« Le Che était l’être humain le plus complet de notre époque » — Jean Paul Sartre
Une paysanne allume un cierge
pour le saint et prie pour que son jeune fils aille bien et que la récolte de
patate soit bonne cette année. Ses prières, et celles des autres paysanNEs, ont
été entendues auparavant disent les villageoisES. « Il ressemblait vraiment à
Notre Seigneur gisant mort, là dans l’école » racontait[1]elle au journaliste de la télévision. Le nom
de ce saint qui fait des miracles ? Ernesto Che Guevara !
Ne rions pas de ces paysanNEs.
Ne les regardons pas d’en haut depuis notre arrogance du « monde développé ».
Il n’y a pas de doute que le Che intervient dans leurs vies frappées par la
pauvreté – comme le font tous/tes les saintEs. Et qui sommes nous pour prétendre
avoir une connaissance absolue du monde et de l’esprit humain et de toutes ses
œuvres ?
Comment le Che se sentirait-il
à propos de l’encens et des chandelles brulés en son nom ? En tant que militant
communiste et athé, il aurait congédié cela comme étant de la superstition
primitive venant d’un passé réactionnaire. Quelle ironie pour une telle
personne de devenir un saint. Mais il n’y a pas que les paysanNEs bolivienNEs
qui ont de la vénération pour le guérillero mort. Trente ans après sa mort, son
image est collée sur les murs de la moitié des chambres universitaires du
monde. Son regard sévère et ascétique vous fait baisser les yeux depuis des
tee-shirts et des badges innombrables. La mystique du Che Guevara est très
largement répandue.
Cela n’aide pas de demander
s’il mérite cette idolâtrie. Au premier coup d’œil on peut facilement donner
sans réserve une réponse affirmative. Il était quelqu’un qui avait la position
N°2 à Cuba, qui descendit pour combattre dans la jungle pour ce qu’il croyait
être la libération. Atteint d’asthme et avec une bande minuscule de partisans,
il fut pourchassé et assassiné par l’armée bolivienne. Guevara était également
le parfait personnage romantique – beau, charismatique et sincèrement aimé par
les femmes. Pas un clone intellectuel et sans vie de Staline, ni un pervers
secret comme Mao ou un mégalomane comme son vieil ami Fidel, mais un homme
vrai. Il aurait pu sortir d’un roman.
Et il ressemble au Christ
gisant mort dans cette célèbre photo.
Oui, il est possible de comprendre
la fascination que de nombreuses personnes, particulièrement les jeunes, ont
pour cet homme. Mais comprendre un phénomène est une chose et croire qu’il
donne une vraie image de la réalité en est une autre. Pour cela, il faut
regarder au delà de la mystique.
Le
jeune Che, ou « Don’t cry for me, Argentina »
Durant les années de formation
du Che Guevara, l’Argentine était dominée par le Mouvement Péroniste. Le
péronisme, en grande partie une invention de la brillante femme de Perón, Eva,
était la chose la plus proche d’un fascisme parfait qui ait jamais existé.
Oubliez toute la propagande et
les sottises qui se sont incrustées autour du mot « fasciste ». Oubliez le
nazi-fascisme et le fascisme clérical de Franco et Salazar. Par fascisme
j’entend la véritable essence de ce qui fut un mouvement révolutionnaire – le
fascisme de gauche.
Le véritable et pur fascisme,
comme envisagé par Mussolini, surgit de l’aile gauche militante du socialisme
italien. Il était une tentative d’imposer le programme social-démocrate à
travers la dictature et la force armée. Le mouvement se passait du positivisme
et de l’évolutionnisme stérile du marxisme orthodoxe, leur substituant une
émotivité romantique, un nationalisme extrême, un culte de la volonté et de «
l’homme d’action ». L’objectif était de nationaliser l’industrie et de
subordonner toutes les classes aux besoins de l’État. La classe ouvrière devait
bénéficier de cette révolution _ mais seulement pour autant qu’elle demeurait
soumise à l’État fasciste. Le problème de Mussolini était qu’il n’eut jamais le
soutien de la classe ouvrière et ainsi il dut se tourner vers les classes
moyennes traditionnelles. Et de fait sa révolution demeura pour l’essentiel sur
le papier.
