Anciennement,
la diplomatie était l'art de déchiffrer les chartes et les diplômes
; mais, depuis le Xvème siècle, elle est devenue une science qui
consiste à négocier les « intérêts » respectifs des Etats et
des Gouvernements entre eux, et les qualités les plus indispensables
à l'exercice et à la pratique de cette science sont : le mensonge,
la fourberie, l'adresse et la ruse ; qualités, comme on le voit,
toutes bourgeoises et dont se glorifient les diplomates, honorés de
posséder de telles vertus. Pour le peuple, la diplomatie puise sa
source dans le « droit » international et a pour but ou pour objet
la
tranquillité,
la sûreté, la quiétude des nations, et le rôle du diplomate est
de rechercher les moyens susceptibles de régler pacifiquement les
conflits qui pourraient menacer la paix existante entre diverses
nations dont les intérêts sont opposés. La réalité est toute
autre, et M. Georges Louis, ancien ambassadeur de France à
Petrograd, dans son étude sur les responsabilités de la guerre,
éditée chez Rieder sous le titre: « Les Carnets de Georges Louis »
nous éclaire lumineusement sur ce qu'est la diplomatie. Nous
initiant sur les relations diplomatiques de Poincaré et de Sazonoff,
il écrit : « Après avoir lu le Livre bleu d'Avril sur la crise
européenne, on sent que Poincaré et Sazonoff se sont dit : « Ce
qui importe ce n'est pas d'éviter la guerre, c'est de nous donner
l'air d'avoir tout fait pour l'éviter » ». Ces mots, cette
formule, sous la plume d'un diplomate éminent, sont symboliques. Et,
en effet, le rôle de la diplomatie n'est pas d'éviter les conflits,
mais d'en cacher les causes déterminantes au peuple, et de couvrir
de son manteau les véritables responsables. Il est des individus qui
ne combattent pas, qui ne critiquent pas la diplomatie en soi, la
considérant comme utile,
nécessaire,
indispensable même à la vie des nations, et qui estiment que, si
elle n'était pas secrète, si ses travaux s'effectuaient en plein
jour, sous le contrôle du peuple, son rôle ne pourrait être que
bienfaisant. Pauvres fous! La diplomatie peut-elle ne pas être
secrète, et le contrôle populaire peut-il être une garantie? La
démocratie, qui est le gouvernement du peuple, est une manifestation
suffisante de la souveraineté populaire, et il n'y a plus que les
naïfs ou les coquins pour croire que sa volonté est respectée.
Nous avons dit que les qualités essentielles du diplomate sont la
ruse, le mensonge et la fourberie ; par conséquent, la partie n'est
pas égale car, sur ce terrain-là, le peuple est toujours et sera
toujours roulé. La diplomatie est l'action de dissimuler, et on ne
peut donc, en vérité, demander qu'elle ne soit pas secrète ; si
elle ne l'était pas, ce ne serait pas de la diplomatie. Est-il
besoin de rechercher bien loin dans le passé pour trouver des
exemples frappants de ruse diplomatique? Qui donc, de nos jours,
ignore la finesse avec laquelle le célèbre Bismarck procéda à la
veille de la guerre de 1870 ? La France, comme l'Allemagne, voulaient
la guerre et, lorsque nous disons la France et l'Allemagne, nous
entendons, non pas le peuple qui n'aspirait qu'à la paix, mais les
gouvernements respectifs de ces deux pays ; et pour laisser au
gouvernement français toute la responsabilité de la déclaration de
l'état de guerre, Bismarck n'hésita pas à falsifier des
télégrammes diplomatiques, ce qui mit le comble à sa puissance, la
fourberie étant un facteur de succès en diplomatie. D'autre part,
les événements, beaucoup plus récents qui précédèrent la grande
guerre de 1914, et qui nous sont connus aujourd'hui, nous fixent
définitivement sur le jeu de la diplomatie et des diplomates. Nous
allons citer certains faits qui démontrent amplement la ruse
déployée par les diplomates et l’ombre dans laquelle ils
agissent. Empruntons le témoignage suivant à M. Stéphane Lauzanne,
qui ne peut être suspecté de sympathie pour les contempteurs de
l'ordre bourgeois. « Je me souviens, dit-il, le 31 juillet 1914,
avoir déjeuné dans une maison amie, avec M. Aristide Briand que M.
