Dans
la plupart des langues, et plus particulièrement dans toutes les
langues aryennes, la notion de justice est liée à celle de la
rectitude. La ligne droite est regardée comme le symbole du bien.
C'est ainsi que du sanscrit argu (droit au physique et au moral),
dérivent les mots arguta (droiture, honnêteté), et arguya (droit,
honnête). La même application se retrouve dans les langues
germaniques et celtiques. En Anglo-Saxon, les mots reht, riht,
aujourd'hui right, expriment à la fois au propre l'idée de ligne
droite, au figuré l'idée de droiture, d'honnêteté, de justice. En
Allemand, il en est de même de la racine reht, aujourd'hui recht. «
Droit » vient du mot latin « directum », participe passé du verbe
dirigo, dont le sens précis est « mettre en ligne droite », par
exemple, dans l'expression dirigere aciem, ranger une armée en
bataille (en ligne droite). Directum, dans le sens figuré, signifie
ce qui est conforme aux lois. Ce mot, comme d'ailleurs le verbe rego
dont il est issu, contiennent aussi l'idée d'ordre, de commandement.
Du verbe rego est également issu le mot latin regula, qui a, au
propre et au figuré, les mêmes acceptions que le mot règle, en
Français. L'idée de droit, dans l'origine grammaticale même du
mot, se confond aussi avec l'idée d'une règle imposée par une
force ou une autorité supérieure. Pour exprimer cette idée, les
Latins employaient, de préférence au mot directum peu usité, le
mot jus, qui provient du verbe jubeo, je commande, j'ordonne. Du mot
jus sont venus les mots français : justice, jurisprudence, etc. Le
Droit, si l'on s'en tient à l'origine grammaticale du mot, est donc
un ordre, un commandement, une règle, qui s'imposent aux individus.
Nous verrons plus loin qu'il n'était pas sans intérêt d'insister
sur cette origine. Le mot « Droit », nous disent les jurisconsultes
modernes, peut être pris dans deux grandes acceptions différentes.
« Si l'on se place au point de vue objectif, le Droit désigne
l'ensemble des préceptes, règles ou lois qui gouvernent l'activité
humaine dans la société, et dont l'observation est sanctionnée au
besoin par la contrainte sociale, autrement dit par la force
publique. » Le Droit objectif, dans les sociétés modernes, est, en
général, unique pour tous les individus appartenant à une même
communauté politique. C'est ainsi, par exemple, que l'on dira : le
Droit français, le Droit allemand,
le
Droit italien, etc. « Dans le sens subjectif, le mot droit désigne
les facultés ou prérogatives appartenant à un individu et dont il
peut se prévaloir à l'égard de ses semblables dans l'exercice de
son activité. » Chaque genre de faculté ou prérogative constitue
un droit déterminé, par exemple le droit de propriété, le droit
de puissance paternelle. À chaque droit de l'individu, correspond un
devoir légal, c'est-à-dire une obligation de respecter le droit, et
qui s'impose à tous les autres individus. Le mot droit, dans ce sens
subjectif, implique donc l'idée d'un pouvoir accordé à l'individu.
Le droit, dans les deux sens qui viennent d'être précisés, suppose
l'existence de groupes d'hommes ou sociétés humaines, mettant au
service des individus la force collective pour faire respecter les
droits de ceux-ci (sens subjectif), et imposant à tous leurs
membres, l'observation du Droit (sens objectif). Sur l'origine et
l'évolution des sociétés, on trouvera dans d'autres mots de
l'Encyclopédie, notamment au mot « Société », les développements
qui n'ont pas leur place ici. Nous plaçant en présence du fait de
la contrainte sociale, nous bornerons nos explications à analyser
d'une manière plus complète, l'idée de Droit, à en rechercher
l'origine, et à en retracer l'évolution générale, enfin à en
déterminer les diverses divisions ou formes dans nos sociétés
modernes. L'idée de droit, avons-nous dit, implique la contrainte.
Nous n'avons eu en vue que le Droit dit positif, celui qui est
obligatoire en vertu d'une loi écrite ou non écrite. Mais on prend
souvent le mot « droit » dans une acception beaucoup plus large.