Ce n’était pas situation à laquelle les Perón
faisaient face. Plus de 15 ans avant qu’il et elle ne prennent le pouvoir, les
généraux écrasèrent les puissants syndicats anarcho-syndicalistes et seulEs
quelques vestiges en demeuraient. Les travailleurs/euses étaient pauvres,
inorganiséEs et sans voix. Eva Duarte- Perón fut capable de construire un
mouvement ouvrier en remplissant un vide organisationnel (et quand c’était
nécessaire en écrasant ses opposantEs affaibliEs). Ainsi le péronisme (le
fascisme argentin) avait une base solide parmi les travailleurs/euses. Avec les
encouragements de la toujours énergique Evita, le mouvement nationalisa les
banques, les compagnies d’assurances, les mines et les chemins de fer. De ce
fait, l’Argentine avait probablement le plus grand secteur capitaliste d’État
en dehors du régime stalinien. Les salaires furent augmentés par décrets et une
foule d’avantages sociaux introduits pour les Descamisados (littéralement « les
sans chemises », la classe ouvrière partisane des Perón). Même l’église fut
attaquée. Le jeu « anti-impérialiste » fut joué à l’excès, alternant entre un
anti-américanisme et un sentiment anti-britannique violents. L’Étranger était
le bouc émissaire pour tous les problèmes de l’Argentine.
Che Guevara avait de la
sympathie pour le péronisme et s’était imprégné de la plupart de ses idées. De
beaucoup de manières, il devait demeurer sous le charme de l’idéologie
péroniste toute sa vie. En 1955, après qu’il ait opté pour Staline, il pouvait
également affirmer que « nous devons donner à Perón tout le soutien possible… »
(p. 127) 1 . Quand Perón tomba (il fut renversé par un coup d’État militaire
d’inspiration national-catholique en 1955 – note du CATS), il déclara : « Je
confesse en toute sincérité que la chute de Perón me rendit profondément amer…
L’Argentine était le paladin de tous ceux qui pense que l’ennemi est au Nord »
(p. 182). Durant la révolution cubaine, le Che appelait ses nouvelles recrues
dans la guérilla « Les descamisados » (p. 231), le nom que Perón donnait à ses
partisans.
Cette affection pour le
péronisme ne cessa jamais. Le Che raconta à Angel Borlenghi (l’ancien ministre
de l’intérieur de Perón) en 1961 que Perón était l’incarnation la plus avancée
de la réforme politique et économique en Amérique Latine2 . En 1962, le Che
déclara que les péronistes devaient être inclusES au sein du front
révolutionnaire argentin. Fidel demanda à Perón de visiter Cuba. John Cooke, le
représentant personnel de Perón visita Cuba et loua la révolution (p. 539).
Les
racines fascistes de la conception du monde du Che
On peut voir l’influence
péroniste (et généralement fasciste) dans de nombreux aspects de la vie du Che.
Concernant ce qui était nécessaire pour faire une révolution, le Che croyait
que « Ce qui était requis pour faire des progrès politiques… était un direction
forte et déterminée à utiliser la force » (p. 50). Le Che ne fut jamais
préoccupé par les manières dictatoriales et autocratiques de Fidel. Il croyait
que la véritable révolution pouvait seulement être menée à bien par un « homme
fort » (p. 319).
Il avait également l’obsession
fasciste pour la volonté – « le pouvoir de la volonté triomphera de tout… La
destinée peut être accomplie par la volonté… Mourir, oui, mais criblé de
balles… un souvenir plus durable que mon nom est de combattre pour mourir en
combattant ». Ainsi écrivait Ernesto Guevara à 18 ans en 1947 (p. 44). Ce
n’était pas seulement juste un mélodrame d’adolescent. À l’âge de 25 ans, alors
qu’il était au Guatemala, le Che eut une « révélation » sur laquelle il écrivit
: « Et je vois… comment je meurs comme un sacrifice à la véritable révolution
standardisante des volontés… maintenant mon corps se tort, prêt au combat, et
je prépare mon être comme s’il était une place sacrée afin que le hurlement
bestial du prolétariat puisse résonner » (p. 124).
