mercredi 14 juillet 2021

SPARTACUS : LA VERITE SUR L’INCENDIE DU REICHSTAG (1933)

 

[Extrait du journal hollandais Spartacus, organe de l’opposition ouvrière de gauche dans le N.A.S. / Correspondance Internationale Ouvrière, II, n° 6, 25 mars 1933]

A Berlin, le Reichstag a été incendié. L’incendiaire est un communiste hollandais, Marinus van der Lubbe. Il motive son action ainsi : « Vengeance contre le capitalisme international ». Nous n’avons pas une seule raison de douter de ce motif, étant donné que nous jouissions il y a peu de temps encore du privilège d’entretenir des relations avec lui. Nous avons appris à le connaître comme un lutteur fidèle, intrépide, prêt au sacrifice pour le communisme, comme un ouvrier véritablement révolutionnaire, doué d’une intelligence claire et pénétrante, en qui la lutte de sa classe était devenue chair et os. C’est donc un besoin impérieux pour nous, en ces temps de reniement général, de descendre ouvertement sur le champ de bataille en sa faveur et de prendre position contre les calomnies sales et ignoblement raffinées qui le poursuivent, inspirées par la clique des chefs dans leur propre intérêt.

Le lecteur régulier de notre journal sait que nous ne propageons pas la terreur individuelle comme méthode de lutte de la classe ouvrière, mais que nous concevons l’action de classe, donc l’action des masses, et avant tout des masses par elles-mêmes, comme la possibilité de libération la plus efficace de la classe ouvrière.

Mais cela ne veut pas du tout dire que nous rejetions sans égards toute action individuelle. Au contraire ! Seuls des dilettantes et des bureaucrates (pour qui la lutte du prolétariat représente un passe-temps sportif ou un moyen de gagner leur vie et chez qui manque par conséquent tout sentiment prolétarien révolutionnaire et toute opinion propre, non apprise par cœur dans les livres), peuvent en arriver à un tel degré d’arrogance et de rigidité dogmatique.

Quand, le mardi matin, 28 février, les premières nouvelles de l’incendie se répandirent, tous les ouvriers, du rose au rouge, saluèrent cette action unanimement. L’instinct de classe prolétarien réagit en faveur du camarade Van der Lubbe. C’est là une preuve qu’il avait pensé et senti comme des milliers d’autres camarades de classe et que la différence réside uniquement dans le fait d’agir, c’est-à-dire qu’il avait eu le courage de faire ce que les autres pensaient avec lui. Ce n’est que le soir, sous l’influence desséchante de la presse, que l’état d’esprit changea malheureusement chez une partie d’entre eux — les imbéciles obéissants. Sans juger à présent l’utilité et le résultat de son activité, la pureté des intentions de Van der Lubbe est établie pour nous.

L’incendie du Reichstag est l’action d’un prolétaire révolutionnaire qui percevait clairement la trahison commise contre la lutte de la classe ouvrière. Il voulait tenter par son geste de mettre un obstacle à la démagogie nationaliste des nazis et à la démagogie démocratique des trompeurs parlementaires.

De même que s’en est allé en fumée le monument de la tromperie démocratique, dans lequel, pendant quatorze ans, la masse allemande fut vendue au capital, de même devaient se dissiper les illusions parlementaires qui lièrent les ouvriers allemands au capital. A cette place nous apportons à notre camarade, voué à la mort, nos hommages respectueux, parce que la force d’action et l’abnégation qui l’animaient devront animer la masse si elle veut mettre fin au capitalisme criminel.

Il reste maintenant à discuter l’affirmation émise par l’unanimité si étrange de la presse capitaliste, socialiste, bolchevique, anarchiste et syndicaliste : l’incendie aurait été un acte de provocation des bandits nazis ; c’est à sa suite qu’aurait commencé la terrorisation de la classe ouvrière allemande, ou qu’elle se serait aggravée d’une manière importante. Ceci est en contradiction avec les faits. Il est possible de le contrôler.

Avant l’incendie déjà, les assemblées et les journaux étaient interdits, la maison Liebknecht se trouvait en possession des bandes meurtrières, les ouvriers connus comme lutteurs militants étaient assassinés, les menaces hurlantes, provocatrices, se multipliaient, et on publia que le gouvernement garderait le pouvoir quel que soit l’issue des élections. Avant l’incendie déjà, la lutte exterminatrice contre le communisme et le marxisme, y compris la social-démocratie, était portée au maximum.

Dans ces circonstances, que pouvait apporter de plus aux bandes hitlériennes un acte de provocation dissimulé ? Rien ne s’opposait plus à l’accomplissement de leur programme ? Le prolétariat est à terre depuis des mois. La classe possédante ne peut pas souhaiter un meilleur sort que celui qui lui est réservé en Allemagne à présent. Elle agit tout à sa guise sans rencontrer la moindre opposition. Qu’elle doit être drôlement agencée, la tète de ceux qui pensent que la bourgeoisie ne tient pas à s’assurer une exploitation tranquille et parfaite, mais qu’elle tente par tous les moyens de susciter la résistance des esclaves pour pouvoir frapper dessus à son tour ! Non, tout allait comme sur des roulettes en faveur de la bourgeoisie allemande –, elle avait accompli toutes les mesures en vue de la dictature avant que ne se produisît l’intervention de Van der Lubbe. Et elle avait réussi à cela parce que toute l’attention de la classe ouvrière était concentrée, grâce à la bonzocratie, sur le bulletin de vote, complètement dépourvu de valeur pour les ouvriers.

La tactique de la classe dirigeante était claire : Les élections devaient fournir une diversion à l’intérieur, leurs résultats, un trompe-l’œil vis-à-vis de l’étranger. En réalité, le gouvernement avait détruit depuis longtemps toutes les libertés bourgeoises, mais il voulait ménager les apparences afin de pouvoir dire à l’étranger : « Nous sommes les représentants de la majorité du peuple allemand, la nation allemande est unie, nous sommes arrivés au pouvoir par la voie constitutionnelle, la race germanique se relève, par conséquent, faites attention !…

« Nous, la nation allemande, c’est-à-dire la classe dominante allemande, nous nous refusons à laisser échapper plus longtemps, en vertu du traité de Versailles, une partie de la plus-value tirée des ouvriers allemands et qui passe dans la poche des capitalistes fiançais ; nous exigeons de nouveau pour nous seuls le gâteau tout entier ».

C’est précisément la tactique qui leur fut rendue impossible par l’incendie du Reichstag. Cet acte les frappa de stupeur et réveilla leurs inquiétudes. Ils devaient le considérer, précisément parce qu’ils sont des bourgeois, comme un « complot largement ramifié », comme le début de la résistance des « organisations de lutte » du prolétariat, comme l’accomplissement d’un « ordre », d’un « commandement », et, dans leur effroi, ils arrêtèrent en masse les « fonctionnaires » des organisations marxistes comme si ceux-ci n’étaient pas aussi bouleversés qu’eux-mêmes par cette entrée en scène d’une force inconnue.

Ainsi s’accomplit le démasquement de la terreur fasciste. Lors du 6 mars et déjà le 28 février, on sut que les nazis ne s’imposaient en Allemagne que par la prison et l’assassinat. Ainsi les résultats des élections ne pouvaient plus être utilisés par Hitler et von Papen comme atout dans la politique extérieure, même si les partis gouvernementaux obtenaient une majorité écrasante. Et quant à la sécurité intérieure, ils n’avaient nullement besoin d’un prétexte pour abattre les organisations ouvrières, parce qu’ils en étaient déjà les maîtres absolus ! Les organisations ouvrières peuvent subsister en période de dictature du capital, si elles sont au service de la classe possédante. Sous n’importe quelle dictature les ouvriers ne sont jamais totalement « inorganisés ». Seulement, il existe deux classes, prolétariat et bourgeoisie, et ce qui est dans l’intérêt de l’une est nuisible à l’autre.

Le prolétaire n’a qu’un seul intérêt : l’émancipation de sa classe. La dissolution d’organisations qui n’existent que par la permission des dominateurs peut et doit le laisser froid comme marbre. Quant aux chefs de ces organisations, les « fonctionnaires » dont les places dépendent de l’existence de chacune d’elles, ils ont des intérêts contraires à ceux du prolétariat. En somme, aucun intérêt prolétarien n’a été lésé par l’incendie de la forteresse de tromperie des ouvriers. Seuls les chefs de partis qui se comptent eux-mêmes, bien à tort, parmi les prolétaires et qui s’apprêtaient pour le lendemain du 5 mars à s’embarquer avec leurs bagages et les caisses du parti pour la Suisse ou pour Moscou ont été surpris par l’incendie du 27 février et entravés dans leurs nobles intentions.

Voilà la raison des pleurnichements hystériques lancés par eux et leurs collègues de l’étranger, voilà la raison de l’accusation infâme d’« agent provocateur des nazis » dont on enveloppe ce qu’il y a de meilleur dans le prolétariat !

Les provocateurs se trouvent dans les bureaux de partis, qui, avec tout leur « appareil de puissance », n’ont fait que livrer le prolétariat au capitalisme — qui ont amené la catastrophe sur la masse, qui lui ont enseigné à attendre leur commandement — et qui à présent abandonnent cette même masse sans direction.

Nous n’avons pas pu découvrir le moindre cas où les chefs se soient mis en tête de la masse pour résister. Mais nous savons que le parti des masses, la social-démocratie, a protesté auprès de la Cour suprême du Reich, et que le membre du présidium de l’Internationale Communiste, Litvinov, a visité, lors de sa traversée de l’Allemagne, Son Excellence von Neurath, ministre des Affaires Etrangères du cabinet Hitler. Et cela, Marinus van der Lubbe en a supporté et en supportera les conséquences.

L’ouvrier allemand, comprenons-le bien, n’a rien à perdre. Rappelons ici les paroles de Karl Marx, puisque nous allons commémorer dans quelques jours le cinquantenaire de sa mort : « Les ouvriers n’ont rien à perdre que leurs chaînes, ils ont un monde à gagner ». Jamais cela n’a été plus vrai que dans l’époque actuelle. Il n’y a que ceux qui, dans leur propre intérêt, voulaient maintenir la fiction d’une social-démocratie, d’un parti communiste, d’une vie syndicale, qui se sentent aujourd’hui choir dans le vide. La banqueroute des partis se révèle ouvertement et avec elle la banqueroute de tous ceux qui essaient de manger à deux râteliers. Ils veulent maintenir chez les ouvriers la croyance au parlementarisme, à la démocratie, c’est-à-dire au capitalisme ; ils hurlent à la provocation pour masquer au prolétariat leur rôle de trompeurs et de traîtres. Le geste de Van der Lubbe aurait pu être le signal de la résistance ouvrière générale par-dessus la tête des bonzes des partis socialiste et communiste, et cela plus tôt que la bourgeoisie n’y comptait. Quand les relations entre camarades sont brisées par la répression, l’action individuelle est au début de la plus grande importance. Les ouvriers connus comme militants qui ne peuvent s’esquiver sont des victimes toute désignées. Pourquoi dès lors ne pas lutter avant qu’il ne soit trop tard ?

Un prolétariat qui attache de la valeur à des accusations calomnieuses de la part de la bonzocratie contre un de ses meilleurs camarades de classe est mûr pour suivre le prolétariat allemand dans la nuit du fascisme. Marinus van der Lubbe a été arrêté, vêtu simplement de son pantalon ; il avait utilisé le reste de ses vêtements comme matériel d’allumage ; son seul moyen d’action fut le pétrole. S’il avait été employé, soit par les nazis, soit par les bolchevicks, ils l’auraient muni d’un matériel incendiaire bien meilleur.

Il avoua immédiatement parce qu’il avait été pris en flagrant délit. Il exposa longuement ses idées, mais il se refusa à parler de ses relations. Est-ce là l’attitude d’un agent provocateur ? Pourquoi ne nous dit-on rien des « preuves matérielles » ? Parce qu’elles n’existent pas ! Pourquoi ne nous dit-on rien des « interrogatoires poussés à fond » ? Parce que Van der Lubbe ne dit rien de ce que ces messieurs aimeraient tant savoir !

« Il est très peu clair », dit M. le docteur von Zirfrits. « Il parle un baragouin confus », dit M. le Conseiller du ministère public, Dr. Mittelbach. « Il est insupportable », confirment le Dr. Jan Knuttel, de Leyde, et le commissaire de police de la même ville. Ce qu’il dit est au-dessus de l’intelligence de ces messieurs les Docteurs ; ce qu’il tire de sa sagesse à lui, ils ne peuvent le trouver dans leurs livres d’écoles.

Si le procès se déroule publiquement et si des rapports nous en parviennent, Van der Lubbe se justifiera sans doute vis-à-vis de sa classe, le prolétariat.

Max Hölz, lui aussi, a jadis été traité d’aventurier et beaucoup d’ouvriers honnêtes seront disqualifiés de cette façon jusqu’à ce que le prolétariat apprenne à distinguer les accusés innocents des vrais coupables. Alors le jour de sa libération sera proche et il considérera l’incendie du Musée des ordures, dans lequel les chefs auraient tant aimé siéger durant des années encore, comme l’expression de la révolte d’un véritable révolutionnaire. Et le prolétariat honorera alors Marinus van der Lubbe comme son précurseur et martyr.« Que la classe dominante tremble devant une révolution communiste… « Les ouvriers n’ont rien à perdre que leurs chaînes et un monde à gagner… « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

L’opposition ouvrière de gauche.

La question de savoir si Van der Lubbe, par son geste n’a pas inconsciemment aggravé la situation matérielle et morale du prolétariat allemand n’est pas entièrement résolue pour nous. Mais il fallait la poser. Nous n’avons pas hésité à donner écho au manifeste du journal Spartacus en faveur du camarade Lubbe, et ainsi à nous placer en France seuls contre tous, quelles qu’en puissent être les conséquences pour la vie de notre journal. Cette détermination a été mûrement pesée, et voici les arguments qui l’ont motivée : 1° Les circonstances dans lesquelles Lubbe a été exclu du parti communiste hollandais ne sont déshonorantes que pour le parti lui-même, qui a usé de calomnie envers un militant dont seule la hardiesse de pensée et d’action l’effrayait. Le Groupe des Communistes internationaux (Hollande), qui accueillit Lubbe dans ses rangs comme antiparlementariste conscient, na cessé de proclamer sa solidarité morale avec la personne de l’incendiaire, bien qu’il soit opposé en principe à l’action individuelle. Ce groupe composé de militants éprouvés et réfléchis (tels que le vieux Pannekoek, théoricien de l’extrême-gauche dans la deuxième et troisième Internationale, tels que Ian Appel, qui mena au troisième Congrès de Moscou la délégation du K.A.P. sur un navire allemand dont il s’empara à la tête de l’équipage mutiné n’accorde pas sa confiance à la légère, et il a une confiance absolue en Lubbe. Cette position est partagée par tous les groupes d’avant-garde qui ont connu Lubbe et milité à ses côtés, le K. A. P. hollandais, l’Opposition ouvrière de gauche, le groupe « Alarm », etc. Nous sommes prêts à répondre de l’intégrité de ces groupes. 2° Lubbe a donné des preuves éclatantes de sa fidélité a sa classe en refusant de reconnaître comme son complice — malgré tous les moyens de pression utilisés en pareil cas — soit le député communiste Torgler, soit l’un quelconque des militants marxistes arrêtés comme suspects de relations avec lui. Il a énergiquement maintenu avoir agi seul, sans inspiration ni aide extérieures, et tout ce que nous savons de son acte démontre qu’il en est bien ainsi. 3° La presse socialo-bolchevisante s’est emparée sans contrôle et sans bonne foi des arguments les plus incertains, les plus contradictoires, dans le seul but de salir un homme qui n’a pas voulu se plier à la discipline des chefs capitulards. Or encourager les résistances de cet ordre est une des taches de notre organe. Si nous avons tort, qu’on nous le dise !

Aucun commentaire: