Dans
un autre écrit, le pédagogue suisse se demande comment l'Ecole peut
tenir compte des intérêts des enfants, les préparer à l'activité
solidariste et à la liberté réfléchie. Voici la solution qu'il
recommande et qu'il a fait mettre en application à l'Ecole
Internationale de Genève.
Quatre
modes d'activité sont conduits de front :
1°
Travail individuel standardisé, pour l'acquisition des techniques et
portant sur un programme minimum. Le programme est divisé en étapes.
Les élèves s'efforcent de franchir ces étapes en se servant de
fiches ou de manuels. La durée du travail n'est pas indiquée, ce
qui permet aux élèves d'avancer selon leurs aptitudes. Les élèves
ne doivent passer à l'étape suivante qu'après s'être soumis avec
succès à un test, ou épreuve, de connaissance.
2°
Travail individuel libre, en tenant compte des goûts individuels et
des aptitudes, chaque élève avançant à son pas. Au début, les
élèves choisissent leurs travaux parmi une liste de travaux
proposés par le maître ; dès qu'ils sont capables de plus
d'initiative, les élèves soumettent des projets de travaux à
l'approbation du maître.
3°
Travail collectif organisé et leçons collectives se rapportant à
un programme de centres d'intérêts : étude des besoins primordiaux
de l'homme, de leur satisfaction dans le passé (histoire) et à
travers le monde (géographie).
4°
Travail collectif libre : excursions à but scientifique :
organisation de jeux, de pièces théâtrales, de coopératives
scolaires, etc…
Comme
on le voit il y a tout de même un horaire, un emploi du temps, dans
les écoles nouvelles ; mais il faut noter que cet horaire est plus
souple et laisse beaucoup plus de liberté aux enfants que celui de
l'école ordinaire. Autre remarque : les pédagogues des écoles
nouvelles croient que l'évolution de l'individu est une
récapitulation abrégée de l'évolution de la race ; par suite, ils
pensent que le régime scolaire doit aller de l'autorité avec les
tout petits à la liberté avec les plus grands. A l'Ecole nouvelle,
on organise ainsi un apprentissage de la liberté.
*
* *
Ecole
unique. Cette expression nous vient du mot allemand, Einheitschule.
Ce que l'on désigne par ce terme, assez peu précis, a été
réalisé, au moins partiellement, en quelques pays : Allemagne,
Suisse, etc … Depuis la guerre, une vive campagne a été menée en
France, pour ou contre l'Ecole unique, mais cette campagne répond à
des préoccupations diverses et parfois contradictoires que l'on peut
résumer ainsi brièvement :
1°
Réaliser l'égalité réelle des classes sociales devant
l'enseignement ;
2°
Remettre de l'ordre dans une organisation scolaire chaotique ; 3°
(Pour quelques-uns), préparer le monopole de l'Enseignement et
combattre l'Enseignement religieux ;
4°
(Pour d'autres qui veulent limiter la réforme), aspirer l'élite du
prolétariat au profit de la bourgeoisie.
Malgré
l'augmentation du nombre des bourses, l'injustice de notre
organisation scolaire actuelle est évidente. Il est vrai que l'on
justifie la non gratuité de certaines écoles en disant que celui
qui peut payer doit payer ; mais le paiement n'est qu'un
trompe-l’oeil puisque l'Etat subventionne les écoles (collèges,
lycées, facultés, etc.) payantes. Il a été calculé qu'en 1910,
un père de famille mettant un fils au lycée payait, en moyenne, le
tiers de la dépense dont l'Etat fournissait les deux autres tiers.
Ce calcul est d'un socialiste (Zoretti) mais nul ne l'a jamais
démenti. Par suite du peu d'élèves de certains établissements, du
traitement et du nombre des professeurs, etc., un petit bourgeois de
dix ans, suivant les cours d'un collège payant, coûtera plus à
l'Etat qu'un enfant d'ouvrier fréquentant l'Ecole primaire,
soi-disant gratuite.
Ajoutons
que, compte tenu des subventions actuelles de l'Etat et de la
possibilité de supprimer certains établissements d'enseignement
secondaire, la réalisation de l'Ecole unique entraînerait pour
l'Etat des charges financières vraiment légères, comparativement à
certaines dépenses improductives : plus de quarante millions, a
déclaré un adversaire de la réforme. Un universitaire, hostile à
l'Ecole unique, Abel Faivre, réclame un enseignement parallèle,
mais le mal est précisément dans le parallélisme actuel : Gratuit
Payant
1er
degré : Ecoles primaires Classes élémentaires des lycées et
collèges.
