L'échafaud
est une construction provisoire en bois, formant une espèce de
plancher, et utilisé plus particulièrement par les maçons et les
peintres, pour la construction ou la réfection des immeubles, des
monuments, et des édifices. Pourtant, ce terme est peu usité en ce
sens, et les constructions en bois utilisées par les ouvriers
lorsqu'ils travaillent sur des lieux élevés se désignent
couramment sous le nom « d'échafaudages ». Dans le langage
courant, « l'échafaud » est l'appareil de supplice sur lequel on
exécute les condamnés à mort. Mourir sur l'échafaud ; porter sa
tête sur l'échafaud. Dans le passé, les exécutions capitales
étaient une source de divertissements pour le bas peuple. Selon le
mode d'exécution, des échafauds de formes différentes étaient
dressés sur la place publique, et c'est au pied de l'échafaud que
le bourreau prenait possession de sa victime. En vérité, cela a peu
changé de nos jours ; cependant, le peuple n'accourt pas comme jadis
pour assister au répugnant spectacle d'une exécution, et autour de
l'échafaud on ne rencontre plus que quelques névrosés, plus à
plaindre qu'à blâmer, à la recherche de sensations fortes
susceptibles de fouetter leur sensibilité maladive. « Le crime fait
la honte et non pas l'échafaud », a dit Thomas Corneille, et ils
sont, en effet, nombreux, les malheureux innocents qui montèrent à
l'échafaud et furent exécutés par la main criminelle du bourreau.
Toute la responsabilité de ces meurtres légaux retombe sur ceux
qui, pour perpétuer l'erreur et maintenir le peuple dans
l'esclavage, n'hésitèrent pas et n'hésitent pas à tremper leurs
mains dans le sang. Quelque horrible et répugnant que puisse
paraître l'être vil et abject qui consent à remplir l'ignoble
fonction de bourreau, ce n'est pas lui pourtant qui dresse les
échafauds; ce sont ses maîtres. Il n'est, lui, que le bras qui
mécaniquement exécute un ordre donné; le véritable coupable est
l'homme qui, en robe rouge, réclame la tête du condamné au nom de
la société bourgeoise qu’il représente ; c'est toute la
magistrature qui élève des échafauds, pour défendre les
privilèges des exploiteurs, des despotes et des tyrans. Et depuis
toujours c'est ainsi; et lorsque parfois, las de souffrir et de
crever, le peuple se lève, et à son tour dresse des échafauds,
malgré l'horreur du sang versé, malgré le respect que nous avons
de la vie d'autrui, l'on ne peut que constater qu'il agit toujours à
l'égard de ses ennemis avec plus d'humanité que ceux-ci en ont eue
avec lui, et que jamais, quelque sanglante que puisse être une
révolution, elle n'égalera en horreur les crimes de la bourgeoisie.
N'est-ce pas parce que les révolutionnaires se laissent souvent
guider par le sentimentalisme, que les mouvements populaires échouent
lamentablement ? On a reproché à Robespierre et à Saint Just
d'avoir fait périr de nombreuses victimes et d'avoir régné par la
terreur. Anarchistes, nous sommes contre toute dictature et
adversaires, en principe, de toute violence, mais ce que nous, nous
reprochons à Robespierre et à Saint Just, c'est de ne pas avoir su
reconnaître les véritables amis du peuple et d'avoir fait exécuter
de sincères défenseurs de la Révolution. Une révolution n'est pas
une comédie ; c'est un drame terrible où se joue tout l'avenir d'un
peuple, d'un monde, et une erreur ou une indulgence détermine
parfois des catastrophes. La bourgeoisie, elle, ne pardonne pas.
Robespierre et Saint Just l'apprirent à leurs dépens. Après avoir
fait exécuter les hébertistes dont les tendances leur paraissaient
exagérées, à leur tour ils furent condamnés à mort par les
conspirateurs du 5 thermidor 1790. Ils moururent avec courage. Saint
Just « vêtu avec décence, les cheveux coupés, le visage pâle
mais serein, n'affectait dans son attitude ni I’humiliation, ni
fierté. On voyait, à l'élévation de son regard, que son oeil
portait au delà du temps et de l'échafaud ; qu'il suivait sa
pensée au supplice comme il l'aurait suivie au triomphe, sachant
pourquoi il allait mourir, et ne reprochant rien à la destinée,
puisqu'il mourait pour sa fidélité à ses principes et à la
mission qu'il s'était donnée. Il parut ainsi debout, au sommet de
l'échafaud : grand, mince, la tête inclinée, les bras liés,
les pieds dans le sang de Robespierre, dessinant sa haute stature sur
le ciel éclairé du dernier crépuscule, et mourut sans ouvrir les
lèvres, emportant sa protestation dans la mort. Il avait vingt-six
ans et deux jours » (Lamartine). Oh ! non, Ia bourgeoisie ne
pardonne pas. Saint Just disait : « Les gens qui font des
révolutions à demi, ne parviennent qu'à se creuser un tombeau ».
