Le
divorce est la rupture des liens du mariage, légalement effectuée
du vivant des époux. On a dit que le divorce était aussi ancien que
le mariage lui-même. Voltaire a fait spirituellement observer, qu’il
avait dû le suivre de quelques semaines. Quoi qu’il en soit, il
s’agit d’une affirmation excessive. Il n’y a pas lieu, en
effet, de confondre le divorce avec la répudiation telle qu’elle a
été pratiquée, dès la plus haute antiquité, chez tous les
peuples de l’Orient, et qui consistait en la faculté, pour le
mari, de renvoyer sa femme lorsqu’il la jugeait indigne de partager
dorénavant son existence. Il semble que c’est en Grèce qu’a
pris naissance le divorce, avec faculté pour les époux de se
séparer d’un commun accord, après qu’un magistrat eût apprécié
les motifs de leur détermination. A Rome, la législation
distinguait entre le divorce et la répudiation. Le divorce
consistait en la dissolution du mariage par le consentement mutuel de
l’homme et de la femme. La répudiation consistait en la
dissolution du mariage par l’effet de la volonté d’un seul des
conjoints : l’homme ou la femme, indépendamment de la volonté de
l’autre. La répudiation de la part de l’épouse était légitimée
lorsque le mari était convaincu d’avoir voulu la livrer à la
débauche, ou d’avoir fait peser sur elle des accusations
d’immoralité non fondées, ou bien encore d’avoir entretenu une
concubine. On admettait que l’époux répudiât sa femme au cas
d’adultère, d’abandon du domicile conjugal, ou de désobéissance.
De part et d’autre, la tentative de meurtre était appréciée
comme une raison particulièrement grave. Ces moeurs, d’origine
grecque, et qui consacraient, en même temps qu’un respect marqué
de la liberté individuelle, une égalité relative des sexes, furent
transportées en Gaule avec l’invasion romaine. Mais elles
disparurent devant les exigences de la religion chrétienne, qui, non
seulement faisait de la monogamie une obligation, mais encore
s’inspirait d’un passage des Evangiles pour fonder le dogme de
l’indissolubilité du mariage. II est écrit, en effet, dans saint
Matthieu, au chapitre XIX, que des Pharisiens, ayant demandé à
Jésus s’il est permis à un homme de répudier sa femme pour
quelque sujet que ce soit, celui-ci leur répondit qu’il était
dans la volonté divine que les époux ne formassent qu’une seule
chair, et que l’homme ne doit point séparer ce que Dieu a uni.
Fort de ce texte, le catholicisme condamna le divorce comme un crime,
avec pour sanction l’excommunication. Mais, avec la casuistique
spécieuse qui le caractérise, il devait l’admettre en fait,
quoique d’une façon hypocrite et détournée, pour favoriser, à
l’occasion, les desseins de puissants personnages. Henri IV, devenu
roi de France, ne pouvait épouser Marie de Médicis, étant uni déjà
à Marguerite de Valois. L’Église ne pouvant rompre ce premier
mariage par le divorce, ce qui eût été un scandale, tourna la
difficulté en le frappant de nullité, c’est-à-dire en déclarant
qu’il n’existait pas ! Et tout le monde fut satisfait, sauf
peut-être Marguerite de Valois. Grâce à ce grossier subterfuge, le
bon roi Henri put reposer la conscience à l’aise, et profiter de
la bénédiction du clergé, dans une circonstance qui aurait fait
accuser d’adultère et vouer aux flammes éternelles le premier
venu des paysans. Pour les pauvres gens, rivés l’un à l’autre
par les chaînes du mariage religieux, l’Église n’a jamais
admis, en cas de mésentente, que la séparation de corps, qui est la
faculté d’aller vivre chacun de son côté, mais sans que soit
dissous le mariage, sans la possibilité, par conséquent, de
rechercher le bonheur dans une autre union. Il en est encore ainsi,
de nos jours, dans les pays soumis à l’autorité papale :
l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la presque
totalité de l’Amérique du Sud. Par contre, les nations
protestantes : l’Allemagne, l’Angleterre, la Hollande, le
Danemark, la Suisse, ont rejeté le rigorisme catholique et adopté
le divorce, avec des facilités diverses, dès la Réforme,
c’est-à-dire au début du XVI° siècle. En France il fallut, pour
obtenir ce résultat, l’effort libérateur de la Révolution.
L’Assemblée législative reconnut le divorce par la loi du 20
septembre 1792, sur la proposition du député Aubert-Dubayet. Il fut
autorisé sur la demande d’un seul des conjoints dans chacun des
cas suivants : 1° Démence ou folie ; 2° Condamnation à une peine
afflictive ou infamante ; 3° Sévices ou injures graves ; 4°
Dérèglement des moeurs ; 5° Abandon pendant deux ans au moins ; 6°
Absence sans nouvelle pendant cinq ans au moins ; 7° Émigration.