2ème
degré: Ecoles primaires Enseignement secondaire. supérieures,
écoles normales. Facultés, grandes Ecoles.
3ème
degré : Ecoles normales supérieures d'enseignement primaire.
L'enseignement
primaire ne devrait point se prolonger ainsi dans les 2ème et 3ème
degrés et, par contre, l'enseignement du 2ème degré devrait
renoncer à cette doublure du primaire que sont les classes
élémentaires des lycées et collèges. Le désordre n'est pas
seulement là. Des écoles techniques se trouvent placées sous la
direction d'un Ministère du Commerce et de telles écoles
s'efforcent parfois de préparer aux Brevets tout comme les Ecoles
primaires supérieures, dépendant du Ministère de l'Instruction
publique. Il est vrai que ces dernières écoles concurrencent à
leur tour les précédentes, en tendant à avoir un caractère
technique. Une différenciation des Ecoles des 2ème et 3ème degrés
est nécessaire par suite de la différenciation des études,
conséquence elle-même de la diversité des professions ; mais, à
une différenciation croissante doit correspondre une spécialisation
de plus en plus étroite des écoles et non pas la concurrence et le
chaos actuel.
Imaginons
qu'une loi décide la suppression de ce désordre et réalise la
gratuité de l'enseignement à tous les degrés. Cette simple
hypothèse va nous permettre de montrer la complexité du problème.
D'abord, peu de petits prolétaires pourront profiter des
enseignements des 2ème et 3ème degrés. A cela deux raisons. Raison
d'aptitudes d'abord : l'inégalité sociale cause l'inégalité
physique et mentale ; l'enfant pauvre, né dans de plus mauvaises
conditions, a de moindres chances d'un développement satisfaisant :
alimentation, logement, soins, etc. Autre raison, surtout
lorsqu'il
reste des frères et soeurs à élever : l'enfant pauvre vient assez
tôt à l'aide de
sa
famille. Il est vrai que divers projets d'Ecole unique prévoient non
seulement la gratuité absolue, mais encore des allocations
familiales de remplacement pour les parents dont les enfants sont
capables de continuer leurs études. On peut donc supposer que le
nombre des enfants des classes pauvres devant poursuivre les études
sera plus élevé que nous ne l'avons imaginé tout d'abord. Même si
l'on pouvait bâtir rapidement des écoles, on ne pourrait trouver
immédiatement des professeurs compétents. Si trente petits
prolétaires doivent, par leurs capacités, prendre place dans le
lycée d'une petite ville, c'est que trente enfants des classes
aisées, mais moins aptes, leur cèderont la place. Les exclus iront
renforcer l'Enseignement libre, c'est-à-dire religieux dans la
plupart des cas, si l'on n'établit pas le monopole de
l'Enseignement. Inutile de dire que ce monopole d'Etat ne nous dit
rien qui vaille et que nous sommes partisans d'une véritable liberté
de l'Enseignement. Cependant, imaginez les résultats d'une Ecole
unique sans monopole : tel fils d'usinier se verra sans doute
préférer le fils de l'un des ouvriers de son père et sera par
suite obligé de poursuivre ses études avec l'aide de maîtres de
l'enseignement libre ; au bout de quelques années, il est probable
qu'il sera moins capable que l'autre enfant de diriger l'entreprise
paternelle ; mais, à moins d'être tout à fait un cancre, il pourra
la diriger tout de même tandis que, malgré ses études supérieures,
le fils d'ouvrier devra se contenter de postes subalternes, ou faire
un déclassé, parce que la plupart des bonnes places resteront dans
les mains des fils à papa, des neveux, cousins, etc...Parfois,
cependant, un petit prolétaire parviendra à. une situation mieux en
rapport avec ses aptitudes ; mais, presque toujours, ce sera au prix
du reniement de sa classé et, en définitive, son accession à la
classe supérieure consolidera l'inégalité sociale.
En
résumé, il est utopique de croire qu'une société basée sur
l'inégalité sociale réalisera une véritable égalité des enfants
devant l'instruction, car l'inégalité sociale renforce l'inégalité
naturelle des capacités et la fortune, plus que les capacités,
ouvre la porte des situations les meilleures. Cependant si
l'inégalité ne peut disparaître tout d'un coup ni tout à fait, on
peut espérer qu'elle s'atténuera peu à peu. A certains égards
même, la classe privilégiée nous parait travailler à détruire
son privilège. C'est ainsi qu'en s'efforçant de trouver des
spécialistes pour ses usines, de réaliser l'orientation
professionnelle, la classe capitaliste non seulement fournit un
argument en faveur de la sélection des capacités, mais encore
contribue à la recherche des moyens d'opérer une telle sélection.