Les jurisconsultes romains définissaient le droit « ars boni et
oequi », la science du bien et du juste, définition qui, ainsi
qu'on l'a fait remarquer, n'est guère qu'une tautologie ; il
faudrait, en effet, définir ce qui est bon et juste, et c'est là où
commencent les difficultés. Aristote disait « la décision du
juste est ce qui constitue le droit ». Au XVIIIe siècle,
Montesquieu, dans l'Esprit des lois, définit le droit « la raison
humaine en tant qu'elle gouverne le monde », La Commission de l'an
VIII, chargée de la rédaction du Code civil (voir ce mot), avait
inséré dans son projet, un article premier, qui disparut dans la
rédaction définitive comme constituant une simple déclaration de
principes, et qui disait : « Il existe un Droit universel, immuable,
source de toutes les lois positives : il n'est que la raison
naturelle, en tant qu'elle gouverne tous les hommes ». Ces diverses
définitions s'appliquent à ce que les Juristes appellent le Droit
naturel par opposition au Droit positif. Il y aurait une législation
antérieure et supérieure à tout droit positif, et dont la loi
écrite aurait pour tâche de se rapprocher aussi exactement que
possible, étant d'autant plus parfaite qu'elle ressemblerait plus
fidèlement à ce modèle. C'est à cette législation idéale que
font allusion les philosophes et les jurisconsultes de Rome. L'idée
du droit naturel s'harmonise d'ailleurs avec les doctrines de
Rousseau, inspiratrice de la génération révolutionnaire,
lesquelles représentent l'homme comme investi, par le seul fait de
sa naissance, de droits inhérents à sa personnalité, identiques
dans tous les temps, et sous tous les climats, et ne supportant
d'autres limitations que celles qu'il a consenties lui-même dans le
pacte social sous certaines conditions, et en vue de certains
avantages déterminés. (Voyez ci-dessous : Droits de l'homme.) La
grande difficulté reste toujours de déterminer ce qui est ou non
conforme au Droit naturel. En philosophie, en morale, en science
sociale, les conceptions des hommes sont essentiellement variables
suivant les époques ; elles dépendent des transformations de toute
sorte que produit l'évolution des sociétés. Pour une même époque
et dans un cadre social déterminé, ces conceptions s'éloignent les
unes des autres, presque toujours sinon toujours pour de profondes
raisons économiques. Dans cette confusion, dans ce chaos d'idées,
dans cette multitude de projets de réforme, de conceptions morales
ou sociales, où trouver le Droit naturel ? Eût-on admis, au moment
de la rédaction du Code civil, qu'un individu pût être condamné à
payer des dommages-intérêts à un autre même en l'absence de toute
faute ? Une semblable conception eût semblé à nos pères
destructrice de tout ordre social. L'évolution économique et les
découvertes modernes ont créé, en matière d'accidents du travail,
par exemple, la théorie du risque professionnel, qui elle-même
peut-être, sera remplacée un jour par une autre ; et la matière de
la responsabilité civile est depuis quelques années l'objet d'une
remarquable évolution de la jurisprudence. Ainsi, ce qui, il y a un
siècle à peine, eût paru contraire au bon sens, prend place
aujourd'hui dans la législation ou dans la jurisprudence. Comment
pourrait-on, dans ces conditions, émettre la prétention de rédiger
un Code « des lois de la nature », modèle dont devraient
s'inspirer les législateurs de tous les temps et de toutes les
nations ?
Il
est évident que, sous cette forme, le « Droit naturel » constitue
une notion au premier chef antiscientifique ; les jurisconsultes
contemporains ont eu raison de la soumettre à une sévère critique.