René Viviani avait accompagné jusqu'à la porte en auto ». 31
juillet 1914! Le jour où l'Allemagne lança son ordre de
mobilisation, le jour où, en fait, elle décréta la guerre! On
pense si les convives interrogèrent M. Briand. Il savait, lui! Il
venait de causer avec le chef du gouvernement qui savait, qui devait
savoir. Et j'entends encore M. Briand nous dire, de sa voix aux
sonorités traînantes : « Ce que je sais bien, c'est que les
Allemands ne nous déclareront pas la guerre. Ce ne sont pas des
idiots! Ils ont eu dix occasions meilleures que celle-ci pour nous
attaquer, dix occasions où ils n'auraient pas trouvé les alliés
aussi solidement unis. Ils raisonnent, les Allemands. Ils ne sont pas
fous... Je vous dis qu'ils ne feront pas la guerre... » Et Stéphane
Lauzanne ajoute: « 31 juillet 1914. Voilà ce que l'on savait dans
les milieux où l'on sait ... » M. Stephane Lauzanne, en bon
journaliste bourgeois qui se respecte, prend ses lecteurs pour des
imbéciles, car il ne fera admettre à aucun homme qui raisonne tant
soit peu, que M. Briand ne savait pas ; mais si M. Briand savait, il
y avait intérêt à ce que le peuple ignorât ce qui se tramait dans
les coulisses diplomatiques. Le 31 au matin, le Gouvernement français
savait que la guerre était inévitable puisque, dans la nuit du 30
au 31, l'ordre de mobilisation avait été affiché en Russie, et que
M. Paléologue, l'ambassadeur de France, en avait averti son
gouvernement. Cela est tellement certain, que le 10 septembre 1914,
la revue française le « Correspondant » publiait le journal d'un
officier français mobilisé à Saint- Pétersbourg, dont nous
extrayons ce passage : Vendredi 31 juillet, le matin. « La
mobilisation russe est un fait accompli. Le manifeste du tsar a été
affiché cette nuit. Je vais à l'ambassade de France... Je trouve
l'ambassadeur fort occupé. M. Paléologue paraît tout à fait
certain de la guerre et s'en réjouit presque en songeant que la
situation est la plus favorable que l'on ait jamais pu espérer. » «
Déjeuner, chez Cubat, je cause avec des officiers. Aucun ne cache sa
joie de la guerre prochaine. » En outre, M. Paléologue, le 31
juillet 1914, au matin, déclarait à l'ambassadeur de Belgique : «
La mobilisation russe est générale. En ce qui concerne la France,
elle ne m'a pas encore été notifiée, mais on ne peut pas en douter
». Et si l'on ajoute à cela ce passage ci-dessous, puisé dans les
mémoires de l'Ambassadeur de France à Pétrograd, et portant la
date du 31 mars 1915, on est totalement fixé sur le rôle de la
diplomatie : « Nous avons pris les armes, écrivait l'Ambassadeur,
parce que la ruine de la Serbie aurait consacré l'hégémonie des
puissances germaniques, mais nous ne nous battons pas pour réaliser
les chimères du slavisme. Le sacrifice de Constantinople est déjà
suffisant ». On ne peut avouer avec plus de cynisme que la guerre de
1914 était voulue, recherchée, préméditée, que, seul, le
prétexte manquait et qu'il appartenait à la diplomatie de le
trouver. Le meurtre de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche à
Sarajevo, par l'étudiant serbe Garilo Prinzep, fut une occasion
inespérée de déclencher le carnage et la diplomatie, en cette
affaire, interpréta son rôle de façon admirable, c'est à- dire
qu'elle se dépassa en abjection. Tout eût pu s'arranger si les
diplomates n'étaient pas les vils serviteurs du capitalisme et si la
diplomatie était autre chose qu'une institution au service du
Capital. Mais le Capital, représenté au Pouvoir par M. Poincaré et
ses hommes, voulait la guerre, et il la prépara avec la complicité
de la diplomatie. Le 16 janvier 1914, le Baron Guillaume, ministre de
Belgique à Paris, écrivait à son Gouvernement : « Ce sont, en
fait, MM. Poincaré, Delcassé, Millerand et leurs amis qui ont
inventé et poursuivi la politique nationaliste, cocardière et
chauvine dont nous avons constaté la renaissance. C'est un grand
danger pour l'Europe et la Belgique. J'y vois le plus grand péril
qui menace aujourd'hui la paix de l'Europe ». Et le 10 mai 1914, à
propos du voyage de Poincaré en Russie, il écrivait : « Il y a
envoyé récemment Delcassé, auquel il a confié la mission de
chercher, par tous les moyens, à exalter les bienfaits de l'alliance
franco-russe et à amener le grand empire à accentuer ses
préparatifs militaires ». Comme l'on comprend bien, alors, que,
lorsque débarquant à Dunkerque, le 29 juillet 1914, à midi, le
sénateur Trystram lui posa cette question : « Pensez-vous, M. le
Président, que la guerre pourra être évitée? » Poincaré
répondit: « Ce serait, grand dommage, jamais nous ne retrouverions
conditions meilleures ». Qui donc dénoncera les agissements de la
