste… Dans notre pays socialiste il est impossible de séparer les intérêts du peuple de ceux du pays et de son gouvernement. La source du patriotisme soviétique réside dans le fait que notre peuple est en train de forger sous la direction du Parti Communiste sa propre vie, que notre beau et riche pays n’a été révélé aux couches laborieuses que par l’autorité soviétique. À l’attachement naturel à la patrie, à la terre et au ciel qui nous ont vus naître, s’ajoute la force gigantesque de la fierté que nous éprouvons à l’endroit de notre patrie socialiste, de son grand parti communiste, de son Staline. C’est l’idée du patriotisme soviétique qui donne naissance, qui fait grandir des millions de héros, de chevaliers, de guerriers prêts à se ruer comme une avalanche dévorante sur les ennemis du pays et à les balayer de la surface de la terre. C’est au sein maternel que notre jeunesse boit l’amour de la patrie. Nous sommes obligés d’élever de nouvelles générations de patriotes soviétiques qui placent les intérêts du pays plus haut que tout le reste, plus haut que leurs vies… …

C’est avec le plus grand soin, avec la plus grande adresse, la plus grande force créatrice que nous nourrissons – comme une plante fragile – l’esprit invincible du patriotisme soviétique. Le patriotisme soviétique est une des manifestations les plus éminentes de la Révolution d’Octobre. Il est un réservoir inépuisable de force, de hardiesse, de fraîcheur juvénile, d’héroïsme, d’émotion, de beauté, de mouvement!

Le patriotisme soviétique embrase notre pays comme une immense flamme. Il fait avancer la vie. Il réchauffe les moteurs de nos chars d’assaut, de nos bombardiers lourds, de nos destroyers, il sert de munition à nos canons. Le patriotisme soviétique veille à nos frontières, où des ennemis perfides et voués au désastre menacent notre vie paisible, notre puissance et notre gloire…»

 

« Quand les masses humaines réclament à grands cris des statues plus grandes que nature de leurs «führer», elles sont en train de perdre le sens de leurs responsabilités. Du temps de Lénine, on ignorait le culte artificiel des leaders et on ne voyait nulle part les images gigantesques des leaders du prolétariat. On sait que Lénine détestait ce genre d’hommages. »

 

« Les organisations social-démocrates des ouvriers de la ville de Vienne ont considéré l’inauguration du métro par la municipalité social-démocrate de Vienne comme une prouesse spécifiquement social-démocrate. Les ouvriers de Moscou réunis sous la bannière communiste, qui, par principe, considèrent la social-démocratie viennoise comme un parti ennemi, voient dans le métro réalisé par la municipalité communiste de Moscou une prouesse spécifiquement communiste. Les ouvriers allemands considèrent le projet du chemin de fer de Bagdad comme une réalisation spécifiquement allemande. Ces exemples mettent en évidence le caractère pestiféré des satisfactions politiques illusoires puisées à la source de l’irrationalisme. Elles dissimulent le fait pourtant patent qu’un chemin de fer allemand ou viennois ou moscovite se construit selon des principes internationaux strictement similaires, d’une manière absolument semblable. Tous ces travailleurs ne disent pas: «Le lien qui nous unit tous, c’est notre travail et nos performances. Tâchons de nous mettre ensemble, de nous consulter et de voir comment nous pourrons apprendre aux ouvriers chinois à appliquer nos principes de travail.» Non! L’ouvrier allemand est profondément convaincu que son chemin de fer est tout à fait différent, qu’il est meilleur, disons plus «wotanique» que le chemin de fer russe. C’est pourquoi il ne songe pas à aider les Chinois à construire le leur. Bien au contraire, fasciné par sa satisfaction nationaliste imaginaire, il suit quelque général pestiféré qui se propose de voler aux Chinois leur chemin de fer. C’est ainsi que la peste émotionnelle de la politique sème la dissidence et l’inimitié dans la même classe, qu’elle suscite l’envie, la vantardise, l’opportunisme, l’irresponsabilité. La suppression des satisfactions illusoires et leur remplacement par des satisfactions réelles fondées sur l’intérêt du travail et par la coopération ouvrière internationale sont les conditions sine qua non du déracinement de l’État totalitaire dans les structures caractérielles des travailleurs. Ce n’est qu’ainsi que les masses laborieuses trouveront les forces nécessaires pour adapter la technique aux besoins des masses. »

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