L’idéologie fasciste écarte la
« modération » et le compromis rationnel avec mépris, voyant cela comme de la
faiblesse et de la décadence. Pour le Che, la modération était quelque chose
qui devait être évitée à tout prix et était l’une « des plus exécrables
qualités. Non seulement je ne suis pas un modéré, j’essayerai de ne jamais
l’être et quand je reconnais que la flamme sacrée en moi a été réduite à une
timide lumière votive, le moins que je puisse faire c’est de vomir sur ma propre
merde » écrivit-il en 1956 (p. 1 99). Des années après, il exprima l’opinion
que « tous ceux qui ont peur ou envisagent une certaine forme de trahison sont
des modérés » (p. 477). Il avait une très pauvre opinion des révolutionnaires
populistes comme Betancourt au Venezuela et Figueres au Costa Rica, sentant que
leur volonté d’établir un compromis avec les américains était le résultat d’une
faiblesse et d’un manque de résolution.
Le fascisme glorifie également
la guerre et idolâtre le militarisme et l’armée. Le Che « identifiait la guerre
comme étant la circonstance idéale dans laquelle atteindre la conscience
socialiste » (p. 299). Il regardait l’armée révolutionnaire comme la «
principale arme de la révolution » et sentait que « la liberté de la presse
était dangereuse » (p. 422).
Le nationalisme enragé,
colporteur de haine et la transformation en bouc émissaires des autres nations
et peuples a toujours été un aspect important du fascisme. Le Che était «
obsédé » par l’idée que les USA étaient à blâmer pour tout. Cette recherche de
boucs émissaires commença à prendre un tour sérieux lors de son premier tour
d’Argentine en 1950, quand il découvrit la pauvreté rurale (p. 52). Il avait
une « …hostilité profondément ancrée envers les USA… Les seules choses qu’il
aimait à propos de ce pays c’était ses poètes et romanciers » (p. 63). Le Che
déclara une fois « Je mourrai avec un sourire sur mes lèvres en combattant ces
gens [les américains] » (p. 345). Il se référait souvent avec xénophobie aux «
blonds du Nord » (mais il était toujours si disposé à rejoindre ces autres «
blonds du Nord » - les russes). L’aspect positif du colonialisme en Afrique
était pour le Che « la haine que le colonialisme a laissé dans l’esprit des
gens » (p. 619).
Le nihilisme et l’idée que «
la fin justifie les moyens » sont des traits fascistes essentiels (également
partagé par le marxisme-léninisme). Tout le passé doit être balayé dans une
grande conflagration et un « homme nouveau » supérieur créé – par la force – si
nécessaire. L’Homme Nouveau est nécessaire – pour ce qui est de l’Homme Ancien
– l’humanité présente – elle est faible et bourgeoise et seulement utile comme
chair à canons dans la lutte pour le glorieux futur. Sacrifier une génération
ou deux pour la cause n’a rien de bouleversant dans la mentalité fasciste.
Comme il le déclara « presque tout ce que nous pensions et ressentions à
l’époque passée devra être raboté et un nouveau type d’être humain créé » (p.
479).
Son empressement à sacrifier
d’innombrables vies pour le « glorieux futur » rendait les tabassages et les
emprisonnements administrés par les Perón presque gentils en comparaison. Après
que les russes aient retiré leurs missiles, refermant ainsi la Crise des
Missiles Cubains de 1962, le Che « enrageait contre la trahison soviétique » et
il déclara au journaliste du Daily Worker (Londres, journal du PC anglais –
note du CATS) que « si les missiles avaient été sous contrôle cubain, ils les
auraient tirés ». Le journaliste « pensait qu’il était cinglé à cause de la manière
dont ça s’était passé à propos des missiles » (p. 545). En 1965, il demanda une
guerre mondiale révolutionnaire et apocalyptique, même si elle déchaînait la
bombe atomique. « Des milliers de personnes mourront partout… Mais cela ne doit
pas nous inquiéter » (souligné par moi). De cette destruction de masse le
nouvel ordre socialiste était supposé se lever (p. 604). Le plan du Che pour la
funeste campagne bolivienne entraînait que « la Bolivie [devait] être sacrifiée
pour la cause de la création des conditions pour des révolutions dans les pays
voisins ». L’idée était de créer de nouvelles guerres du Vietnam en Amérique
Latine et ce faisant clouer au sol et affaiblir les USA. Cela pour provoquer
l’union de la Russie, de la Chine et des mouvements de guérilla du Tiers-monde
en un bloc puissant et ensuite détruire les Etats-Unis (p. 703). Un nouvelle
fois même si ce schéma devait amener une guerre atomique.
