« De
là cette inquiétude connue des esprits avides et assoiffés,
quels que soient l’état et le degré de fortune dans lesquels ils
se trouvent car ils ne connaissent aucune satisfaction réelle ou
profonde mais une sorte d’insatiabilité propre à cette (A.265)
condition. En effet, il est impossible qu’il y ait une réelle
jouissance qui ne peut être que la conséquence d’un appétit
naturel et juste. Quand, à cause de l’avidité et de
l’ambition, le désir est toujours présent et qu’il ne peut se
satisfaire de ce qu’il obtient, nous n’appelons pas volontiers
cela une jouissance de la richesse et de l’honneur. Contre
ce vice qu’est l’AVIDITÉ, on a assez continuellement dit dans le
monde et selon notre façon habituelle de parler qu’un tempérament
avide est en réalité la même chose qu’un tempérament
misérable. »
« Il
est en même temps évident que plus l’égoïsme se développe en
nous, plus doivent se développer une certaine subtilité,
une certaine dissimulation dans
le comportement, attitudes qui accompagnent naturellement l’égoïsme.
C’est ainsi que nous perdons la candeur et l’ingénuité de notre
nature, la tranquillité et la liberté de l’esprit et, aussi,
d’une certaine manière, toute fidélité
et toute confiance.
Les soupçons,
les jalousies et
les envies se
multiplient. Chaque jour se forment en nous avec plus de force des
buts séparés et
un intérêt séparé ;
les vues générales et
les motifs généraux sont
mis à l’écart. Plus sensiblement nous sommes disjoints de la
société et de nos semblables, pire est l’opinion que nous avons
de ces passions sociales 104 qui
nous lient aux autres dans une alliance et une concorde étroites.
Sur ces points, nous devons bien évidemment nous efforcer au silence
et nous devons supprimer nos affections bonnes et naturelles
puisqu’elles sont telles qu’elles nous porteraient au bien de la
société contre ce que nous imaginons naïvement être notre bien et
notre intérêt privés, comme nous l’avons montré. »
« De
ce genre est cette DELECTATION INHUMAINE et
CONTRE NATURE à assister à des supplices et à
voir la détresse, les calamités, le sang, les massacres et les
destructions avec une joie et un plaisir particuliers. Cette passion
a été la passion dominante de nombreux tyrans et des nations
barbares et elle appartient en quelque degré à ces tempéraments
qui ont rejeté cette courtoisie de conduite qui nous maintient dans
un juste respect du genre humain et prévient le développement de la
dureté et de la brutalité. Cette passion est absente là où la
civilité et les moeurs affables ont la moindre place. Telle est la
nature de ce que nous appelons la bonne éducation qui n’admet
pas, entre autres corruptions, l’INHUMANITÉ, le plaisir
barbare. Voir la souffrance d’un ennemi avec une délectation
cruelle peut provenir de
l’importance
de la colère, du désir de se venger, de la peur ou d’autres
passions privées mais se délecter de la torture et des souffrances
d’autres créatures qui nous sont indifférentes, compatriotes ou
étrangères, de notre espèce ou d’une autre espèce, de notre
parenté ou non, connues ou inconnues, se repaître, pour ainsi dire,
de la mort et se divertir de l’agonie, il n’y a rien en cela qui
puisse se justifier par l’intérêt ou le bien privés déjà
mentionnés. C’est totalement et absolument contre nature,
horrible et misérable ».
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