Nous reviendrons plus tard sur la question de l'orientation
professionnelle mais nous pouvons faire observer dès maintenant que,
bien faite, elle devrait : 1° permettre de fournir à chaque
profession (manuelle ou non) les travailleurs d'élite dont elle a
besoin et à chaque postulant un emploi ; 2° guider les mieux doués,
aptes à diverses professions vers celle qui exige, avec le plus
d'aptitudes spéciales, le maximum d'intelligence.
Ecole
unique et orientation professionnelle nouent le problème de la
sélection des élites. Quand et comment cette sélection
devra-t-elle être faite? Certaines aptitudes se manifestent
tardivement et ce n'est qu'après la puberté que l'on pourra
vraiment juger si des enfants seront aptes à des écoles
supérieures.
Devrons-nous
donc faire la sélection après 15 ou 16 ans comme le voudraient
quelques-uns? Il semble raisonnable de croire qu'on devra
sélectionner à ce moment, mais ce serait certainement une erreur de
croire qu'on ne doit pas sélectionner plus tôt. Non pas seulement
parce que certaines études, le latin par exemple, demandent à être
connues hâtivement, mais parce qu'il importe qu'avant cet âge les
élites ne perdent pas leur temps. Dans certaines communes de la
Suisse romande, une sélection se fait à sept ans, qui permet de
trier les élèves des écoles en trois classes : anormaux, retardés
et normaux ; les bons élèves des classes de normaux doivent
parcourir le programme primaire en 4 années au lieu de 5, si bien
qu'à onze ans cette élite doit choisir entre l'école secondaire
qui conduit aux facultés et l'école primaire supérieure qui se
continue par les écoles techniques. Cependant, ce dernier mode de
sélection ne nous satisfait pas mieux que le premier ; il est
beaucoup plus favorable aux enfants précoces qu'aux enfants vraiment
bien doués.
Comment
donc faire pour ne pas écarter une partie des élites sans perte de
temps?
Evidemment
l'individualisation de l'enseignement, l'école sur mesure,
fournissent la meilleure solution de ce problème, si, de plus, on
procède prudemment par sélections successives et de plus en plus
serrées. Dès l'âge de 6 à 7 ans, on peut écarter les anormaux et
les retardés ; une nouvelle sélection s'impose entre dix ou onze
ans, pas trop sévère non plus et avec une organisation scolaire
assez souple pour permettre d'en corriger les résultats au besoin ;
enfin ce n'est que vers 15 ou 16 ans que doivent se placer les
épreuves définitives pour les enfants se destinant aux études
supérieures. Je dis épreuves et non examens, car les examens
actuels tiennent moins compte des aptitudes réelles que de la
mémoire des candidats. Je touche là à une des difficultés de
réalisation de l'Ecole unique. Ce n'est que depuis peu que l'on se
soucie vraiment de la préparation de telles épreuves, c'est-à-dire
des tests professionnels et des tests psychologiques et il ne s'agit
pas seulement de reconnaître les aptitudes de chaque enfant, mais
aussi de bien connaître celles qui sont nécessaires pour l'exercice
convenable de chaque profession. Toutes ces questions sont activement
étudiées depuis quelques années et leur solution ne sera
certainement pas sans influence sur la réalisation de l'Ecole
unique. D'autres causes encore influeront certainement dans le même
sens et je veux seulement en signaler une dont l'importance me paraît
encore aujourd'hui méconnue. L'école deviendra plus active et en
particulier l'activité manuelle y occupera une plus large place.
D'abord, parce que, dans un monde plus actif, plus industriel, plus
scientifique, l'école ne peut qu'évoluer et s'écarter davantage de
la scholastique moyenâgeuse. Ensuite, parce que les progrès de la
psychologie et de la pédagogie nous démontrent aujourd'hui
l'importance de l'activité et en particulier de l'activité manuelle
pour le développement des facultés logiques et de la volonté. Par
suite, la différenciation des études dans l'enseignement primaire
devra naître, non plus d'une différence dans les buts poursuivis,
professionnels ou de culture, mais de la différence des aptitudes
individuelles ; or, c'est précisément là un des buts que
poursuivent les partisans de l'Ecole unique.