Le message du Che à la
rencontre tricontinentale de la Havane en 1967 amena ses impulsions fascistes,
nihilistes et romantiques à une apogée sanglante. Il ne désirait rien d’autre
qu’une « longue et cruelle » confrontation globale. La qualité importante
requise dans cette guerre mondiale était « une haine implacable… nous poussant
au dessus et au-delà des limitations naturelles dont l’homme est héritier, le
transformant en une efficace, violente, séduisante et froide machine à tuer…
(souligné par moi). Cette guerre devait être « totale » et être menée jusqu’à
ce que la fibre morale américaine commence à décliner, « ce qui devait être
symptomatique de la « décadence » des USA ». « D’aussi près que nous regardions
dans un futur lumineux deux, trois, de nombreux Vietnam devraient fleurir…
Toute notre action doit être un hymne de bataille pour l’unité du peuple contre
le plus grand ennemi de l’humanité : les USA. Où que la mort puisse nous
surprendre, donnons lui la bienvenue » (p. 719). Il faut mentionner que la
glorification de la mort est un trait fasciste distinctif et le « Vive la mort
» des phalangistes (les fascistes espagnolEs des années 1930 – note du CATS)
trouve un écho dans le slogan castriste « Patria o Muerte », c'est-à-dire « La
patrie ou la mort ».
Le
Che stalinien
En 1955, le Che était devenu
un stalinien convaincu, écrivant « J’ai juré devant une image du vieux et
regretté Camarade Staline que je ne me reposerais pas jusqu’à ce que je vois
ces pieuvres capitalistes annihilées » (p. 126). Il « était demeuré sceptique
[à propos du marxisme] jusqu’à sa découverte de Staline dans les livres »
tandis qu’il était au Guatemala (p. 565). (Le Che avait toujours eu une
certaine sympathie pour l’URSS et mettait l’anti-communisme à l’index comme
étant un exemple d’un faible culture.)
Il n’est pas difficile de
passer du fascisme au stalinisme (ou le contraire dans ce cas). Les similarités
entre les deux idéologies – la glorification de la violence, de la dictature,
de l’étatisme, du nationalisme, la désignation de boucs émissaires – tendent à
l’emporter sur leurs différences. Là où il y a une différence, c’est dans le
domaine de la philosophie. Le stalinisme, à la différence du fascisme, se
cramponne encore au bagage pseudo scientifique du marxisme. La croyance que «
les lois du développement social » sont de son coté donne aux stalinienNEs un
sentiment de confort psychologique. Elle crée aussi une contradiction
infranchissable – une philosophie sous-jacente qui est d’un déterminisme de
marbre combinée avec une pratique qui est hautement volontariste. (Le Parti
étant « le sujet de l’histoire » - c'est-à-dire le groupe qui fait la révolution
et contrôle les futurs développements de l’État socialiste.)
Pour la théorie du « foco »
(foyer) du Che (Extrapolée à partir de l’expérience de la guérilla cubaine, qui
fut considérée comme exportable alors qu’elle était très spécifique, cette théorie
considérait que l’action volontariste d’un groupe mobile de guérilleros pouvait
entraîner progressivement le ralliement des masses et constituer l’embryon du
futur parti révolutionnaire combattant. L’application de cette théorie fut
partout un échec sanglant. Note du CATS), qui se passe du parti et du mouvement
de masse en faveur d’une minuscule bande de guérilleros, cette contradiction
est intensifiée au degré ultime. Il n’y a qu’à voir la difficulté avec laquelle
il essaye de surmonter ce problème : Aux environs de l’époque de l’invasion de
la Baie des Cochons (1962), le Che écrivait « La classe paysanne d’Amérique, se
basant elle-même sur l’idéologie de la classe ouvrière, dont les grands
penseurs découvrirent les lois sociales nous gouvernant… ». Cependant, ce qui
manquait c’était le dénommé facteur subjectif – « la conscience de la
possibilité de la victoire » qui devait être galvanisée par la lutte armée de
groupes de guérilla (p. 505).