diplomatie internationale? Qui donc arrachera le bandeau qui couvre
les yeux du peuple? Personne. Capital, Diplomatie, Gouvernement,
trois têtes sous le même bonnet, exercent leur puissance dans tous
les domaines ; la presse est muselée, elle est achetée, et ce n'est
qu'accidentellement que l'on arrive à savoir quelque chose. La
vénalité, la corruption de la presse est aujourd'hui le secret de
polichinelle, mais pourtant, nous croyons utile de publier, malgré
sa longueur, le document qui va suivre et qui démontre, de manière
indiscutable, la collusion de la presse et de la diplomatie. C'est à
la « Bonne Guerre» que nous devons la publication de ce pacte qui
fut conclu en avril 1920, au nom de la grande presse française, par
MM. Roëls, rédacteur en chef des services extérieurs du « Temps
», Charles Rivet et Tavernier, courriers diplomatiques de ce même
journal. Voici ce pacte : 1° L'accord qui intervient, valable de mai
1920 il juin 1921, comprend : 1) les journaux : Le Matin, Le Journal,
L'Echo de Paris, Le Temps, Le Petit Parisien, L'Information, Le
Gaulois, La Liberté, Le Petit Journal, la France Libre. 2) les
agences : L’Information, Radio et Agence des Balkans, cette
dernière comme minimum pour la cessation d'insertions de dépêches
hostiles à la Bulgarie.
2°
Le matériel devra être remis par Sofia ou ses représentants, soit
directement aux rédactions, soit à M. Roëls, suivant les cas. Les
questions d'organisation, c'est-à-dire de répartition de ce
matériel et des formes diverses que peut affecter son insertion dans
les organes précités (c'est-à-dire : dépêches, notes, articles,
lettres de correspondants, interviews, réponses), sont à définir
sur place à Paris, entre M. Roëls ou son représentant pour les
questions balkaniques, M. Tavernier et l'agent désigné par le
gouvernement bulgare pour le service de presse en France ;
3°
Les organes précités s'engagent à insérer les télégrammes
d'agence relatifs à la Bulgarie, qui leur parviendront par le canal
de Radio ou de l'Information ;
4°
L'agence L'Information sera représentée à Sofia par un
correspondant français désigné par elle, qui fera le service de
dépêches pour l'agence et un service de lettres pour le journal,
L'agence Radio aura un représentant, préférablement bulgare,
choisi par le Gouvernement qui se bornera à transmettre à son
agence les notes ou dépêches
d'informations
à lui, remises par le bureau de presse du ministère des Affaires
étrangères de Sofia ;
5°
Le Temps enverra en Bulgarie un correspondant français qui sera
chargé :
a)
D'un service télégraphique : b) d'un service de lettres ;
6°
Le Petit Parisien sera représenté également, mais soit par un
journaliste bulgare, soit par un français déjà établi. Ce sera au
Gouvernement bulgare à 1e rechercher et à le désigner. De même
pour le représentant de Radio ;
7°
La gratuité télégraphique est accordée dès mise en vigueur de
l'agrément par le Gouvernement bulgare aux agences L'Information et
Radio et au journal Le Temps. De plus, les frais d'entretien à
Sofia, des correspondants du Petit Parisien et des deux agences,
seront assurés, pour la majeure partie du moins, par le Gouvernement
bulgare ;
8°
Il est entendu que, par ces divers moyens, un service continu
d'informations bulgares, venues de la source même et non plus
dénaturées par des adversaires, sera assuré dans les organes
ci-dessus désignés et principalement dans Le Temps ;
9°
Il est expressément compris également que les autorités
gouvernementales bulgares ne demanderont jamais que ces informations
prennent un ton agressif pour une puissance amie ou alliée de la
France, et revêtent le caractère d'une polémique avec telle où
telle de ces puissances. Il est entendu de même que ces
informations, pour conserver tout leur crédit, ne prendront pas
l'allure d'une campagne systématique sans mesure comme sans
prudence. Par contre, les attaques constantes contre la Bulgarie
cesseront dans les organes précités, c'est-à-dire dans la plus
grande partie de la presse française. Au cas où, pour une cause
impossible à prévoir, une attaque se produirait, le Gouvernement
bulgare serait immédiatement mis en mesure d'y répondre ;
10°
Il est entendu que le Gouvernement bulgare nt demandera pas aux
organes précités de soutenir une politique d'expansion au détriment
de tel ou tel de ses voisins. Mais, par contre :
1)
La thèse de la récupération par la Bulgarie de territoires qui
sont siens, thèse définie dans les trois lettres du Président du
Conseil, M. Stamboulisky, à ses collègues grec, roumain et serbe,
comme:
2)
La question de son accès territorial à l'Égée ;
3)
La question des minorités, auront une place faite sous forme
appropriée dans les organes précités.