C'est parce que la Révolution française fut une révolution
inachevée, que des échafauds se dressèrent encore par les matins
blafards et que, de nos jours, les machines sinistres et macabres
poursuivent leur oeuvre de mort. Les révolutionnaires sont montés à
l'échafaud, et y monteront probablement encore, et jusqu'au jour où
la société que nous subissons ne sera pas détruite, il y aura des
hommes, qui, pleins d'abnégation et de désintéressement, donneront
leur vie, se sacrifieront pour le bonheur de l'humanité. Les
anarchistes eurent, eux aussi, leurs victimes; toutes moururent avec
courage, et durant la période tragique qui s'écoula entre 1892 et
95, plusieurs des nôtres eurent leur tête qui tomba sous le
couperet de la veuve. Ce fut d'abord Ravachol, qui, le 10 juillet
1892, gravit les marches de l'échafaud. « C'est en souriant
», nous dit Henri Varenne, dans son ouvrage « de Ravachol à
Caserio », et en jetant des airs de défi à la foule, qu'il marcha
vers l'échafaud. A quelques pas de la guillotine, à plein gosier,
il se mit à chanter, avec des ricanements, cet étrange couplet :
Pour être heureux, nom de Dieu,
Il
faut tuer les propriétaires, Pour être heureux, nom de Dieu, Il
faut couper les curés en deux. Pour être heureux, nom de Dieu, Il
faut mettre le bon Dieu dans la m … « Arrivé à la bascule, il
s'interrompit : « - Citoyens, cria-t-il... » Et comme les aides le
couchent sur la planche : « Mais laissez-moi, dit-il. Je veux... »
« …La planche a basculé. Ravachol crie encore : « - Vive la
Ré... » « Le couperet tombe, coupant le mot avec la gorge. » Ce
fut ensuite le tour de Vaillant, condamné à mort pour avoir lancé
au Palais Bourbon, le 9 décembre 1893, une bombe qui ne tua personne
et blessa légèrement quelques députés. Malgré la campagne de
presse et la protection unanime de toute la population, Vaillant fut
exécuté. « Il mourut courageusement, simplement, aussi calme
devant la guillotine, qu'il l'avait été devant le jury. « -Vive
l'Anarchie! Ma mort sera vengée, cria-t-il au moment du réveil. »
« Et au pied de l'échafaud,
d'une voix retentissante, il prononça ces quelques mots : « -Mort à
la société bourgeoise et vive l'Anarchie ! » Il fut enterré au
cimetière d'Ivry, et quelques jours plus tard, on trouva sur sa
tombe, une superbe branche de palmier à laquelle était attachée
une pancarte qui portait ces quelques vers : Puisqu'ils ont fait
boire il la terre, A l'heure du soleil naissant, Rosée auguste et
solitaire, Les saintes gouttes de ton sang, Sous les feuilles de
cette palme, Que t'offre le droit outragé, Tu peux dormir ton
sommeil calme, O martyr !... Tu seras vengé. 7 février 1894. Puis
ce fut Emile Henry, qui, à 21 ans, marcha à l'échafaud avec un
rare courage pour un enfant de cet âge, et ensuite Caserio, un gamin
de 20 ans, qui voulut, en supprimant le président Carnot, venger la
mort de Vaillant. Et tant d'autres que nous ne citons pas, ils sont
trop nombreux, ont terminé ainsi leur misérable existence parce
qu'ils avaient cru en l'amour et en la liberté. Et ce n'est pas
assez de sang versé, ce n'est pas encore assez de crimes perpétrés
au nom de la morale et de la justice. La tragédie continue. De par
le monde, pour des raisons et des causes politiques ou autres, les
échafauds se dressent, et les miséreux y montent. Quand donc cela
finira-t-il ? N'est-ce pas une honte en notre siècle, de prétendu
progrès et de civilisation. Tuer pour tuer ! N’est-ce pas un signe
de barbarie, et l'homme ne s'est-il pas libéré de sa cruauté
ancestrale ? Ne comprendra-t-il jamais qu'il doit détruire les
échafauds et ne pas permettre qu'au nom d'un code « infaillible »
édicté par les privilégiés de ce monde, on arrache la vie à un
être humain ? Abolir la peine de mort, ce n'est certes pas
suffisant, mais, tout de même, ce serait déjà un pas en avant qui
nous ouvrirait la route vers l'avenir et nous ferait espérer les
jours meilleurs où les murs des prisons s'écrouleront, rendant à
la liberté et à la vie, tous les hommes devenus meilleurs dans une
société fraternelle.
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