En tant que stalinien, le Che
avait quelques devoirs extrêmement importants à accomplir dans l’intérêt du
mouvement communiste et de l’Union Soviétique. Le premier de ceux-ci était
d’orienter le mouvement du 26 Juillet dans la direction du stalinisme. Très peu
dans le mouvement du 26 Juillet étaient communistes ou même sympathisantEs
communistes. Les autres groupes révolutionnaires comme le Directorat ou les
anarchistes était anti-stalinien de manière militante (le Che et Raul Castro
étaient stalinien, Fidel était très amical avec le PC mais discret à ce
propos). Le Che devint le « participant clé dans les pourparlers délicats avec
le Parti Socialiste Populaire » (le parti communiste cubain) (p. 363). Il «
travaillait secrètement pour cimenter les liens avec le PSP » (p. 389).
L’alliance entre le 26 Juillet et le PSP devait être secrète pour ne pas
scinder le mouvement révolutionnaire ni soulever l’hostilité américaine. La
plupart des patriotes cubainEs haïssaient le PC, qui avait rejoint très
tardivement la lutte et avait été autrefois allié avec Batista !
Après la révolution, le Che
devint la liaison entre le KGB et le nouveau gouvernement révolutionnaire quand
les relations entre Cuba et la Russie devaient être clandestines pour ne pas
mettre en colère le/la cubainE moyenne ni effrayer le Département d’État US (p.
440). Comme l’ancien agent du KGB qui était impliqué avec lui le déclarait « le
Che fut pratiquement l’architecte de nos relations avec Cuba » (p. 492). Mais
ce n’était pas la seule relation qu’il avait avec les russes. Le marché des
missiles nucléaires avec la Russie, qui déclencha presque la Troisième Guerre
Mondiale, fut également conclu par le Che (p. 530).
En 1963, le Che était devenu
découragé quand il réalisa que le modèle russe, qu’il avait passionnément
embrassé dans sa naïveté, n’était pas très bon (p. 565). Peu après, n’apprenant
visiblement pas de ses erreurs avec le stalinisme russe, il devint amoureux du
stalinisme chinois, écrivant « le sacrifice est fondamental… les chinois
comprennent cela très bien, bien mieux que ne le font les russes » (p. 605). Le
Che avait aussi eu plus tôt « un éloge spécial » pour la Chine et la Corée du
Nord (p. 495).
Le
Che exécuteur
Dans la Sierra Maestra, le Che
fut toujours prompt à demander l’exécution de guérilleros ou de paysans locaux
qui n’étaient pas dans ses standards. « Informateurs, insubordonnés,
simulateurs et déserteurs » avaient une balle dans la tête. Fidel était bien
plus tolérant vis à vis de la faiblesse humaine et annula plusieurs des ordres
d’exécution du Che. Les exécutions étaient très fréquentes durant la campagne
de guérilla (p. 231). Il était « notoirement sévère » avec ses punitions. Une
fois il menaça d’abattre un certain nombre de guérilleros qui avaient entamé
une grève de la faim contre les mauvaises provisions. Seule l’intervention de Fidel
l’arrêta (p. 346).
Peu après la chute de Batista,
le Che aida à former le C-2, la nouvelle police secrète. Il fut également
chargé de purger l’armée et la bureaucratie gouvernementale des « traîtres,
espionnEs et hommes de mains de Batista ». Toutefois, ce furent surtout des
individus mineurs qui furent arrêtéEs car les officiers et les hauts
bureaucrates avaient fui avec le dictateur. Le Che était « le procureur suprême
» qui prenait la décision finale d’exécuter ou non (p. 385). Et il exécuta. Le Che
était « sans pitié » (p. 390) et entre janvier et avril 1959 plus de 550
personnes furent abattuEs par des pelotons d’exécution (p. 419). En janvier
1960 des supposéEs partisanEs de Batista ne furent pas les seulEs à recevoir
des balles. Quelques jeunes catholiques furent exécutés pour distribution de
tracts anti-communistes (p. 458).
