[Extrait du journal hollandais
Spartacus, organe de l’opposition ouvrière de gauche dans le N.A.S. /
Correspondance Internationale Ouvrière, II, n° 6, 25 mars 1933]
A Berlin, le Reichstag a été
incendié. L’incendiaire est un communiste hollandais, Marinus van der Lubbe. Il
motive son action ainsi : « Vengeance contre le capitalisme international ».
Nous n’avons pas une seule raison de douter de ce motif, étant donné que nous
jouissions il y a peu de temps encore du privilège d’entretenir des relations
avec lui. Nous avons appris à le connaître comme un lutteur fidèle, intrépide,
prêt au sacrifice pour le communisme, comme un ouvrier véritablement
révolutionnaire, doué d’une intelligence claire et pénétrante, en qui la lutte
de sa classe était devenue chair et os. C’est donc un besoin impérieux pour
nous, en ces temps de reniement général, de descendre ouvertement sur le champ
de bataille en sa faveur et de prendre position contre les calomnies sales et
ignoblement raffinées qui le poursuivent, inspirées par la clique des chefs
dans leur propre intérêt.
Le lecteur régulier de notre
journal sait que nous ne propageons pas la terreur individuelle comme méthode
de lutte de la classe ouvrière, mais que nous concevons l’action de classe,
donc l’action des masses, et avant tout des masses par elles-mêmes, comme la
possibilité de libération la plus efficace de la classe ouvrière.
Mais cela ne veut pas du tout
dire que nous rejetions sans égards toute action individuelle. Au contraire !
Seuls des dilettantes et des bureaucrates (pour qui la lutte du prolétariat
représente un passe-temps sportif ou un moyen de gagner leur vie et chez qui
manque par conséquent tout sentiment prolétarien révolutionnaire et toute
opinion propre, non apprise par cœur dans les livres), peuvent en arriver à un
tel degré d’arrogance et de rigidité dogmatique.
Quand, le mardi matin, 28
février, les premières nouvelles de l’incendie se répandirent, tous les
ouvriers, du rose au rouge, saluèrent cette action unanimement. L’instinct de
classe prolétarien réagit en faveur du camarade Van der Lubbe. C’est là une
preuve qu’il avait pensé et senti comme des milliers d’autres camarades de
classe et que la différence réside uniquement dans le fait d’agir, c’est-à-dire
qu’il avait eu le courage de faire ce que les autres pensaient avec lui. Ce
n’est que le soir, sous l’influence desséchante de la presse, que l’état
d’esprit changea malheureusement chez une partie d’entre eux — les imbéciles obéissants.
Sans juger à présent l’utilité et le résultat de son activité, la pureté des
intentions de Van der Lubbe est établie pour nous.
L’incendie du Reichstag est
l’action d’un prolétaire révolutionnaire qui percevait clairement la trahison
commise contre la lutte de la classe ouvrière. Il voulait tenter par son geste
de mettre un obstacle à la démagogie nationaliste des nazis et à la démagogie
démocratique des trompeurs parlementaires.
De même que s’en est allé en
fumée le monument de la tromperie démocratique, dans lequel, pendant quatorze
ans, la masse allemande fut vendue au capital, de même devaient se dissiper les
illusions parlementaires qui lièrent les ouvriers allemands au capital. A cette
place nous apportons à notre camarade, voué à la mort, nos hommages
respectueux, parce que la force d’action et l’abnégation qui l’animaient
devront animer la masse si elle veut mettre fin au capitalisme criminel.
Il reste maintenant à discuter
l’affirmation émise par l’unanimité si étrange de la presse capitaliste,
socialiste, bolchevique, anarchiste et syndicaliste : l’incendie aurait été un
acte de provocation des bandits nazis ; c’est à sa suite qu’aurait commencé la
terrorisation de la classe ouvrière allemande, ou qu’elle se serait aggravée
d’une manière importante. Ceci est en contradiction avec les faits. Il est
possible de le contrôler.