De
même les organes précités, prenant en considération que l'intérêt
de la France demande le relèvement économique de la Bulgarie,
réserveront une place à ce problème pour éclairer, s'il y a lieu,
à son sujet, et l'opinion et la commission interalliée qui siégera
à Sofia. Enfin, dans les rubriques bibliographiques des organes
précités, il sera fait mention des ouvrages bulgares désignés par
Sofia.
En
présence de :
E.
Roêls, Ch. était Rivet, V. Ganef, N. Stoiloff.
Ce
pacte complété par une note dont voici la traduction:
LÉGATION
DE BULGARIE
ARCHIVES
SECRÈTES PROTOCOLE
Nous,
soussignés, certifions que, conformément à la dépêche N° 645 du
président du Conseil, M. Stambou
journal
Le Temps, M. Roëls, représentant le groupe de journaux suivants: Le
Matin, Le Journal, L'Echo de Paris, Le Temps, Le Petit Parisien,
L'Information, Radio et Agence des Balkans, le chèque N° 23.111
pour la somme de sept cent cinquante mille francs français, émis
par le Comptoir National d'Escompte de Paris, par compte du ministère
des Affaires étrangères de Bulgarie à la Banque de France.
Paris,
le 4 mai 1920. (Signé) : B. Ganef.
38,
avenue Kléber. (Signé): N. Stoiloff.
(Cachet
de la Délégation bulgare à la Conférence de la Paix).
Nous
pourrions multiplier la publication de documents démontrant le rôle
néfaste de la diplomatie. La Russie dévoila, au lendemain de la
Révolution, une certaine partie de la correspondance échangée
entre les représentants des divers gouvernements d'Europe et la
lecture de cette correspondance est édifiante. Mais la grande
presse, en général, conserva le silence, et cela se comprend, en
considérant le document que nous publions ci-dessus et qui lie les
grands journaux de France au Gouvernement bulgare. Lorsque l'on sait
que ce pacte, cet accord n'est pas particulier, mais, qu'en réalité,
il en existe de semblables qui furent conclus avec d'autres nations,
que la Presse se vend à n'importe qui, qu'elle se tait ou qu'elle
parle selon que l'on paye ou que l'on ne paye pas, on est terrifié à
la pensée que l'on est à la merci d'une poignée de coquins, dont
l'intérêt peut déchaîner les plus terribles cataclysmes. Nous
disions, d'autre part, traitant de la concurrence (voir ce mot) :
Chaque fraction du capitalisme en lutte se défend par
l'intermédiaire de son Gouvernement et la concurrence de nation à
nation est l'unique cause des négociations interminables qui se
poursuivent depuis des années et des années. Le Capitalisme inter
national cherche un terrain d'entente, et lorsque les intérêts
particuliers n'ont pu se concilier autour du tapis vert de la
diplomatie, alors on donne la parole au canon et c'est la guerre
fratricide, criminelle, monstrueuse, qui est chargée de régler le
différend. Et, en effet, la Société est une vaste entreprise
commerciale et le diplomate peut être comparé à un représentant
qui cherche à vendre une marchandise le plus cher possible ou à en
obtenir une autre dans les conditions les plus avantageuses. A quoi,
sinon à des tractations commerciales, se livrerait toute cette armée
d’agents diplomatiques, qui coûte si cher à entretenir, et dont
les travaux ont, parfois, un résultat tragique? De quoi discutaient
avant la guerre, tous ces ambassadeurs, tous ces ministres? Etait-ce
du Cochon serbe ; de Constantinople que réclamait la Russie afin
d'étendre son commerce extérieur ; du Traité de Francfort qui
accordait à l'Allemagne certains privilèges commerciaux lui
permettant d'exporter en France une grande quantité de ses produits