Le Che est impliqué dans la
destruction de l’anarcho-syndicalisme cubain (et également du trotskisme). Cuba
dans les années 1950 était la scène d’un des derniers grands mouvements
syndicaliste en Amérique Latine. Les anarchistes avaient survécu aux dictatures
de Machado et Batista mais ils/elles ne survécurent pas à deux années de
castrisme. En 1962 le mouvement était réduit à 20 ou 30 membres, des centaines
d’autres avaient fui en exil, avaient été emprisonnéEs ou exécutéEs. Pour
quiconque arborant encore des illusions à propos du caractère prétendument
libertaire du Che, la citation suivante y mettra un terme : « L’individualisme…
doit disparaître à Cuba… [il] devrait être la propre utilisation de l’ensemble
de l’individu pour le bienfait absolu de la communauté » (p. 478). Une telle
opinion sur l’individu était aussi éloignée des idées libertaires qu’on peut
l’être.
Le
Che bureaucrate
À la fin de 1959 l’autonomie
universitaire – qui avait réussi à survivre sous Batista – fut abolie avec
l’approbation du Che. Un nouveau curriculum d’État fut introduit (p. 449) et
les universités devinrent de simples outils du régime.
En 1960, l’Institut National
de la Réforme Agraire (INRA) fut formée sous la direction du Che. Cette
organisation prit le contrôle de l’économie entière, son travail était dans la
conception initiale de gérer les coopératives d’État (p. 458). Maintenant une
coopérative d’État est une contradiction dans les termes car les coopératives
sont par nature des associations volontaires, possédées et gérées localement.
Ce que l’INRA faisait, c’était nationaliser les coopératives existantes
(certaines étaient anarchistes) et mettre en place une foule de nouvelles
coopératives bidons – essentiellement des fermes d’État. Le 20 février 1960, le
Che annonça une « planification de style soviétique » pour Cuba (p. 462),
quelque chose qui avait été son désir depuis longtemps. (La nomination du Che à
la tête de l’économie cubaine fut un désastre total et aida probablement à le
propulser vers son exploit bolivien suicidaire.)
Étant à la tête de l’économie
cubaine, le Che fut au bout du compte responsable de l’abolition des droits des
travailleurs/euses et de la destruction du mouvement syndical indépendant. Par
rapport à ce dernier, à la fin 1960, les travailleurs/euses avaient perdu le
droit de grève, la sécurité de l’emploi, le congé maladie, la semaine de 44
heures, les heures supplémentaires payées une fois et demi, les congés payés et
été forcéEs de faire du « travail volontaire »3 . Comme pour les syndicats,
ainsi qu’en liquidant l’anarcho[1]syndicalisme,
le régime essayait de faire élire la liste du Parti Communiste à la direction
de la Confédération du Travail Cubaine (CTC). Cela fut rejeté par 90% des
déléguéEs. Les stalinienNEs furent imposéEs d’en haut par l’État. Le leader de
la CTC, David Salvador, un membre important du Mouvement du 26 Juillet, pas
moins, fut condamné à 30 ans de prison pour son opposition à la prise de contrôle
stalinienne de son syndicat. Il purgea sa peine derrière les barreaux avec
environ 700 autres prisonnierEs politiques dont beaucoup étaient sans doute des
syndicalistes4 . La responsabilité du Che dans ces histoires ne pouvait pas
être plus pleine car en octobre 1960 il déclara « la destinée des syndicats est
de disparaître » et il soutint la Loi 647 par laquelle « Le Ministère du
Travail peut prendre le contrôle de tout syndicat, démettre les représentants
et en nommer d’autres… »5 .