Avant l’incendie déjà, les
assemblées et les journaux étaient interdits, la maison Liebknecht se trouvait
en possession des bandes meurtrières, les ouvriers connus comme lutteurs
militants étaient assassinés, les menaces hurlantes, provocatrices, se
multipliaient, et on publia que le gouvernement garderait le pouvoir quel que
soit l’issue des élections. Avant l’incendie déjà, la lutte exterminatrice
contre le communisme et le marxisme, y compris la social-démocratie, était
portée au maximum.
Dans ces circonstances, que
pouvait apporter de plus aux bandes hitlériennes un acte de provocation
dissimulé ? Rien ne s’opposait plus à l’accomplissement de leur programme ? Le
prolétariat est à terre depuis des mois. La classe possédante ne peut pas
souhaiter un meilleur sort que celui qui lui est réservé en Allemagne à
présent. Elle agit tout à sa guise sans rencontrer la moindre opposition.
Qu’elle doit être drôlement agencée, la tète de ceux qui pensent que la
bourgeoisie ne tient pas à s’assurer une exploitation tranquille et parfaite,
mais qu’elle tente par tous les moyens de susciter la résistance des esclaves
pour pouvoir frapper dessus à son tour ! Non, tout allait comme sur des roulettes
en faveur de la bourgeoisie allemande –, elle avait accompli toutes les mesures
en vue de la dictature avant que ne se produisît l’intervention de Van der
Lubbe. Et elle avait réussi à cela parce que toute l’attention de la classe
ouvrière était concentrée, grâce à la bonzocratie, sur le bulletin de vote,
complètement dépourvu de valeur pour les ouvriers.
La tactique de la classe
dirigeante était claire : Les élections devaient fournir une diversion à
l’intérieur, leurs résultats, un trompe-l’œil vis-à-vis de l’étranger. En
réalité, le gouvernement avait détruit depuis longtemps toutes les libertés
bourgeoises, mais il voulait ménager les apparences afin de pouvoir dire à
l’étranger : « Nous sommes les représentants de la majorité du peuple allemand,
la nation allemande est unie, nous sommes arrivés au pouvoir par la voie
constitutionnelle, la race germanique se relève, par conséquent, faites
attention !…
« Nous, la nation allemande,
c’est-à-dire la classe dominante allemande, nous nous refusons à laisser
échapper plus longtemps, en vertu du traité de Versailles, une partie de la
plus-value tirée des ouvriers allemands et qui passe dans la poche des
capitalistes fiançais ; nous exigeons de nouveau pour nous seuls le gâteau tout
entier ».
C’est précisément la tactique
qui leur fut rendue impossible par l’incendie du Reichstag. Cet acte les frappa
de stupeur et réveilla leurs inquiétudes. Ils devaient le considérer,
précisément parce qu’ils sont des bourgeois, comme un « complot largement
ramifié », comme le début de la résistance des « organisations de lutte » du
prolétariat, comme l’accomplissement d’un « ordre », d’un « commandement », et,
dans leur effroi, ils arrêtèrent en masse les « fonctionnaires » des
organisations marxistes comme si ceux-ci n’étaient pas aussi bouleversés
qu’eux-mêmes par cette entrée en scène d’une force inconnue.
Ainsi s’accomplit le
démasquement de la terreur fasciste. Lors du 6 mars et déjà le 28 février, on
sut que les nazis ne s’imposaient en Allemagne que par la prison et l’assassinat.
Ainsi les résultats des élections ne pouvaient plus être utilisés par Hitler et
von Papen comme atout dans la politique extérieure, même si les partis
gouvernementaux obtenaient une majorité écrasante. Et quant à la sécurité
intérieure, ils n’avaient nullement besoin d’un prétexte pour abattre les
organisations ouvrières, parce qu’ils en étaient déjà les maîtres absolus ! Les
organisations ouvrières peuvent subsister en période de dictature du capital,
si elles sont au service de la classe possédante. Sous n’importe quelle
dictature les ouvriers ne sont jamais totalement « inorganisés ». Seulement, il
existe deux classes, prolétariat et bourgeoisie, et ce qui est dans l’intérêt
de l’une est nuisible à l’autre.