Il y a dans un groupe social parvenu à un stade d'évolution
déterminé, des tendances ou des désirs de progrès ou de
transformation qui, au travers de bien des obstacles, malgré des
résistances souvent violentes et sanglantes, influent plus ou moins
sur l'évolution même du Droit. Si l'on veut donner à ces
tendances, à ces volontés de transformation, le nom de Droit
naturel, il n'y a là qu'une question de terminologie, et l'on
pourrait n'y voir aucun inconvénient grave. Mais le sens exact du
mot « Droit naturel », est tout différent. Il tend bien à
désigner un corps de préceptes « cautionnés par la raison humaine
», et servant de modèle aux législations. Il n'y a pas à ce point
de vue de Droit naturel. Nier le Droit naturel, ce n'est pas nier la
raison humaine, mais c'est reconnaître son imperfection. C'est aussi
nier les prétendus principes naturels (droit divin, droit
monarchique, droits des peuples), au nom desquels dans le cours de
l'histoire, on a poussé les hommes à s'entretuer, les peuples à se
combattre et à s'exterminer ; c'est nier la légitimité des
tyrannies, qu'elles reposent sur l'idée divine ou sur un prétendu
consentement des individus d'un groupe familial ou social, quel qu'il
soit. Mais s'il n'y a pas de droit naturel, disent les juristes, il y
a une science qui s'appelle la morale, et qui a des rapports très
étroits avec le « Droit ». Nous ne nous hasarderons pas ici à
définir la morale (voir ce mot), encore moins a rechercher si la
morale est une science. Mais en
considérant
sous ce vocable l'ensemble des idées ou des préjugés qui ont cours
à une époque déterminée en ce qui concerne la conduite que chaque
homme doit tenir vis-à-vis de lui-même ou vis-à-vis de ses
semblables, on peut se demander avec les commentateurs de nos Codes,
si le Droit se rapproche de la morale, et dans quelle mesure il doit
se confondre avec elle. On déclare en général, que le Droit, à
mesure que les sociétés progressent, tend à se confondre avec la
morale. Ce qui est à l'origine simple obligation morale, dans nombre
de cas, se transforme peu à peu en obligation légale ; les devoirs
moraux de l'individu envers lui-même n'échappent pas, dit-on, à
cette évolution. Pour une raison ou pour une autre, par exemple dans
un intérêt d hygiène publique, des obligations de plus en plus
nombreuses sont imposées à l'individu en ce qui concerne sa manière
d'être ou d'agir vis-à-vis de lui-même. Cette doctrine pourrait
paraître consolante si elle était toujours exacte. Mais,
malheureusement, elle est trop souvent démentie par les faits
historiques. Sans passion, sans phraséologie déplacée dans un
Dictionnaire encyclopédique, citons quelques exemples. Le droit de
propriété ― dont nous ne recherchons ici ni l'origine ni la
légitimité ― ne sert-il pas à couvrir les plus formidables
spéculations, les profits de guerre ou de paix les plus scandaleux,
les renversements de fortune les plus extraordinaires ? On nous a
appris, dans notre jeunesse, que la propriété avait sa base
légitime dans le travail ― travail de l'individu ou travail de ses
ancêtres. ― Et il se trouve que dans les secousses et dans les
drames de l'histoire, ceux qui ont « travaillé » ou dont les
ancêtres ont « travaillé » sont un jour ruinés ; d'autres, par
le fait d'un hasard heureux, et sans aucun effort, sans aucun
travail, souvent sans avoir même eu la peine de prendre une
initiative quelconque, se trouvaient brusquement enrichis des
dépouilles des premiers. La loi intervient pour légitimer, pour
sanctionner, pour rendre obligatoire la situation nouvelle. Est-ce
donc que la « propriété » des premiers était illégitime ?
Mais, en l'admettant, comment prétendre légitimer le changement ?
Fortunes détruites, souvent de ceux qui, à tort ou à raison, ont
cru faire acte de bons citoyens pendant les crises subies par leur
pays ; fortunes énormes créées, au profit de ceux qui souvent se
sont soustrait à toutes les obligations sociales, et que le hasard a
servis ! Tous ces scandales, si nombreux au cours de l'histoire, et
que les années que nous venons de vivre ont si tragiquement
éclairés, heurtent violemment la « conscience publique ». Ils
s'aggravent parfois, et plus particulièrement dans ces dernières
années, du fait que le déséquilibre économique a permis aux
spéculateurs et aux profiteurs d'augmenter encore leurs richesses
par une véritable fraude organisée, par la violation de lois qui
ont été, à tort ou à raison, considérées comme essentielles au
salut public, telles que celle sur l'exportation des capitaux, par
une campagne systématique et victorieuse contre tout essai de
gouvernement dont les tendances pouvaient leur paraître suspectes,
tandis qu'au contraire, ces manoeuvres et ces campagnes pouvaient
pousser au désespoir et à la révolte, en les acculant à la
famine, non seulement les classes laborieuses, mais celles des
anciens petits et moyens possédants, de ceux qui avaient apporté à
l'État leur or en même temps que le sang de leurs enfants.