*
* *
L'Ecole
de l'avenir. Plus d'un penseur a bâti cette école en utopie et en
uchronie. En 1891, un socialiste anglais, W. Morris, publiait ses «
Nouvelles de nulle part », oeuvre d'imagination où nous trouvons un
tableau de l'éducation des temps futurs. Point d'écoles et
cependant « la plupart des enfants, voyant des livres autour d'eux,
parviennent à lire quand ils ont quatre ans ». Tout aussi
facilement et aussitôt ces enfants apprennent l'anglais, le
français, l'allemand, le gallois, l'irlandais, le grec, le latin,
etc. Ne croyez pas que cet etc. renferme une langue internationale :
espéranto, ido où autre, W. Morris n'a point songé à cela.
Incontestablement le socialiste anglais manquait de connaissances
psychologiques sérieuses et, au point de vue qui nous occupe, son
oeuvre d'imagination est tout à fait fantaisiste ; Un anarchiste
belge, Elslander, a lui aussi tenté d'imaginer ce que serait une
éducation rénovée. Moins fantaisiste que Morris, il nous trace le
tableau d'une école idyllique qu'il baptise Novella. A vrai dire
Novella est une ferme dans laquelle les enfants vivent actifs et
joyeux. Au contraire des enfants de « nulle part », ceux de Novella
n'apprennent pas à lire et à écrire avant dix ans. Ce seul détail
de l'apprentissage de la lecture nous permet de saisir le gros défaut
des oeuvres dont nous venons de parler brièvement. Ni W. Morris, ni
Elslander ne placent l'époque d'apprentissage de la lecture au
moment le plus favorable ; l'un fait apprendre à lire à des enfants
qui en sont encore incapables et l'autre laisse passer le moment le
plus favorable - 6 à 8 ans - pour cet apprentissage. Avoir beaucoup
d'imagination ne suffit donc pas pour imaginer ce que pourra être
l'école de l'avenir. Pour cela il faut connaître les progrès qui
ont déjà été réalisés ou qui se réalisent peu à peu chaque
jour dans tous les coins du globe. Ce n'est pas par souci d'historien
que nous avons parlé de ces progrès dans les pages qui précèdent,
mais parce que leur connaissance peut aider à imaginer une école
meilleure. Si la psychologie de l'enfant et la pédagogie
expérimentale sont des sciences encore trop peu avancées pour nous
permettre certaines précisions de détail, elles peuvent cependant
nous apporter une aide tout aussi, précieuse que la connaissance du
progrès accompli ou en cours. Il est certain, par exemple, que
l'école continuera de tenir de plus en plus compte des intérêts
enfantins, que de plus en plus elle s'efforcera d'être l'école sur
mesure, celle qui s'adapte à chaque enfant, à ses goûts et à ses
aptitudes. Ceci nous permet de penser que les écoles se
différencieront de plus en plus, permettant la sélection des
élites, l'orientation professionnelle, comma aussi le maximum
d'éducation et d'instruction possible pour les plus mal doués. Déjà
et de plus en plus, les éducateurs s'efforcent d'accroître la
valeur individuelle de leurs élèves en cultivant leur spontanéité
et en favorisant leur initiative. Mais comment pourra-t-on parvenir à
favoriser ainsi ce libre épanouissement des natures enfantines? En
plaçant les enfants dans un milieu convenable et en leur assurant
une bonne éducation par l'action concertée et éclairée des
parents et des pédagogues. Pour le petit enfant, le milieu
convenable n'est pas la ville. Les musichalls, les cinémas, les
étalages, la circulation, appartiennent à une civilisation trop
avancée qui n'est pas à la mesure des enfants. Ce qu'il faut, c'est
un milieu naturel, vivant, qui fournisse aux enfants mille occasions
d'agir sans trop de dangers, d'observer et d'expérimenter, où
l'éducateur trouvera de nombreux prétextes pour faire penser,
parler, dessiner, écrire, lire, calculer, etc. L'école de l'avenir
sera à la campagne, la culture, l'élevage ; les promenades
permettront de voir la nature, d'observer les métiers simples, les
machines les moins compliquées, les matières brutes, etc... Dire
que ce milieu convient le mieux au développement corporel et mental
des enfants, cela suppose que l'école ne sera plus une prison, que
le bâtiment scolaire sera un abri contre les intempéries, un
atelier pour divers travaux et que la classe se fera souvent au
dehors.