; de la puissance maritime anglaise, de son empire colonial,
nuisibles aux intérêts du capitalisme des empires centraux? Quelles
furent, et les difficultés devant lesquelles se brisa l'habileté
des diplomates et les causes directes de la guerre? Les divers
ouvrages diplomatiques, relatifs à toutes ces questions, et publiés
par les divers gouvernements, rejettent la responsabilité sur les
uns et sur les autres, mais c'est en vain que l'on chercherait dans
les nombreux livres diplomatiques de toutes couleurs, une parcelle de
vérité. Ce qui est vrai, ce qui ne souffre aucune contradiction,
c'est que le capitalisme voulait la guerre en 1914 comme il la
désirait en 1870, et que la diplomatie s'efforça d'en masquer les
raisons, et d'aveugler le peuple par ses subterfuges. Comment ne
serait-elle pas secrète? Comment pourrait-elle avouer, qu'elle ne se
livre qu'à des tractations commerciales, industrielles, financières,
au profit d'une poignée de parasites? Comment pourrait-elle
reconnaître qu'elle organisa la tuerie pour que l'Alsace et la
Lorraine revinssent à la France et que la Compagnie des Chemins de
fer de l'Est pût hériter de tout le régime ferroviaire de ces deux
départements ; que, de son côté, l'Allemagne voulait se battre,
parce que le traité de Francfort prenait fin, et qu'aussi elle avait
l'espérance d'affaiblir la perfide Albion et de détruire son
hégémonie mondiale? Eh oui! Elle est secrète et elle restera
secrète la diplomatie. Elle ne peut se montrer toute nue. Maquillée,
recouverte de brocard et de soie, elle semble jolie et appétissante
; mais lorsqu'on la découvre, lorsqu'on lui retire son manteau, elle
apparaît sous son vrai jour : sale et répugnante, et soulève de
dégout le coeur de celui qui la regarde. Abjecte prostituée, elle
s'est vendue hier, elle se vend aujourd'hui, elle se vendra demain,
elle se vendra toujours. Ses amants sont toujours les mêmes, et
c'est toujours dans le même clan qu'elle les trouve. Pour satisfaire
à l'appétit insatiable du Capitalisme, elle a livré à la mort des
millions d'hommes et elle recommencera encore. Que nous
prépare-t-elle? Que nous réserve-t-elle ? Des carnages. Elle est en
train d'organiser les tueries futures. Elle a sacrifié hier aux
maîtres de la métallurgie des milliers d'innocents, elle en
sacrifiera d'autres demain aux caoutchoucs anglais ou aux pétroles
américains. Que l'on ne s'imagine pas que notre pessimisme repose
sur des illusions ou sur des probabilités. C'est la brutale réalité
du présent qui nous fait craindre pour l'avenir. Le monument
diplomatique accouché à Versailles, loin de résoudre les divers
problèmes interne des
Nations,
illustre mensonge, dont l'unique utilité est de tromper le peuple,
n'est qu'un repaire où se réfugient les cuisiniers de la politique,
pour préparer la sauce à laquelle nous devons être mangés. Le 2
novembre 1921, Romain Rolland écrivait :
«
L'humanité, déchirée par la guerre de cinq ans, est à la veille
de guerres plus monstrueuses encore, où des millions de jeunes vies
et toutes les espérances de l'avenir seraient immédiatement
englouties. Si les femmes ne luttent pas avec la dernière énergie
contre le fléau qui s'approche, que le sang de leurs fils retombent
sur leurs têtes ; elles auront été complices du meurtre qu'elles
n'auraient pas eu l'énergie d'empêcher ». Eh bien! L’heure de
l'échéance approche. Les effets pernicieux de toutes les
discussions intestines auxquelles se livrent les diplomates des
diverses contrées du monde, ne peuvent tarder à se faire sentir.