Situation émouvante et combien révolutionnaire ! Les partis qui
prétendent défendre l'ordre, la morale, la foi due aux contrats et
aux engagements de la nation, se croient obligés de protéger de
toute leur puissance la horde des aventuriers et des financiers qui
entendent sauvegarder les situations maintenant acquises, et tout
cela au nom du Droit. Les notions les plus élémentaires de ce qu'on
appelle la « morale » sont violemment heurtées, et l'esprit
public, au spectacle de cet ignoble bouleversement, s'habitue à
penser qu'il n'y a plus ni lois sociales ni lois morales contre
l'audace servie par le hasard, et contre les plus cyniques
spéculations ; chaque individu s'efforce d'arracher une part du
butin et, sous des formes plus hypocrites sans doute qu'il y a
quelques milliers d'années, mais avec un égoïsme et une brutalité
encore accrus, la lutte pour la richesse et pour la jouissance
remplace tout autre sentiment dans le coeur de l'immense majorité
des hommes. Le Droit, qui couvre et qui protège cela, est bien le
contraire et non l'auxiliaire de la morale. Assurément, l'on peut
répondre que la législation, à la suite des grandes crises comme
celle de la guerre de 1914, aurait pu et dû suivre une évolution
différente ; mais le fait historique reste : si de beaux discours
ont été prononcés, aucun parti n'a eu le courage de définir et de
proposer les mesures nécessaires : ces mesures étaient impossibles
sans doute, à moins de renverser les notions les plus fondamentales
du « Droit » actuel, à moins de créer un droit nouveau. Elles
dépassaient les hommes de gouvernement qui, dans le déséquilibre
économique, cherchent, par les vieux moyens et par les vieilles
combinaisons à échapper à leurs redoutables responsabilités.
Elles exigeaient non seulement de l'audace, non seulement de la
clairvoyance, mais peut-être du génie. Rien de tout cela n'est
venu, et l'édifice social, en même temps que la vieille morale
populaire, restent fortement ébranlés, alors, que le droit règne
et que les tribunaux continuent à juger... Mais il n'est pas
nécessaire de se placer dans les périodes de cataclysmes sociaux
pour voir combien sont fragiles parfois les notions reçues sur les
rapports du droit et de la morale. Les exemples abondent, de
situations de droit qui s'éloignent de plus en plus de la « morale
» reçue. Toujours en considérant le droit de propriété, que les
jurisconsultes, en le définissant, proclament absolu et perpétuel
(il comporte la faculté de détruire), il est facile de voir que les
principes admis, tels que celui-ci : « Le propriétaire du sol est
propriétaire du dessus et du dessous » peuvent aboutir et
aboutissent souvent, à des conséquences contraires à la morale,
nous allions dire au bon sens. Les progrès scientifiques et
économiques conduisent l'humanité à utiliser de plus en plus les
richesses du sous-sol ; or, la notion de propriété individuelle ou
de propriété familiale à l'origine et pendant de longs siècles,
repose sur la culture du sol par l'individu ou par le groupe familial
; nous sommes bien loin de la morale lorsque nous prétendons
attribuer à ce propriétaire, la jouissance des richesses minières
peut-être néfastes à I' humanité, peut-être aussi nécessaires
éventuellement à son existence et à son salut, enfouies dans les
profondeurs du sol, jusqu'à la limite la plus lointaine que les
outils de l'homme puissent atteindre ! J'entends bien que l'usage et
l'exploitation des mines sont réglementés d'une manière spéciale
par les diverses législations. Il n'en reste pas moins que le
principe juridique aboutit dans les faits aux conséquences les plus
inacceptables, les plus révoltantes. Si le hasard ou la chance
peuvent enrichir, le jurisconsulte peut ne pas avoir à s'en
préoccuper s'il borne son rôle à l'étude des règles imposées
sous le nom de lois par le corps social ; mais il serait impuissant à
mettre d'accord le « Droit » et la « morale » dans le sens
vulgaire que nous avons laissé à ce mot. Si le Droit s'écarte trop
souvent de la « morale », peut-on, avec les philosophes anglais des
deux derniers siècles, le fonder sur l'idée d'utilité sociale ?
Ici, encore, et sans nous étendre, nous sommes obligés de faire les
plus grandes réserves. Que le Droit doive se conformer à l'utilité
sociale, qu'il y ait ou qu'il puisse y avoir un Droit naturel fondé
sur l'utilité générale, et par conséquent variable suivant les
temps et suivant les milieux, contrairement au « Droit naturel »
tel que le définissait Montesquieu, certains peuvent l'admettre ;
nous persistons à penser que, même sous cette forme nouvelle, la
notion que nous avons critiquée plus haut ne peut être admise.