Mais le divorce comptait beaucoup d’ennemis et, après nombre de
débats, le Décret du 20 mars 1803 en réduisit considérablement la
portée. Puis le retour des Bourbons annula cette conquête
révolutionnaire. Il fut aboli par la loi du 8 mai 1816. Il ne devait
renaître de ses cendres que soixante-huit ans après, sur
l’initiative d’Alfred Naquet, après sept ans d’efforts
parlementaires. Les lois du 27 juillet 1884 et du 18 avril 1886 ont
reconstitué le divorce de la Révolution, mais avec des restrictions
regrettables, et tout en laissant subsister la séparation de corps,
par égard pour le culte catholique. Avec ces nouvelles dispositions
légales, les motifs de divorce reconnus valables sont réduits à
trois : 1° Les excès, sévices et injures graves ; 2° La
condamnation à une peine afflictive et infamante ; 3° L’adultère.
Le premier motif est laissé à l’estimation du juge. Seuls les
deux derniers motifs sont considérés comme péremptoires,
c’est-à-dire de nature à faire obtenir le divorce sans
difficulté, - ce qui ne signifie point sans frais ni lenteurs - dès
l’instant que les faits sont bien établis. Mais si la constatation
est aisée qu’une pénalité judiciaire a été prononcée contre
un des époux, il n’en va pas toujours de même pour l’adultère
et ceci donne lieu à des recherches et expertises à la fois
grotesques et répugnantes. D’abord, il faut distinguer : le flirt,
les mignardises, l’essai de prise de possession, certains
attouchements risqués, ne sont pas considérés comme péché
d’adultère, non plus que les relations homosexuelles ! Et
pourtant... Mais passons ! Pour que, du point de vue de la loi, il y
ait adultère, il faut qu’il y ait eu consommation de l’acte
sexuel entre personnes de sexe différent. Et s’il n’existe pas
de documents probants, tels des lettres édifiantes susceptibles
d’être présentées comme pièces à conviction, il faut qu’un
commissaire de police, muni d’un mandat de perquisition, se rende
dans la chambre des amants pour y faire les constatations
nécessaires, et dresser procès-verbal de toutes les circonstances
utiles. C’est-à-dire qu’il retiendra soigneusement les propos
enflammés des coupables, leurs soupirs significatifs, les
craquements de leur sommier, s’il a pu entendre, à la dérobée,
quelque chose de semblable. La porte ouverte, il notera l’état de
désordre de leurs vêtements et de leur chevelure, vérifiera si le
lit est défait, s’il est encore chaud et porte l’empreinte de
deux corps allongés, si les draps portent des traces intimes, et
coetera... Bien qu’il s’agisse d’enquête au service d’une
loi condamnée par l’Église, cette casuistique malpropre est trop
dans le caractère de sa littérature spéciale à l’usage des
confesseurs, pour que l’on n’en soupçonne point l’inspiration.
Le divorce, tel qu’il a été rétabli par la République
Française, est à part ceci, très imparfait, et conserve la marque
de toutes les concessions que le législateur a dû faire aux gens «
bien pensants », pour obtenir gain de cause. Il est hérissé
d’obstacles. Les démarches en sont excessivement longues et
coûteuses. Ici encore, il n’est aucune parité entre les
possibilités pratiquement offertes aux riches, et celles mises à la
portée des pauvres. La dissolution du mariage par consentement
mutuel des époux n’ayant pas été retenue, le divorce français
actuel n’est pas la liberté pour l’homme et la femme de se
séparer de corps et de biens quand ils le veulent, avec faculté de
convoler en d’autres noces. Ce n’est que la libération accordée
à l’un d’eux, sur sa demande, en conséquence de certaines
fautes graves commises par son conjoint, et sur lesquelles un
tribunal doit se prononcer tout d’abord. Que de complications
inutiles et barbares ! Même dans les conditions de la vie sociale
actuelle, le divorce pourrait être sans inconvénient, mais avec
tout avantage, débarrassé des entraves que lui ont infligées à
plaisir des pions paperassiers et de malfaisants « vertuistes ».
Dès à présent, l’effort du législateur laïque pourrait et
devrait
porter exclusivement sur le souci de protéger contre la misère
l’épouse et l’enfant abandonnés - car c’est surtout cela qui
importe !- et délaisser le souci de préserver, soi-disant, la
dignité du mariage par la sauvegarde des apparences et le sacrifice
du bonheur d’autrui. Dès à présent, le législateur, pour la
plus grande satisfaction de ses contemporains, pourrait renoncer à
la poursuite de cette utopie : L’amour dans le mariage et le
bonheur des enfants dans la maison, assurés par la contrainte
judiciaire. Car l’amour, qui se ressent mais ne s’impose point,
se révèle sans préoccupation des articles du Code. Et, pour ce qui
est des enfants, si c’est pour eux un très grand bonheur, un
incontestable avantage que d’être élevés par des parents unis,
il .est cependant pour eux préférable d’être confiés à des
éducateurs affectueux, que de rester dans l’atmosphère
attristante et dangereuse d’un foyer où l’on se hait.