Nous avons dit que la diplomatie n'a d'autre but que de masquer les
causes de guerre, et que les guerres sont
toujours
déterminées par des conflits d'intérêts commerciaux, industriels
ou financiers. uerre de libération des peuplades africaines
asservies et courbées sous l'autorité d'Abd el-Krim, ne fait pas
exception à la règle. Nous savons que le triomphe du chef Hiffain
eût été une source de profits pour certains groupes ou
particuliers qui le commanditaient et auxquels il avait accordé de
larges concessions territoriales, et que la France ne s'engagea dans
l'entreprise marocaine, à la suite de différentes négociations
diplomatiques avec l'Espagne, que parce que la finance française
entendait exploiter à son bénéfice les richesses souterraines de
la grande contrée nord-africaine. C'est donc bien pour la possession
des mines marocaines que se firent tuer des milliers et des milliers
de soldats français, espagnols ou marocains, possession dont
devaient hériter non pas ceux qui se faisaient ridiculement
massacrer,
mais
leurs chefs, leurs maîtres, leurs exploiteurs. Et c'est pourquoi
nous fûmes étonnés lorsque certain parti d'avant-garde, usant de
diplomatie, c'est-à-dire de mensonge, engagea le peuple à soutenir
Abd el-Krim. Les chefs de ce parti ignoraient-ils que celui qu'ils
présentaient comme un héros dévoué à la grande cause « des
peuples libres de se diriger et de se déterminer eux-mêmes » avait
déjà livré :
A
M. W. Muller: 2.000 hectares de terrain.
A
M. André Teulon: 300 hectares de terrain.
A
la Compagnie Maroco MineraIs: 2.635 hectares.
A
M. Muller: 1.995 hectares.
A
la Compagnie Internationale du Minera: 6.400 hectares.
A
une Compagnie italo-hollandaise: 1.600 hectares.
Etc.
?
Non,
ils ne l'ignoraient pas, mais tout parti politique est entraîné
dans diverses tractations, surtout lorsqu'il représente une
puissance gouvernementale, et est, en conséquence, obligé d'user de
ruses, de subterfuges de diplomatie. La guerre du Maroc n'est que le
prélude de conflagrations plus sanglantes et, dans les négociations
diplomatiques qui se poursuivent à travers le monde, chaque
ambassadeur, chaque ministre cherche, non pas à assurer la paix,
mais à choisir pour la guerre l'heure qui lui paraît la plus
propice au triomphe da la fraction du capitalisme qu'il représente.
Ils
n'ignorent
pas, les diplomates, que la guerre est inévitable ; ils sont
convaincus que, de plus en plus, la situation deviendra plus
critique, et qu'il faudra régler les différends dans le sang du
peuple. Que leur importe après tout! L'Amérique a besoin de
caoutchouc pour son industrie automobile, mais l'industrie du
caoutchouc est contrôlée dans une proportion de 75 % par le
capitalisme anglais ; la France convoite les richesses métallurgiques
du bassin de la Sarre, mais ce bassin appartient à l'Allemagne, qui
le céda temporairement en vertu du Traité de Versailles, mais qui
espère, malgré tout, en reprendre possession ; l'Italie veut la
Corse et la Tunisie, mais ces contrées sont à la France, qui ne
veut pas s'en séparer ; l'Angleterre a besoin de pétrole, c'est
l'Amérique qui le possède et l'insatiable Albion jette les yeux sur
les mines de Bakou ; et chaque pays, chaque nation, s'étudie,
s'observe, se surveille, s'espionne par l’intermédiaire de ses
diplomates, et cherche à affaiblir son voisin pour se jeter sur les
richesses convoitées. Afin d'assurer le succès du capitalisme
qu'elle représente, la diplomatie détermine des alliances, prend
des engagements, suscite des révoltes, fomente des troubles ; en un
mot, elle se livre à de louches entreprises, et l'on comprend la
raison pour laquelle la correspondance échangée entre un
gouvernement et ses ambassadeurs nécessite un code spécial,
indéchiffrable pour celui qui n'y est pas initié. Se débarrasser
de la diplomatie ou espérer qu'elle s'améliorera est une chimère
tant que subsistera la forme actuelle des sociétés. La diplomatie
est une branche de l'arbre capitaliste ; il est inutile de chercher à
l'arracher ; comme toutes les plantes parasitaires elle repousserait
avec rapidité. Il faut détruire l'arbre, il faut anéantir ses
racines, afin que jamais plus il ne repousse et vienne, de son ombre,
cacher les rayons lumineux de la paix et de la liberté.
-
J. CHAZOFF.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire