Le
mot drapeau servait primitivement à désigner la pièce de drap
utilisée pour emmailloter les enfants en bas-âge et que l'on nomme
aujourd'hui lange. Par la suite, il devint synonyme de chiffe, de
vieux morceau d'étoffe ou de linge : « Un marchand de viels fers et
drapeaux » et désigne enfin, de nos jours, la pièce d'étoffe que
l'on place au bout d'une lance et qui sert à distinguer, par ses
couleurs, les nations ou les partis. Mais, qu'importe le mot ;
l'usage du drapeau est très ancien puisque déjà les douze tribus
d'Israël avaient chacune des enseignes de couleurs différentes,
munies de signes particuliers. S'il n'est pas considéré comme un
Dieu, le drapeau peut être de quelque utilité. Il sert de marque de
ralliement et peut être utilisé pour faire des signaux, etc. Mais,
à nos yeux, c'est à peu près là toute son utilité. Notre point
de vue n'est, malheureusement, pas partagé et le drapeau est autre
chose que ce qu'il devrait être, que ce qu'il est : un vulgaire
morceau de chiffon que l'on promène au bout d'un bâton. La grande
majorité des hommes voient dans le drapeau le symbole de leurs
partis, de leurs nations, de leurs dogmes et en font une telle idole
qu'ils lui rendent des honneurs particuliers et se font parfois tuer
pour lui. Ce ne serait qu'un demimal s'il n'obligeaient pas tous
leurs semblables à se livrer comme eux à leurs ridicules pratiques.
Le culte du drapeau s'exerce partout ; il est une divinité devant
laquelle on se courbe et auquel on rend des hommages publics.
Certains lui vouent une vénération et une adoration passionnées.
Le drapeau a ses églises et ses prêtres. Chaque nation a ses
drapeaux et, en France, il y en a un par régiment qui porte, outre
le numéro de son régiment, la devise Honneur et Patrie, le nom des
quatre principales victoires inscrites dans les annales du corps. Le
drapeau est déposé, généralement, dans la salle d'honneur du
régiment et, lorsqu'on le sort ― pour
lui faire prendre l'air, sans doute ― il
est porté par un officier, lieutenant ou sous-lieutenant, et entouré
de sa garde, qui est composée d'un sous-officier et de quatre
soldats de première classe, choisis par le colonel. Quand vous
apercevez un régiment et son drapeau, prenez une autre route, si
votre intention n'est pas de lui rendre les hommages qui lui sont dû
; car, sans aucun doute, il se trouvera, parmi la foule d'imbéciles
et de goujats, un être assez stupide pour vous découvrir de force.
Ne manquez pas de respect au drapeau si vous désirez conserver votre
liberté, car toute insulte à cette loque vous conduirait devant les
tribunaux. C'est un Dieu, comme tous les autres Dieux, et il faut y
croire ; il représente tout le passé sanglant et sa gloire est
d'avoir fait périr sous ses plis des millions de jeunes gens pleins
de force et de vie. Avant 1789, le drapeau français était blanc ;
un décret du 30 juin 1790 interdit les étendards de cette couleur
et on leur substitua le drapeau tricolore : bleu, blanc et rouge. Le
drapeau blanc symbolise, en France, à l'heure actuelle, la monarchie
ou sert, en temps de guerre, à indiquer que l'on demande une trêve
et que l'on désire parlementer. Chaque parti politique ou secte
philosophique a également son drapeau, ses emblèmes, ses étendard.
Le drapeau rouge qui, « en vertu d'un décret de l'Assemblée
Constituante, devait être déployé chaque fois que l'on proclamait
la loi martiale et qu'on se préparait à dissiper un rassemblement
par la force des armes » est devenu, plus tard, le symbole de la «
Révolution ». Les socialistes l'adoptèrent et les communistes
autoritaires également. Les uns et les autres le prostituèrent dans
la politique et s'il est arrivé dans le passé, que le peuple se
battit autour de lui, actuellement, il n'est plus qu'un torchon comme
les autres qu'on idolâtre et qui sert à tromper et à asservir le
peuple. Le drapeau rouge a ses fanatiques tout comme le drapeau
tricolore et on se livre devant lui aux mêmes mouvements, aux mêmes
simagrées et les profanes sont également menacés par le troupeau
populaire lorsqu'ils refusent, en certaines occasions, de se livrer à
l'adoration du nouveau Dieu. Les anarchistes ont également un
drapeau. Il est noir. Les anarchistes sont les seuls qui voient en
lui, non pas un symbole, mais un morceau de chiffon qui sert à
rallier tous les camarades au cours d'une promenade ou d'une
manifestation. Ils remplaceraient tout aussi bien ce drapeau par une
pancarte ou tout autre ustensile, mais un drapeau porté bien haut
est plus pratique et se voit de plus loin. Il leur arrive de le
défendre, non pas qu'ils pensent qu'un mètre de vieux tissu vaille
la peine de se battre et de coûter la vie à des camarades, mais
parce que ce n'est
jamais
à leur drapeau qu'on en veut, mais à leurs idées. Bien que n'ayant
pas le culte du drapeau, les anarchistes sont néanmoins les plus
courageux et les premiers à attaquer et à se défendre lorsqu'ils
sont brutalisés physiquement et moralement par les forces de
réaction ; c'est qu'ils donnent à chaque chose sa juste valeur, que
ce ne sont pas des religieux qui dépensent leur « énergie » à
adorer des images, des statues ou des drapeaux. Au figuré : Être
sous les drapeaux signifie : être au service militaire. Se ranger
sous les drapeaux de quelqu'un : se mettre sous la direction
politique de quelqu'un ; joindre son parti ; mettre son drapeau dans
sa poche : cacher ses opinions politiques ou philosophiques ; planter
un drapeau : partir de quelque part sans payer ce que l'on doit.
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