Mais, nous voulons nous placer uniquement au point de vue du Droit
positif et, à ce point de vue, il faut bien constater que Droit et
utilité sociale, dans toutes les législations anciennes ou
modernes, ne se confondent pas, et même s'opposent dans un grand
nombre de cas. Les règles de droit ont été trop souvent créées
pour l'intérêt d'une petit minorité, ou pour l'intérêt d'un
seul, et non pour l'utilité générale. Elles ont trop souvent servi
de moyen d'oppression aux prêtres de toutes les religions, et aux
monarques. Ici encore, les exemples viennent en foule à l'esprit.
Trop souvent aussi, et encore à l'heure actuelle, les règles de
droit ont pour seul fondement et pour seule raison d'être, les plus
grossiers préjugés de la foule, sans aucun profit pour l'ordre
social et même contrairement à l'intérêt social, bien entendu.
C'est ainsi que l'interdiction ou une réglementation mauvaise du
divorce, bien loin de fortifier le lien familial, peuvent, à
certains stades de l'évolution sociale, en introduisant dans les
relations familiales non seulement entre époux, mais entre parents
et enfants, des causes de haines et de violences, en empêchant de
régulariser des situations que la société aurait intérêt à
légitimer et à maintenir, constituer une sérieuse atteinte à «
l'utilité générale ». Les préjugés religieux ou sociaux de
toute nature traduits en lois vont la plupart du temps à l'encontre
du bien général, ou même de l'ordre public. Chacun de nous peut en
trouver d'innombrables exemples dans son expérience de tous les
jours. Dans la société, telle qu'elle est organisée de nos jours,
l'utilité générale devrait donner pour premier devoir au
législateur, la protection de l'hygiène ou de la santé publique.
Il est interdit, par les ordonnances de police, de jeter des papiers
dans les rues, ou de secouer les tapis après une certaine heure.
Mais le plus grossier des préjugés permet à un individu
physiquement taré, de procréer des êtres chargés d'hérédités
morbides, voués à la maladie ou à la folie, incapables d'aspirer à
ce qui peut être le bonheur de la vie. L'opinion se révolte 'e0
l'idée d'une réglementation qui, dans l'état actuel de l'évolution
sociale et de notre législation, ne pourrait guère constituer
qu'une intolérable tyrannie. Et le préjugé triomphe de la notion
la plus élémentaire de morale, et d'utilité générale. On peut
donc conclure, sans plus amples développements, qu'il n'y a, à
l'origine ou à la base du droit, comme en constituant l'essence
même, ni un principe dé morale, ni un principe d'utilité, ni même
parfois un principe d'ordre social. S'il en est ainsi, les règles du
droit ne peuvent trouver leur explication que dans leur origine
historique, et nous sommes ainsi amenés, laissant de côté
l'analyse de l'idée de droit, à en retracer l'évolution. Nous ne
le ferons qu'à grands traits, et au moyen de quelques exemples.
L'origine et l'histoire du Droit (sens objectif), c'est l'origine et
l'histoire des collectivités humaines. L'histoire des droits (sens
subjectif), c'est l'histoire des diverses institutions
ayant
existé au sein de ces collectivités : famille, propriété,
mariage, obligations, responsabilité civile, etc., etc. On trouvera
sous chacun de ces mots, les indications d'ordre historique
concernant ces institutions. On a lu, d'autre part, au mot « Code »,
un aperçu de l'évolution des diverses législations. Nous n'y
reviendrons pas. On peut affirmer que, d'une manière générale, les
sociétés antiques n'ont pas eu la notion du droit individuel. Les
groupes familiaux ou sociaux obéissaient à un certain nombre de
règles transmises par la tradition et qui avaient un caractère
religieux plus ou moins prononcé. Toute révolte contre ces
préceptes était une révolte contre la divinité, punie de mort le
plus souvent. Et ces préceptes avaient pour principal objet
d'assurer la domination d'une caste, d'une famille, celle du chef de
famille ou du chef de tribu. Cette domination est absolue : dans la
famille antique, aussi bien à Rome et en Grèce qu'en Orient, le
chef a sur tous les membres du groupe, le droit de vie et de mort :
la femme, le fils même majeur, n'ont aucun droit. En Grèce, dans
beaucoup de villes, la vente des enfants a été permise jusque sous
l'empire romain, dans les premiers siècles de notre ère. Partout,
l'institution de l'esclavage a créé une classe d'hommes placée
hors la loi. Le chef a droit de vie et de mort sur ses esclaves,
