La
douane est l'administration chargée par un Etat, une nation, de
percevoir un droit sur les marchandises qui franchissent ses
frontières. Cette institution semble avoir été réglementée en
France par Colbert ; elle portait le nom de ferme générale et la
douane lui succéda, à la suite du vote du 5 novembre 1790. En
décrétant une taxe sur l'entrée des marchandises, Colbert
entendait protéger les manufacturiers français contre la
concurrence étrangère et leur permettre d'écouler leurs produits
sans craindre d'avoir à lutter contre ceux venant du dehors. Les
conséquences fâcheuses de cette réglementation ne tardèrent pas à
se faire sentir. Si la taxe fut une source de revenus pour l'Etat, au
point de vue social ce fut un désastre. Ne craignant plus la
concurrence, le manufacturier ne chercha pas à améliorer et à
perfectionner ses moyens de production, et le prix des marchandises
livrées aux consommateurs augmenta dans des proportions
fantastiques. Mais, cela importait peu ; le capitalisme, naissant
avec l'industrie, se défendait déjà nationalement à cette époque,
quelles que soient les souffrances qui en résultaient pour le
peuple. La douane continua à fonctionner et, le 15 mars 1791, le
premier tarif uniforme et unique fut établi, frappant toutes les
marchandises entrant en France et en sortant. Depuis, ces tarifs ont
été modifiés à différentes reprises et, actuellement, en France,
les droits de douane se divisent en droits ad valorem et en droits
spécifiques. Les premiers sont calculés en proportion de la valeur
des marchandises importées et à raison de tant pour cent ; les
seconds, d'après la nature et la quantité des produits.
L'élaboration des tarifs douaniers nécessite d'interminables
conversations diplomatiques et l'on peut dire que jamais les intérêts
de la population n'entrent en jeu au cours de ces discussions. C'est
toujours l'esprit de Colbert qui préside l'institution : défendre
le capitalisme national contre le capitalisme étranger. Dans un
quelconque pays, le peuple peut littéralement crever de faim. Mais
son gouvernement ne permettra pas l'importation du blé sans frapper
ce produit d'une taxe, si le producteur national est incapable de
livrer le blé au même prix que son concurrent étranger. La douane
n'a qu'un unique but : permettre au commerçant, au paysan, à
l'industriel de vendre cher une marchandise qui pourrait être livrée
au consommateur à meilleur marché. Le commerce est un vol en soi
mais le tarif douanier permet au commerçant d'être un affameur et
de devenir un meurtrier. Nous avons déjà dit, en traitant le mot «
concurrence » que certaines nations ne vivaient que de l'exportation
de certains de leurs produits et que, lorsque des frontières leur
sont fermées, en raison des taxes prohibitives qui frappent les
marchandises, elles sont obligées d'en chercher l'écoulement d'une
manière ou d'une autre ; et nous ajoutions que, lorsque la
diplomatie n'arrivait pas à régler les différents qui s'élevaient
entre deux capitalismes nationaux, c'est la guerre, la boucherie, le
sacrifice de millions d'hommes qui en décidait. Tous les traités
commerciaux de nation à nation sont basés sur les tarifs douaniers,
et les gouvernants de chaque pays cherchent naturellement à
acquérir, pour ceux qu'ils représentent, le plus de quiétude et
d'avantages possibles. A mesure que se développent l'industrie et le
commerce, les régimes douaniers deviennent plus prospères et cela
est une conséquence logique de l'évolution capitaliste. Nous voyons
des pays qui, avant la guerre, pratiquaient le « libre échangisme »
sur une large échelle, prendre, à leur tour, des mesures
prohibitives contre les produits étrangers, afin de permettre à
leurs nationaux d'écouler des produits qu’ils ne peuvent fabriquer
à des prix avantageux. Les populations travailleuses sont les
premières victimes de cet état de choses ; mais cela importe peu,
le seul souci des gouvernants étant d'assurer, non pas le bien-être
des masses ouvrières, mais les privilèges de la bourgeoisie. Il
arrive parfois que, lorsque la spéculation devient trop insolente,
un gouvernement, effrayé de la rumeur populaire, lève les droits
qui frappent certaines denrées et permettent l'importation libre.
Mais, en général, ces mesures ne sont que provisoires et
superficielles et ne sont prises que pour donner un semblant de
satisfaction à la population. Le commerçant sort toujours
victorieux et, lorsque l'apaisement et le calme sont revenus, les
tarifs sont remis en vigueur et la comédie continue. Il n'y a pas
lieu d'espérer réformer cette institution qui pèse si lourd, sans
même qu'il s'en rende compte, sur les épaules du travailleur. La
douane n'est qu'un effet, c'est la cause qu'il faut détruire et
cette cause, c'est le capitalisme. N'en est-il pas, du reste, ainsi
de toutes les institutions qui nous oppriment et nous oppressent?
Comme le militarisme, la justice, la magistrature, la douane est un
moyen de défense, une arme au service de la bourgeoisie et elle ne
disparaîtra qu'avec elle.
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