Le prolétaire n’a qu’un seul
intérêt : l’émancipation de sa classe. La dissolution d’organisations qui
n’existent que par la permission des dominateurs peut et doit le laisser froid
comme marbre. Quant aux chefs de ces organisations, les « fonctionnaires » dont
les places dépendent de l’existence de chacune d’elles, ils ont des intérêts
contraires à ceux du prolétariat. En somme, aucun intérêt prolétarien n’a été
lésé par l’incendie de la forteresse de tromperie des ouvriers. Seuls les chefs
de partis qui se comptent eux-mêmes, bien à tort, parmi les prolétaires et qui
s’apprêtaient pour le lendemain du 5 mars à s’embarquer avec leurs bagages et
les caisses du parti pour la Suisse ou pour Moscou ont été surpris par
l’incendie du 27 février et entravés dans leurs nobles intentions.
Voilà la raison des
pleurnichements hystériques lancés par eux et leurs collègues de l’étranger,
voilà la raison de l’accusation infâme d’« agent provocateur des nazis » dont
on enveloppe ce qu’il y a de meilleur dans le prolétariat !
Les provocateurs se trouvent
dans les bureaux de partis, qui, avec tout leur « appareil de puissance »,
n’ont fait que livrer le prolétariat au capitalisme — qui ont amené la
catastrophe sur la masse, qui lui ont enseigné à attendre leur commandement —
et qui à présent abandonnent cette même masse sans direction.
Nous n’avons pas pu découvrir
le moindre cas où les chefs se soient mis en tête de la masse pour résister.
Mais nous savons que le parti des masses, la social-démocratie, a protesté
auprès de la Cour suprême du Reich, et que le membre du présidium de
l’Internationale Communiste, Litvinov, a visité, lors de sa traversée de
l’Allemagne, Son Excellence von Neurath, ministre des Affaires Etrangères du
cabinet Hitler. Et cela, Marinus van der Lubbe en a supporté et en supportera
les conséquences.
L’ouvrier allemand,
comprenons-le bien, n’a rien à perdre. Rappelons ici les paroles de Karl Marx,
puisque nous allons commémorer dans quelques jours le cinquantenaire de sa mort
: « Les ouvriers n’ont rien à perdre que leurs chaînes, ils ont un monde à
gagner ». Jamais cela n’a été plus vrai que dans l’époque actuelle. Il n’y a
que ceux qui, dans leur propre intérêt, voulaient maintenir la fiction d’une
social-démocratie, d’un parti communiste, d’une vie syndicale, qui se sentent
aujourd’hui choir dans le vide. La banqueroute des partis se révèle ouvertement
et avec elle la banqueroute de tous ceux qui essaient de manger à deux
râteliers. Ils veulent maintenir chez les ouvriers la croyance au
parlementarisme, à la démocratie, c’est-à-dire au capitalisme ; ils hurlent à
la provocation pour masquer au prolétariat leur rôle de trompeurs et de
traîtres. Le geste de Van der Lubbe aurait pu être le signal de la résistance
ouvrière générale par-dessus la tête des bonzes des partis socialiste et communiste,
et cela plus tôt que la bourgeoisie n’y comptait. Quand les relations entre
camarades sont brisées par la répression, l’action individuelle est au début de
la plus grande importance. Les ouvriers connus comme militants qui ne peuvent
s’esquiver sont des victimes toute désignées. Pourquoi dès lors ne pas lutter
avant qu’il ne soit trop tard ?
Un prolétariat qui attache de
la valeur à des accusations calomnieuses de la part de la bonzocratie contre un
de ses meilleurs camarades de classe est mûr pour suivre le prolétariat
allemand dans la nuit du fascisme. Marinus van der Lubbe a été arrêté, vêtu
simplement de son pantalon ; il avait utilisé le reste de ses vêtements comme
matériel d’allumage ; son seul moyen d’action fut le pétrole. S’il avait été
employé, soit par les nazis, soit par les bolchevicks, ils l’auraient muni d’un
matériel incendiaire bien meilleur.
Il avoua immédiatement parce
qu’il avait été pris en flagrant délit. Il exposa longuement ses idées, mais il
se refusa à parler de ses relations. Est-ce là l’attitude d’un agent
provocateur ? Pourquoi ne nous dit-on rien des « preuves matérielles » ? Parce
qu’elles n’existent pas ! Pourquoi ne nous dit-on rien des « interrogatoires
poussés à fond » ? Parce que Van der Lubbe ne dit rien de ce que ces messieurs
aimeraient tant savoir !