Jean
Marestan
DIVORCE.
- Le divorce, on peut le définir la porte de sauvetage du mariage.
Il est, en effet, un compromis entre l’union libre et le mariage
légalement indissoluble. Le divorce est admis en presque tous les
pays du monde. Aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en
Russie, en Suisse, en Norvège, au Danemark, en Belgique, en
Hollande, en Grèce, en Bulgarie, au Japon, en France, etc... Dans
les pays dominés par le clergé catholique, comme l’Espagne et
l’Italie, le divorce n’existe pas encore, mais il ne tardera pas
a s’universaliser. Son mécanisme sera toujours plus simple. En
Russie, en vertu du décret du 18 décembre 1917, le divorce est
devenu une pratique accessible à. toutes, les bourses, et réalisable
en peu de jours. Il semble impossible que le divorce rencontre encore
beaucoup d’adversaires, étant donné que le lien matrimonial,
quand il est troublé par le dissentiment, la mauvaise santé, etc.,
se résout en une infinité de malaises pires que la séparation
elle-même, aussi bien pour les conjoints que pour les enfants.
L’adultère, les scènes continuelles, les crimes passionnels, les
drames de la jalousie, et tant d’autres désordres et scandales
naissent du fait que beaucoup de femmes sont forcées de vivre avec
le mari qu’elles n’aiment pas, à cause des difficultés qu’elles
rencontrent pour la revendication de leurs propres droits. En
certains pays, la femme séparée reste légalement soumise au mari
et exposée à ses représailles : de l’arrestation pour
concubinage à l’interdiction de garder-les enfants auprès d’elle.
Il est ridicule de présenter le divorce comme étant la destruction
du mariage, puisqu’il n’est que la fin légale de l’union qui,
désormais, n’existe plus. A ce propos, le juriste italien Luigi
Miraglia observait (Filosofia del diritto, Naples, 1903, p. 463) : «
Seule, l’union perpétuelle de fait répond à l’idéal ; le
divorce, on doit le considérer comme la reconnaissance de la juste
fin de l’union pleine ; il commence là où finit l’idéal de
l’indissolubilité. » Le plus curieux, c’est que dans les pays
où n’existe pas le divorce, ce sont les femmes elles-mêmes qui,
écoutant les prêtres, se dressent contre lui. Pourtant, le divorce
serait une libération pour beaucoup d’entre elles. Une statistique
sur les séparations de personnes en Italie, en 1897, donnait
(abstraction faite des cas de séparations dont les conjoints étaient
d’accord), les chiffres suivants : la séparation fut accordée en
206 cas, pour excès, sévices, injures imputables presque toujours
au mari. En 18 cas, il s’agissait d’abandon volontaire et, sur
ces 18 cas, les deux tiers étaient imputés au mari qui avait quitté
la famille. En d’autres cas, la cause est une condamnation du mari.
Seulement en une seule des causes de séparation, le tort se
trouverait en majorité du côté des femmes, là où il s’agit de
tromper la foi conjugale : la statistique officielle cite 47
séparations déterminées par ce genre de mésaventures domestiques,
et ajoute que, en 35 .cas sur 47, la faute est du côté de la femme
; mais en tenant compte du fait que la tromperie de la femme, aux
termes de la loi, se consomme avec un seul acte, pendant que celle du
mari, pour être légalement efficace, doit se traduire en une forme
de concubinat, cette dernière exception perdrait toute importance.
L’augmentation énorme des divorces est significative. Aux
États-Unis, pays classique du divorce, il est dû à la précocité
des mariages. En fait, le recensement de New-York enregistrait 1.600
jeunes hommes et 1.200 jeunes filles de quinze ans, mariés en la
seule année 1920. Pendant la même année, 82 garçons et 1.500
filles d’âge non supérieur aux 15 ans, se trouvaient en état de
veuvage ou divorcés. En Europe aussi, les cas de divorce sont de
plus en plus fréquents, surtout dans les grands centres. Voici une
statistique de Berlin :
Années
l Mariages l Divorces l Pourcentage
1921
l 45.238 l 7.875 l 17,2
1922
l 47.688 l 7.364 l 15,5
1923
l 41.519 l 6.781 l 16,1
1924
l 30.650 l 7.372 l 24,1
On
pourrait citer d’autres statistiques, pour démontrer que le
mariage est en décadence et qu’on va vers l’union libre.
C.
BERNERI
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