LE
PEUPLE EST BON
Il
a le droit pour lui, il est la force. Mais longtemps encore, il
restera dupe et victime, car, dans ce combat de chaque jour qui est
la vie, il se laisse rendre à tous les lacs, va donner, tête
baissée, dans tous les pièges. Il est bon jusqu’à la naïveté,
jusqu’à l’abnégation, jusqu’à la folie.Son grand coeur bat à
l’unisson de tout ce qui émeut et passionne. Pour une phrase bien
faite, un mot heureux, un geste fier, il se donnera tout entier, sans
compter ni réfléchir.
Vous
le savez bien, ô gouvernants !
Chaque
fois que, dans ses grands jours de colère et de justice, on lui
montre un vieillard moribond, une femme éplorée, un enfant qui
sourit, il oublie le crime qu’il venait punir, le sang répandu,
l’infamie commise, tout de suite, il s’attendrit et pardonne…
Vous
le savez bien, ô royalistes ! vous qui depuis bientôt un siècle,
avez fait verser sur Louis XVI, sur l’Autrichienne et le petit
Capet tout un déluge de larmes. Pourrissez sans regret et sans
mémoire, mitraillés de Nancy, morts glorieux du 10 août, et vous
aussi, volontaires de 92, qui accourus à l’appel désespéré de
la patrie agonisante, défendîtes son sol sacré. Ce n’est pas
vous qui fûtes martyrs, ce n’est pas vous qui fûtes grands, ce
n’est pas vous qu’il faut honorer !…
Vous
étiez du peuple… et le lot du peuple est de souffrir sans se
plaindre, c’est son métier de mourir !
Le
peuple est bon !
C’est
l’agneau de l’éternel sacrifice. De lui-même il se livre et
tend la gorge au couteau du boucher. C’est de sa chair qu’on
bâtit, c’est de son sang qu’on cimente ces choses qui dominent
et mènent le monde : gloire, richesse, industrie et veut justice, on
le fait fusiller par son frère, un soldat qui ne sait pas.
Et
c’est pour cette immense bonté que nous t’aimons, ô peuple,
éternelle victime, grand immolé ! En te voyant si doux, nous nous
sommes donné à toi, corps et âme, dussions-nous rouler ensemble
dans l’abîme de la défaite et dans la nuit du tombeau !
HENRI
BELLANGER.
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