La
tragédie de Che Guevara
Le Che dépouillé de la
mythologie n’est pas joli à regarder – à moins que vous admiriez les gens
pleins de haine, de violence et adeptes du despotisme. Mais n’allons pas trop
loin avec cela. Le Che n’était pas un sociopathe à œil de reptile comme Staline
ou un pâle intellectuel fanatique comme Pol Pot. Avant qu’il ne devienne le
Savonarole guérillero de la Sierra Maestra (référence à un moine rigoriste qui
anima une dictature théocratique à Florence entre 1494 et 1498 avant d’être
exécuté – note du CATS), il était connu pour être un blagueur et un farceur. Un
hippie avant l’heure, un amoureux de la poésie, des consersations tard la nuit,
des voyages, du football, de la nourriture, des motos et des femmes. Peu de ses
amiEs pouvaient croire les transformations qui avaient touché leur vieux copain
« El Chancho » après qu’il soit allé à Cuba. (El Chancho était son surnom et
signifie « Le Cochon ». il fut appelé ainsi à cause de son affection pour les
vêtements sales et déguenillés et pour son aversion envers les bains – une de
ses manières de se rebeller contre ses origines de classe supérieure.) Le Che
était essentiellement un jeune homme normal mais rebelle, intelligent et
cultivé.
Quelque chose lui est arrivée.
Oui, il avait absorbé beaucoup des déplaisantes idées de Perón mais comme des
tas d’autres gens. De tels individus continuèrent leurs vies et ne furent pas
détruitEs par une idéologie. La politique n’était pas si importante pour le Che
jusqu’à ce qu’il aille au Guatemala. Là bas il découvrit une idéologie qui «
tilta » avec ses croyances et préjugés sous-jacents, qui semblait expliquer le
monde et donner de la substance et un sens à sa vie. Le Che était
fondamentalement un être humain normal et décent qui devint esclave d’une
religion séculaire cruelle. Son système de croyance le consuma, le força à
faire des choses qu’il n’aurait normalement pas faites. Il le rendit dur et
fanatique. Comme son père, Guevara-Lynch, le déclara « Ernesto brutalisa ses
sensibilités pour devenir un révolutionnaire ». Sa mère caractérisait ce nouvel
Ernesto comme étant « intolérant et fanatique ». ses parents n’étaient pas
opposéEs aux politiques de gauche, seulement à ce que ces politiques étaient en
train de faire à leur fils (p. 605).
Le Che était, du fait de
toutes ses lectures, essentiellement naïf. Considérez la naïveté de devenir un
stalinien en 1955, de ne pas rompre avec le culte durant les révélations de
Khrouchtchev en 1956 (lorsque des milliers d’intellectuelLEs occidentaux/ales
fuirent le PC) et ensuite, à la toute fin, de souhaiter échanger le stalinisme
russe contre sa variété chinoise. Ce n’est pas que les horreurs du stalinisme
n’étaient pas bien connues – nous n’avions pas besoin de Soljenitsyne pour nous
raconter le goulag – toutE anarchiste, trotskiste ou socialiste
anti-stalinienNE aurait pu lui dire la vérité. Peut être que quelqu’un l’a fait
mais il a dû refuser de l’écouter.
Son culte personnel de la
volonté était également naïf, le menant finalement à la mort. Malgré le fait
d’adhérer à un système de croyance qui chancelait sans cesse à propos des «
conditions matérielles », il ignorait la « réalité matérielle » dans sa
dernière lutte de triste mémoire. Comment a-t-il pu balayer de coté le fait que
les paysanNEs bolivienNEs avaient eu des terres durant la révolution populiste
de 1952 et n’étaient pas intéresséEs par un autre soulèvement armé ? Comment ne
pouvait-il pas savoir cela ? Regardez sa déclaration à la Tricontinentale –
comme si attaquer un pays allait briser la volonté de son peuple – comme s’il
pouvait menacer les américains dans la défaite.
Quiconque connaît l’histoire
sait bien que ce n’est pas le cas – essayer de terroriser une nation renforce
seulement la résolution de son peuple. Et si les USA étaient « le plus grand
ennemi de l’humanité » qu’était alors la Russie (ou la Chine) avec leurs
dizaines de millions de personnes massacrées par la fantaisie de dictateurs
mégalomanes ?
Comment ne pouvait-il pas
connaître ces choses ? Ou bien pourquoi ne voulait-il pas les connaître ?
Il n’y a pas de déni du fait
que le Che était physiquement très courageux, encore et encore il se mit dans
le plus grand danger au cours de la lutte de guérilla. C’était vraiment un
brave combattant. Bien que dur dans ses méthodes, il n’était pas un hypocrite –
ses sacrifices, ses souffrances étaient des exemples pour ses hommes. Mais le
courage physique n’est pas si rare, beaucoup de soldats sur le front en ont,
certains criminels aussi. Beaucoup de gens qui appartiennent aux pires sortes
de cultes politiques ou religieux agissent avec une immense bravoure.
