mardi 25 décembre 2018

Le dernier voyage de Sindbad de Erri de Luca

Erri de Luca est un écrivain italien. Il est né en 1950. Il a été anarchiste, puis il est entré dans la Lotta Continua. Il a abandonné le groupe lorsqu'il a été question d'entrer dans la clandestinité. Il devient ouvrier et participe à toutes les luttes ouvrières.

Il a écrit cette pièce de théâtre en hommage aux réfugiés qui meurent dans la Méditerranée. 

Présentation du livre: "J'ai écrit ce Sindbad en 2002. Les poissons de la Méditerranée se nourrissaient déjà de naufragés depuis 5 ans. Cela se passait à Pâques en 1997. Sur l'Adriatique, un navire de guerre italien essayait de bloquer la route d'un gros bateau albanais en éperonnant sa coque. Il coula à pic immédiatement et plus de quatre-vingts Albanais périrent. Le bateau s'appelait Kater I Rades  et son naufrage inaugurait l'infamie.
J'ai emprunté un marin aux Mille et une nuits pour le faire naviguer sur Notre Mer avec le chargement le plus rentable des marchandises de contrebande: le corps humain. Il n'a pas besoin d'emballage, il s'entasse tout seul, son transport est payé d'avance et pas à la livraison.
Ce Sindbad est un concentré de marins et d'histoires, depuis celle de Jonas, prophète avalé vivant par la baleine, à celles des émigrés italiens du vingtième siècles avalés par les Amériques.
Ici, Sindbad en est à son dernier voyage. Il transporte des passagers de la malchance vers nos côtes fermées par des barbelés."

Acte I  Scène XII  (Une clandestine met au monde un enfant mort et elle veut jeter elle-même le corps hors du bateau.)

...Les Femmes:  
Il naît parmi les clandestins
son premier cri est couvert par les moteurs,
on coupe son cordon avec les dents,
on le confie aux vagues.
Les matelots les appellent Jésus
ces petits nés
sous Hérode et Pilate à la fois.
Rien de ces vies n'est une parabole.
Aucun marteau de menuisier
ne frappera les heures de l'enfance,
puis les clous dans la chair.
Il naît parmi les clandestins le dernier Jésus,
il passe d'une eau à l'autre sans terre ferme.
Car il a déjà tout vécu, et dire il a dit.
Il ne peut enlever ou mettre
une épine de plus aux ronces de ses tempes.
Il est avec ceux qui existent le temps de naître.
Il va avec ceux qui durent une heure.

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