Pénétrons
dans un de ces bâtiments. Le pédagogue n'étant plus celui qui
surveille, commande, punit, fait des leçons, mais le compagnon plus
âgé qui observe les enfants pour bien savoir ce qui leur convient,
qui met sur leur chemin des occasions d'efforts fructueux, qui
stimule et entraîne à l'occasion, ne trône plus dans un de ces
massifs bureaux nécessaires aux pions de jadis. Ici, les élèves
sont libres. Les plus jeunes préfèrent travailler seuls le plus
souvent ; mais les plus âgés s'associent librement et forment
presque toujours de petits groupes qui se répartissent une oeuvre
collective formant ainsi l'image d'une société en miniature. Cette
organisation vivante et libre suppose un tout autre arrangement des
classes, permettant des déplacements faciles, car de temps en temps
l'un ou l'autre doit venir trouver le maître pour demander aide ou
conseil, ou s'adresser à l'un de ses condisciples, ou aller chercher
ailleurs un objet dont il a besoin. Ceci n'est possible qu'avec des
locaux vastes et variés. Il en faut pour les travaux de ménage,
pour ceux du bois, etc. On écrit, on lit, et on calcule ainsi dans
notre école, on y écoute aussi le maître, bien qu'assez souvent ce
soit un élève qui, ayant fait des recherches à propos d'un sujet
d'étude - dans les livres de la bibliothèque ou au dehors - vient
exposer à tous le fruit de ses travaux. Mais tout cela n'est plus
l'occupation principale ; aussi, en place des tables de jadis, on a
disposé des
planches
sur des tréteaux et chaque enfant a son siège individuel. Les
tables ainsi faites ne sont plus disposées face à la place du
maître. La place du maître est tantôt ici, tantôt là, mais
toujours où il y a besoin d'aider ou de stimuler quelqu'un. Ces
tables, dis-je, sont placées en fer à cheval ou de toute autre
façon, pourvu que leur disposition dans la vaste salle favorise
l'activité tranquille des écoliers. La salle n'est pas seulement
vaste parce qu'elle doit permettre des évolutions faciles, mais
aussi parce que, devant fournir de multiples occasions d'activité,
elle renferme un riche matériel. Je ne veux pas dire par là que ce
matériel est coûteux ; sa richesse, c'est son abondance, ce sont
ses possibilités d'utilisation qui le font riche et précieux à mes
yeux. Tout au contraire les maximes murales et tant de tableaux
muraux qui ont fait la fortune de tant d'éditeurs ont été bannis
de notre classe. Cette classe est la salle des enfants et, si des
rayons supportent de nombreux volumes, si on y trouve encore quelque
matériel acheté, la plupart des objets que nous y pouvons voir ont
été trouvés ou fabriqués par les enfants. L'ornementation des
murs est leur oeuvre Ils ont trouvé la salle presque nue avec des
consoles et des étagères nombreuses et facilement accessibles. Ils
ont aussi trouvé quelques caisses et les grands ont contribué à
enrichir ce mobilier par leurs propres travaux : classeurs où seront
recueillis des images et des articles découpés dans des journaux ou
des revues, boîtes en carton pour les collections, etc... Tous ces
travaux ont évidemment nécessité quelque réflexion, des dessins,
des calculs, etc... Parfois les parents des élèves ont apporté
leur contribution : le charpentier une collection de bois, le charron
une petite roue non serrée par le fer, etc. ; et ceci a contribué à
établir le lien nécessaire entre l'école et la famille. L'Ecole,
en effet, loin de vouloir supprimer l'influence, familiale, s'efforce
de lui restituer sa pleine valeur. Pédagogues et parents collaborent
à l'éducation de la jeunesse. Je ne veux point allonger inutilement
cette étude ; mais cependant avant d'y mettre le point final et de
l'envoyer pour compléments aux mots éducation, instruction, etc.,
je tiens à attirer l'attention du lecteur sur un fait. Cette école
de l'avenir, que je viens de dépeindre, n'est pas une utopie. Si,
parcourant le vaste monde, le voyageur visitait successivement la
Maison des petits de l'Institut J.-J. Rousseau, à Genève,
l'Orphelinat rationaliste et l'Ecole de l'Ermitage à Bruxelles, le
gymnase de Bogota dans l'Amérique du Sud et d'autres écoles encore
qui se multiplient peu à peu, il pourrait constater que je n'ai fait
que rassembler, en mon tableau de l'Ecole de l'avenir, des fragments
des écoles d'aujourd'hui. Pour « l'enfance heureuse et libre » que
rêva Ferrer, il ne cesse de se créer des écoles et ce nom est une
raison d'espérer.
-E.
DELAUNAY.
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