Une autre question est la
combinaison du courage physique et moral. Ce dernier, il ne l’avait pas, ni non
plus quiconque croit que « la fin justifie les moyens ». pour montrer du courage
moral, lui, ou n’importe qui d’autre dans sa position, aurait été désireux/se
de sacrifier la révolution à des principes humains supérieurs. Mieux vaut pas
de révolution qu’une qui soit basée sur la terreur et le meurtre de masse.
Mieux vaut risquer l’organisation qu’exécuter des paysans qui veulent rentrer
chez eux (« déserteurs »). Mais pour le Che, comme pour les stalinienNEs, les
fascistes et tous/tes les fanatiques en général, de tels principes sont des
exemples de faiblesse et de sentimentalité libérale. En toute impartialité
cependant, la combinaison du courage physique et moral est très rare. Combien
d’entre nous ont ces traits6 ?
Le Che reflétait son
environnement et ne le transcenda pas. Il fut un reflet du péronisme, du
romantisme, du machisme et de la xénophobie si présents dans l’Argentine des
années 1950. Sa sympathie pour le stalinisme était quelque chose de partagée
par la plupart des intellectuelLEs de l’époque. Même son caractère bohême
correspond au mode de comportement de la jeunesse éduquée des classes
supérieures. Le véritable Grand Homme, ou Grande Femme, transcende les
influences de son époque et de son environnement, brisant les habitudes usées
par le temps et soulevant un ensemble de nouvelles idées. Le Che dépouillé de
son immense courage et de son zèle fanatique fut par conséquent essentiellement
un homme moyen7 .
Le
Che mourut pour nos pêchés
Le Che fut un homme de la rue,
pas un « homme complet » comme Sartre, ce plus incomplet des hommes, le
proclamait (Sartre ne rencontra jamais un dictateur ou un terroriste de gauche
qu’il n’aimait pas). Le Che est chacunE d’entre nous qui a eu un jour l’envie
de tuer unE opposantE politique. Le Che est chacunE d’entre nous qui a haï
quelqu’un avec un point de vue différent. Le Che est chacunE d’entre nous qui a
été aspiréE dans le tourbillon d’une quelconque idéologie politique basée sur
le culte. Le Che est chacunE d’entre nous qui a excusé un acte terroriste. Le
Che est chacunE d’entre nous qui a cru un jour au « par tous les moyens nécessaires
». Le Che c’est moi. Le Che c’est toi. Le Che mit dans une action déterminée
les haines et peurs que nous ressentons. Il était un homme normal, pas un
pervers comme Hitler ou Staline – des despotes qui peuvent simplement être
décrits comme des monstres et ainsi n’ont pas de relations avec moi et le cours
possible de mon action. Le Che, dans un certain sens, « mourut pour nos pêchés
» de gens normaux pris dans l’idéologie, engoncés dans la faiblesse morale et
des problèmes psychologiques qu’ils sont incapables de résoudre d’une manière
constructive. Le Che ne ressemble pas beaucoup à un saint, n’est ce pas ? Mais
il y a une chose à prendre en compte – le pire pêcheur peut parfois devenir un
saint. Saint Paul était un exemple de cela, lui qui fut un temps un violent
persécuteur de chrétienNEs. Bien sûr le Che fut assassiné avant qu’il ait une
chance de voir ses erreurs et vu son réalisme il aurait pu ne jamais le faire
mais qui sait ? Toutefois, sa souffrance, son autodestruction (et sa
destruction d’autres personnes) et son échec final servent d’exemple pour de
jeunes gens de toutes époques. NE SUIVEZ PAS SON CHEMIN ! Si le sacrifice du
Che dissuade les jeunes de tomber dans cet enfer idéologiquement créé, peut
être qu’il aura mérité le manteau de la sainteté8 . Peut être alors devrions
nous brûler un cierge pour Saint Che. Et prier « S’il vous plait, plus de
guérilleros héroïques ! ».
Larry Gambone, Septembre 1997,
RED LION PRESS
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