Action
de divaguer. Primitivement, ce mot était employé pour signaler
l'action d'errer çà et là ; mais de nos jours, il signifie l'écart
involontaire de la pensée, de la parole ou de l'écrit. Les
divagations d'un aliéné ; les divagations d'un poète exalté. S'il
est des divagations inoffensives, il en est d'autres qui sont
dangereuses, et les écarts de la pensée, de la parole ou de l'écrit
ne sont pas toujours involontaires ; ils sont souvent intéressés.
On peut qualifier de divagations littéraires, les principes, les
théories, les idées rétrogrades, développés par certains
auteurs; on ne nous trompe pas; à nos yeux ces divagations ne sont
qu'une marchandise frelatée destinée au peuple qui l'absorbe
aveuglément et qui s'en empoisonne. Peut-on considérer comme des
divagations, la prose maladive de M. Léon Daudet, le bouffon
monarchiste, et les pamphlets haineux de ce politicaillon en mal de
dictature, ne sont-ils pas un danger pour la liberté? Son associé
en divagation, Charles Maurras, n'est-il pas également un danger
public, un danger social ? Anarchistes, nous ne réclamons pour
personne, fussent-ils nos plus terribles adversaires, la répression
brutale de la justice, mais dans les maisons de santé, dans les
hospices d'aliénés, il est des fous qui sont enfermés, et qui sont
certes moins nuisibles que le bouffon Daudet et que son compère
Maurras, le « Trestaillon » Maurras, pour lui donner le nom si cher
à Urbain Gohier. Eh oui! Les divagations de ces êtres nous
conduisent tout droit à la guerre extérieure et à la guerre
intérieure, et peut-être serait-ce leur rendre service tout en
sauvant l'humanité, que de les soumettre à l'analyse du psychiatre.
Notre intention n'est nullement de sauver une République qui s'est
prostituée et qui asservit à quelques privilégiés, à une
ploutocratie inepte, toutes les forces vives de la collectivité ;
mais si, anarchistes, nous combattons un régime qui a fait ses
preuves, qui a démontré l'incapacité de ses efforts et
l'inopérance de ses principes, ce n'est pas pour écouter les
divagations de ceux qui espèrent, par la violence, nous ramener à
quelques centaines d’années en arrière et nous livrer, pieds et
poings liés, à un tyran ou à un despote. Malheureusement, on ne
divague pas qu'à droite, on divague aussi à gauche, à l'extrême
gauche, et ces dernières divagations sont peut-être plus
dangereuses que les premières, car le peuple les écoute comme des
choses sensées. Ils sont nombreux, les fous qui donnent l’impression
d'avoir toute leur raison, et il faut du discernement et de la
subtilité pour apercevoir la maladie. N'est-ce pas une divagation
que de vouloir supprimer une autorité, pour la remplacer par une
autre autorité? C'est pourtant l'opération à laquelle veulent se
livrer certains docteurs en socialisme. Et ils sont écoutés, hélas
; et les malheureux qui les suivent me font l'effet de pauvres fous
qui jetteraient de l'essence sur le feu pour éteindre un incendie.
Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que les hommes sensés, logiques,
raisonnables, n'arrivent pas à se faire entendre, et sont considérés
par ceux qui les entourent comme des déséquilibrés. Ce serait à
croire que le monde est un composé de fous ou de demi-fous, et que
l'homme sensé est une exception. Car enfin, il est remarquable que
les idées les plus saugrenues, les plus erronées, les plus stupides
ont toujours trouvé des défenseurs nombreux, et que ceux qui les
véhiculent ont bénéficié de l'admiration universelle. Dites à un
individu que pour se libérer du fléau de la guerre, il faut que
chaque nation intensifie ses armements, qu'elle construise des
fusils, des canons, des monstres marins et sous-marins; qu'elle se
munisse de gaz terribles, capables d'exterminer en une seconde des
populations entières, des femmes, des enfants et des vieillards, et
immédiatement vous jouirez de la considération de vos semblables,
qui vous élèveront une statue et vous proclameront champion de la
paix. Mais dites à ce même individu que pour voir disparaître de
la surface du globe les torrents de sang qui la rougissent ; pour que
jamais plus la main meurtrière d'un homme ne tue un autre homme,
pour que jamais plus nous n'assistions au terrifiant spectacle qui
nous fut offert de 1914 à 1918, il faut se débarrasser de tous les
engins de destruction, il faut jeter dans le creuset la fonte des
canons pour en faire des socs de charrue ; alors, il vous dira que
vous divaguez, et vous fera jeter en prison comme néfaste et
dangereux à la société. Combien de temps cela sera-t-il encore
ainsi? Qui sait? La civilisation évoluera-t-elle ; l'humanité
est-elle en pleine jeunesse ou retombe-t-elle déjà en enfance? Dans
ce dernier cas, tout est perdu.
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