Le néo-malthusianisme ou, plus
correctement, le néo-malthusisme, est une doctrine qui a pris pour base les
enseignements de Malthus, mais en étendant jusqu'à l'eugénisme, ou procréation
rationnelle, la portée de ces enseignements, et en leur fournissant des moyens
d'application plus pratiques que ceux qui furent préconisés par l'auteur de
l'Essai sur le Principe de Population. Constatant que la faculté naturelle de multiplication
des humains était hors de proportion avec leurs possibilités d'augmenter, dans
le même temps, leurs moyens de subsistance, Thomas-Robert Malthus avait conclu
que la misère, et tous les maux qui en résultent, ne pouvait disparaître qu'à
la condition essentielle que la procréation fût, à toute époque, et dans chaque
foyer, subordonnée aux ressources alimentaires acquises. Par pudibonderie, car
il était pasteur protestant, Malthus ne voulut admettre tout d'abord, pour
parvenir à ce résultat, que le moral restraint, c'est-à-dire la continence et
le mariage tardif, ce qui n'est dans les possibilités que d'une minorité infime
de gens, favorisés par la frigidité naturelle, ou le fanatisme religieux, et
fait des plaisirs de l'amour un luxe réservé aux riches. Cependant Malthus se
montra, dans la deuxième édition de son ouvrage, moins rigoriste, et il
favorisa l'éclosion d'idées nouvelles en reconnaissant la difficulté
d'application de son système, et en déclarant, sans légitimer pour cela les «
passions vicieuses » que ces dernières représentaient, par leurs conséquences,
un moindre mal que celui de la prolifération sans mesure dans des circonstances
défavorables. Complétant sa pensée, en apportant à ses concept.ions plus
d'audace, des disciples de Malthus, tel Francis Place, dans son livre intitulé
Illustrations et Preuves du Principe de Population, eurent le courage de
prétendre - ainsi que le fait ressortir dans sa remarquable thèse de doctorat
en droit le Dr George Beltrami - qu'il n'est point honteux, pour des gens
mariés, menacés par la misère, de recourir à des précautions préventives qui,
sans compromettre la santé de l'épouse, lui permettent d'éviter un surcroît de
progéniture. Ce fut le point de départ, en Angleterre, d'un important mouvement
de propagande qui rallia des noms illustres, tels que ceux des écrivains
Richard Carlyle, Richard Owen, John-Stuart Mill, et rencontra, en le Docteur
Charles Drysdale, auteur des Eléments de Science Sociale, et fondateur, en
1877, de la Malthusian League, le plus dévoué de ses hommes d'action. Ce
mouvement, combattu, avec autant de violence que de mauvaise foi, par les
puritains et les démagogues, se propagea sur le continent, où la plupart des
philosophes du XVIIIe siècle lui avaient préparé les voies, par leurs
critiques, sans attaquer à fond la question. C'est en Hollande, à Amsterdam,
que les théories de Malthus, réformées par ses partisans, sont, pour la
première fois, dénommées « néo[1]malthusianisme
» par un de leurs adeptes les plus notoires : le professeur Van Houten. En
France, ce n'est qu'à partir de 1895 que ce mouvement prend force et vigueur,
grâce à Paul Robin, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, ex[1]directeur
de l'Orphelinat de Cempuis, fondateur, en 1896, de la Ligue de la Régénération
Humaine, et de la revue « Régénération », et qui sut grouper autour de lui, ou
inspirer de sa doctrine, un certain nombre d'écrivains, de publicistes, et de
savants, parmi lesquels il y a lieu de citer : Alfred Naquet, les docteurs
Meslier, Elosu, Klotz-Forest et Darricarère ; Urbain Gohier, Gabriel Hardy,
Nelly Roussel, Manuel Devaldes, Eugène Humbert. A cette phalange du début,
devaient se joindre, plus tard, nombre de militants appartenant à des
organisations révolutionnaires, plutôt hostiles, dès l'abord, (car elles
voyaient dans le néo-malthusianisme une déviation dangereuse), puis des
écrivains comme Victor Margueritte. Aujourd'hui, cette doctrine s'est répandue
dans le monde entier ; elle est mise en discussion dans tous les milieux
possédant quelque culture, même aux Etats-Unis où, malgré les rigueurs d'un
puritanisme vraiment excessif, elle a trouvé, en partie, droit de cité, sous la
dénomination édulcorée de « contrôle des naissances ». Quant à la diminution
appréciable du taux de la natalité dans les grandes nations civilisées, elle
est l'indice que si, peu nombreux sont les néo-malthusiens qui s'avouent tels,
innombrables sont, par contre, ceux qui le sont en secret, pour leur profit
personnel, en feignant l'indifférence ou se déclarant ses adversaires. Au point
de vue théorique le néo-malthusianisme, proprement dit, a fait cause commune
avec les idées de génération consciente, et de réforme de la moralité admise,
en ce qui concerne les choses sexuelles. C'est-à de vue économique n'est pas
seulement pris en considération, mais aussi celui de la reproduction de
l'espèce dans des conditions suffisantes de santé et de beauté, par une
sélection des géniteurs. Comme toutes les doctrines nouvelles, révolutionnaires,
le néo[1]malthusianisme
a subi et subit encore des persécutions, notamment pour ce qui concerne la
divulgation des procédés anticonceptionnels dans les classes pauvres. Sous
prétexte d'outrage aux bonnes mœurs, d'atteinte à la moralité publique, à la
religion, à la sécurité de l'Etat, il a été, d'une façon plus ou moins ouverte
ou déguisée, l'objet de mesures de répression dans divers pays,
particulièrement en Suède, en Belgique, en Allemagne, en Hollande, et en
France, où les dispositions de la loi du 31 juillet 1920 ne trouvent
d'équivalence, en fait d'arbitraire, que dans les lois, dites « scélérates »,
de 1804, contre les menées anarchistes. Il n'est à retenir, à l'égard du
néo-malthusisme que deux objections sérieuses : L'une, d'ordre médical, a trait
aux inconvénients que présentent pour les femmes, l'emploi de certains moyens
et la stérilité volontaire, quand elle se prolonge abusivement ; l'autre,
d'ordre social, nous fait entrevoir le danger d'une extinction progressive des
éléments humains les plus intelligents et les plus cultivés, les plus réfléchis
par conséquent, au profit des peuples arriérés, des dégénérés et des êtres
frustes, qui n'ont pas les mêmes scrupules, et sont généralement incapables
d'apporter, dans leurs relations conjugales, les mêmes réserves.
Jean MARESTAN
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