D'autres camarades traitent
ici du malthusianisme du néo-malthusianisme tels que le conçurent Malthus, Paul
Robin, Drysdale et leurs disciples avec beaucoup plus de compétence scientifique
que je ne saurais le faire. Aussi, me bornerai-je à rechercher quelle est
l'attitude individualiste anarchiste relativement à cette très importante
question. Le point de vue théorique du malthusianisme n'a ja individualistes.
En premier lieu, quelles statistiques valables peut fournir une production non
point basée sur les besoins de la consommation mais réglée sur l'avidité de la
spéculation? En second lieu, l'emploi des moyens préventifs ne rend ni meilleur
ni pire ; les classes aisées le pratiquent et c'est dans leur sein que se
recrutent accapareurs, privilégiés, monopoleurs. La natalité serait-elle
réduite à un strict minimum que cette réduction ne suffirait pas pour rendre
les hommes plus conscients et plus heureux, au sens profond du terme ; ils ne
seraient ni moins ambitieux, ni moins violents, ni moins jaloux. Ce qui
n'empêcherait qu'en régime néo-malthusien, il se trouverait, comme
actuellement, des humains généreux, larges, aux aspirations élevées. Le bon
sens démontre que dans tout milieu social basé sur un contrat imposé, moins on
a de charges, plus on est libre ; moins on accepte de responsabilités, plus on
est indépendant. Des êtres raisonnables sélectionneront toujours, entre leurs
besoins, leurs aspirations, leurs appétits, leurs, fonctions, ceux de nature à
les rendre les moins dépendants possibles des conditions économiques de la société
capitaliste et des préjugés de l'ambiance sociale. Indifférents aux
gémissements des moralistes, négateurs des jouissances sensuelles et prêcheurs
de résignation, des repopulateurs parlementaires aux familles restreintes, des
chefs du socialisme qui comptent sur l'accroissement des miséreux pour les
hisser au pouvoir, les individualistes néo-malthusiens voulurent opposer au
déterminisme aveugle et irraisonné de la nature leur déterminisme individuel,
fait de volonté et de réflexion. Ce n'est donc pas au point de vue de la « loi
de population » que se sont situés les individualistes qui ont réclamé la
faculté de libre exposition de la théorie et de la pratique néo-malthusienne.
Considérant que pour se défendre contre les intempéries, l'homme a construit des
habitations, s'est couvert de vêtements, a allumé du feu ; qu'il a réagi contre
l'obscurité par des appareils d'éclairage toujours plus perfectionnés, contre
la foudre par le paratonnerre, etc., etc., ils ont revendiqué pour l'humain
émancipé la même possibilité d'éviter, par des procédés d'ordre mécanique, la
venue d'une maternité non désirée. A la suite de spécialistes, les
individualistes néo-malthusiens démontrèrent que « la procréation n'est pas une
fonction indispensable à la vie individuelle » ce en quoi elle diffère de
certains phénomènes comme la nutrition, la respiration, etc. C'est partant de
là que les individualistes ont toujours soutenu qu'il était « exorbitant que
d'un coït passager il puisse résulter pour la femme une maternité non désirée,
qu'une relation sexuelle accidentelle fasse envisager à un homme la
responsabilité d'une paternité ». En revendiquant pour leurs compagnes la
faculté d'ètre mère à leur gré les individualistes néo-malthusiens virent, non
un conformisme aux fameuses « lois de Malthus », mais tout simplement : les uns
un « pis aller », les autres « un moyen de résistance de plus contre
l'oppression et le déterminisme des circonstances extérieures ». Ce point
historique fixé, aujourd'hui que des lois liberticides interdisent
rigoureusement toute propagande anticonceptionnelle, les individualistes
anarchistes revendiquent, comme pour toutes les autres expressions de la pensée
humaine, pleine liberté de discussion, de diffusion, d'exposition théorique et
pratique de la thèse de la limitation des naissances. Ici en France, comme cela
a lieu en Russie et avec films à l'appui, si c'est nécessaire pour la démonstra
tion. Une chose est le désir de s'étreindre, autre chose celui de vivre côte à
côte. Rien ne garantit - les exemples abondent pour le prouver - que l'être
avec lequel on cohabite actuellement plaira toujours ou qu'on lui plaira
toujours. Les faits indiquent que des couples ont pu assez longtemps vivre en
bonne harmonie sans enfants ou avec un enfant ou deux, chez lesquels la
mésentente et l'amertume se sont introduits dès que la progéniture s'est
accrue. Les individualistes que le sujet a intéressé ne préconisèrent jamais la
stérilité systématique, bien qu'en ce qui les concerne leur vie en marge des
conventions et des préjugés, leur existence d' « en dehors » ne leur permissent
guère d'assumer les charges d'une progéniture. S'ils revendiquèrent, s'ils
revendiquent pour la femme le « droit » à la maternité librement désirée et
librement consentie, c'est qu'il leur apparaît de toute évidence « que c'est à
la précréatrice, à la mère de décider quand elle veut enfanter et de choisir le
procréateur de son enfant qui peut être autre que son compagnon habituel ». Ils
ont ajouté que c'est une question d'eugénisme, de qualité et non de quantité ;
que des enfants qui viennent au monde à assez grand intervalle, par exemple,
ont beaucoup plus de chance de grandir sainement, de devenir des êtres
instruits, vigoureux, mieux doués, plus aptes que ceux qui se succèdent sans
interruption ou presque. Faisant abstraction des exagérations de l'eugénisme,
l'espèce humaine ne peut retirer qu'un avantage toujours plus appréciable de la
pratique des progénitures sélectionnées. D'autre part, utiliser la volupté
sexuelle, les raffinements de plaisir, de jouissance auxquels elle peut donner
lieu, non plus en vue uniquement de la procréation, mais dans le dessein
d'augmenter son bien-être individuel, n'est-ce pas accroître du même coup le
bien-être de l'espèce, l'espèce (somme toute) se composant d'individus.
E. ARMAND
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