Méthode
qui consiste, en philosophie, en science, ou en politique, à essayer
de concilier les divers systèmes en prélevant dans chacun d'eux ce
qui paraît le plus conforme à la vérité pour en composer un
système unique, où se trouveraient réunies, en une synthèse
harmonieuse, les données essentielles de tous les autres. Le
protagoniste de cette méthode parait être le philosophe Potamon,
qui enseignait à Alexandrie, au troisième siècle avant l'ère
chrétienne, et dont les préceptes n'obtinrent
qu'une
faveur passagère. Une phrase du philosophe allemand Leibniz fournit
à la méthode éclectique la meilleure des justifications : « J'ai
trouvé, dit-il, que la plupart des sectes ont raison dans une bonne
partie de ce qu'elles avancent, mais pas tant en ce qu'elles nient. »
C'est seulement en 1828 que cette méthode ancienne fut tirée de
l'ombre et mise en valeur par les écrits de Victor Cousin,
professeur à la Sorbonne, qui déclara s'être proposé le but
suivant : Dégager ce qu'il y a de vrai dans chacun des systèmes
philosophiques, pour en fonder un qui les gouverne tous, en les
dominant tous, qui ne soit plus telle ou telle philosophie, mais la
philosophie elle-même dans son essence et dans son unité. Une telle
proposition permet de supposer chez son auteur de remarquables
qualités de tolérance et la recherche impartiale de la vérité.
Mais il semble, chef d'école timide, et dépourvu de caractère,
s'être appliqué principalement à se ménager les diverses
tendances de son époque, et faute d'être parvenu à concevoir une
doctrine vraiment personnelle, s'être résigné à prendre dans les
oeuvres d'autrui les éléments d'une philosophie faite de pièces et
de morceaux. Dans le domaine de la politique, l'éclectisme ne vaut
d'ordinaire pas mieux. Il correspond à ces programmes médiocres,
dénués de courage autant que d'élévation de
pensée,
qui protègent à la fois la chèvre capitaliste et le chou
prolétarien, et dans lesquels l'habileté diplomatique des candidats
découvre aisément de quoi s'adapter aux mouvements les plus divers,
selon l'opportunité des circonstances. Honnêtement considérée, la
méthode éclectique vaut pourtant mieux que sa réputation. La
remorque de Leibniz vaut d'être méditée. Il est rare, en effet,
qu'une doctrine philosophique, scientifique ou sociale soit
intégralement fausse. Elle contient presque toujours des
observations dignes d'intérêt, ou des critiques fondées, par
conséquent une part plus ou moins grande de vérité, dont le
chercheur dénué de sectarisme étroit peut faire son profit.
L'erreur des doctrinaires consiste, le plus souvent, en ce qu'ils
veulent imposer comme une règle générale, absolue, ce qui ne
correspond qu'à certains cas particuliers, ou ne résout qu'une
partie du problème. Ceci ne doit point nous porter à croire qu'il
suffit de coordonner les affirmations des auteurs, tels les fragments
d'un jeu de patience, pour que, fatalement, le produit de cette
opération représente la vérité. Mais ceci nous montre
l'importance qu'il peut y avoir à compléter
et,
s'il y a lieu, réviser de temps à autre nos propres doctrines, par
l'examen bienveillant de celles des autres. Lorsque l'on pose la
question : Quelle est la cause du mal social ? Les éducationnistes
répondent : l'ignorance, les préjugés; les communistes accusent :
le régime capitaliste ; les néo-malthusiens dénoncent : le
surpeuplement. Devons-nous accepter seulement une des explications et
repousser les deux autres ? Je ne suis point de cet avis. Car il
m'apparaît, comme l'évidence même, qu'une société heureuse ne
peut exister sans cette triple condition : 1° Limitation volontaire
de la population aux moyens de subsistance; 2° Organisation
rationnelle de la production et de la consommation, pour le mieux de
tous, avec le minimum d'efforts et le maximum de rendement ; 3°
Développement d'une conscience révolutionnaire, tout au moins parmi
des minorités d'élite. Reconnaître ceci c'est faire de
l'éclectisme, non pour se mettre bien avec tout le monde, ni par la
conscience que l'on détient une méthode infaillible, mais par un
respectueux hommage envers la vérité.
-
Jean MARESTAN.
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