« Il est très peu clair », dit
M. le docteur von Zirfrits. « Il parle un baragouin confus », dit M. le
Conseiller du ministère public, Dr. Mittelbach. « Il est insupportable »,
confirment le Dr. Jan Knuttel, de Leyde, et le commissaire de police de la même
ville. Ce qu’il dit est au-dessus de l’intelligence de ces messieurs les
Docteurs ; ce qu’il tire de sa sagesse à lui, ils ne peuvent le trouver dans
leurs livres d’écoles.
Si le procès se déroule
publiquement et si des rapports nous en parviennent, Van der Lubbe se
justifiera sans doute vis-à-vis de sa classe, le prolétariat.
Max Hölz, lui aussi, a jadis
été traité d’aventurier et beaucoup d’ouvriers honnêtes seront disqualifiés de
cette façon jusqu’à ce que le prolétariat apprenne à distinguer les accusés
innocents des vrais coupables. Alors le jour de sa libération sera proche et il
considérera l’incendie du Musée des ordures, dans lequel les chefs auraient
tant aimé siéger durant des années encore, comme l’expression de la révolte
d’un véritable révolutionnaire. Et le prolétariat honorera alors Marinus van
der Lubbe comme son précurseur et martyr.« Que la classe dominante tremble
devant une révolution communiste… « Les ouvriers n’ont rien à perdre que leurs
chaînes et un monde à gagner… « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
L’opposition ouvrière de
gauche.
La
question de savoir si Van der Lubbe, par son geste n’a pas inconsciemment
aggravé la situation matérielle et morale du prolétariat allemand n’est pas entièrement
résolue pour nous. Mais il fallait la poser. Nous n’avons pas hésité à donner
écho au manifeste du journal Spartacus en faveur du camarade Lubbe, et ainsi à
nous placer en France seuls contre tous, quelles qu’en puissent être les
conséquences pour la vie de notre journal. Cette détermination a été mûrement
pesée, et voici les arguments qui l’ont motivée : 1° Les circonstances dans
lesquelles Lubbe a été exclu du parti communiste hollandais ne sont
déshonorantes que pour le parti lui-même, qui a usé de calomnie envers un
militant dont seule la hardiesse de pensée et d’action l’effrayait. Le Groupe
des Communistes internationaux (Hollande), qui accueillit Lubbe dans ses rangs
comme antiparlementariste conscient, na cessé de proclamer sa solidarité morale
avec la personne de l’incendiaire, bien qu’il soit opposé en principe à
l’action individuelle. Ce groupe composé de militants éprouvés et réfléchis
(tels que le vieux Pannekoek, théoricien de l’extrême-gauche dans la deuxième
et troisième Internationale, tels que Ian Appel, qui mena au troisième Congrès
de Moscou la délégation du K.A.P. sur un navire allemand dont il s’empara à la
tête de l’équipage mutiné n’accorde pas sa confiance à la légère, et il a une
confiance absolue en Lubbe. Cette position est partagée par tous les groupes
d’avant-garde qui ont connu Lubbe et milité à ses côtés, le K. A. P.
hollandais, l’Opposition ouvrière de gauche, le groupe « Alarm », etc. Nous
sommes prêts à répondre de l’intégrité de ces groupes. 2° Lubbe a donné des preuves
éclatantes de sa fidélité a sa classe en refusant de reconnaître comme son
complice — malgré tous les moyens de pression utilisés en pareil cas — soit le
député communiste Torgler, soit l’un quelconque des militants marxistes arrêtés
comme suspects de relations avec lui. Il a énergiquement maintenu avoir agi
seul, sans inspiration ni aide extérieures, et tout ce que nous savons de son
acte démontre qu’il en est bien ainsi. 3° La presse socialo-bolchevisante s’est
emparée sans contrôle et sans bonne foi des arguments les plus incertains, les
plus contradictoires, dans le seul but de salir un homme qui n’a pas voulu se
plier à la discipline des chefs capitulards. Or encourager les résistances de
cet ordre est une des taches de notre organe. Si nous avons tort, qu’on nous le
dise !
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