comme sur les membres de sa famille. Ce n'est que très tard, que ce
droit est soumis à des restrictions que l'usage avait peu à peu
introduites dans les moeurs. II est plus intéressant de vendre sa
propriété, que de la détruire. L'esclave est une richesse, et
lorsque les relations contractuelles se multiplient entre les
familles ou entre les individus, lorsque les échanges deviennent de
plus en plus nombreux, l'idée de la valeur prépare les esprits à
des mesures de protection que vient après coup colorer le prétexte
humanitaire. Le vieux cadre juridique s'est peu à peu modifié, avec
le développement des relations économiques : le rôle de l'individu
s'est accru, et il a été nécessaire, au moins dans les rapports
nécessaires avec lés membres des autres groupes familiaux, de lui
conférer des droits. D'autre part, la cité s'est constituée, elle
a peu à peu englobé par la conquête les peuples plus faibles, et
l'individu-citoyen s'est trouvé aux prises avec une puissance plus
forte, plus tyrannique : celle de l'État, dont il a cherché à
obtenir le maximum d'avantages. Ainsi s'est formée et a évolué la
notion du droit individuel ; retracer cette évolution, les luttes
qui ont opposé l'être humain à l'oppression collective, ce serait
faire l'histoire de l'humanité. Il n'est pas discutable que les
hommes ont aujourd'hui un sens très aigu de ce qu'ils pensent être
leur « droit individuel », et qu'à ce point de vue, un immense
changement s'est produit peu à peu. L'individu s'est libéré de
plus en plus, grâce à la Réforme, de la puissance religieuse. Les
révolutions politiques du XVIIe et du XVIIIe siècle, lui ont permis
de se libérer pour une part de la puissance « laïque ». La
conception des droits de l'homme se formule d'abord dans les écrits
des philosophes, ensuite dans les « Déclarations » et les «
Constitutions modernes ». Nous n'y insistons pas ici. (Voir le mot
Droits de l'Homme.) Le droit moderne, encore aujourd'hui, conserve la
forte empreinte de la notion primitive. Ainsi, la règlementation de
la famille, dans notre Code Civil, n'est que l'énumération des
pouvoirs du chef : puissance paternelle, puissance maritale, ce sont
les mots mêmes que nos législations continuent d'employer. Sans
doute les jurisconsultes nous affirment que ces institutions existent
surtout dans l'intérêt des incapables : il devrait y avoir alors
dans la loi, une règlementation des devoirs en même temps que la
règlementation des droits. Sans doute aussi les pouvoirs du père,
du mari, du tuteur, se trouvent restreints par des dispositions
législatives lorsqu'il s'agit de l'administration des biens. Mais
précisément, l'on voit ainsi que, préoccupée avant tout de la
protection et de la conservation de la propriété des « biens »,
la loi laisse dans l'ombre la personne même, le droit de l'individu.
Par exemple, le chapitre de la tutelle, dans notre Code civil,
règlemente en détail l'administration des biens du mineur dans une
série d'articles ; rien n'est prévu en ce qui concerne les devoirs
du tuteur, relatifs à l'éducation à l'instruction de son pupille.
C'est d'une manière tout à fait arbitraire que les tribunaux
interviennent dans certains cas, et font droit à des réclamations
ou à des demandes qui ont pour objet de réprimer des abus : ils ne
le font d'ailleurs qu'avec une prudence extrême. Les « droits du
père de famille » doivent être respectés ; une grande ligue s'est
même constituée avec ce titre. Sous une forme plus atténuée, avec
l'hypocrisie d'une civilisation en apparence moins brutale, plus
douce aux faibles, le cerveau des hommes conserve la notion barbare :
celle de l'autorité du chef, du maître. Nous n'avons parlé du
droit familial qu'à titre d'exemple. Il serait facile de montrer, en
prenant l'une après l'autre toutes les branches du droit, toutes les
formes de l'activité sociale, que le droit aujourd'hui comme Il y a
deux ou trois mille ans, n'est que la désignation des coutumes, des
routines et des préjugés qui gouvernent l'intelligence des hommes,
dans la mesure où ces coutumes et ces préjugés sont rendus
obligatoires par la loi. Ces coutumes soumettent l'être humain à
une contrainte que ni le sentiment de la justice, ni l'idée
d'utilité générale très souvent ne peuvent expliquer ou justifier
; elles ont pour origine la volonté du plus fort, la crainte ou le
mystère des forces naturelles qui ont engendré la superstition
religieuse. De ces coutumes, de ces préjugés, les uns constituent
pour les hommes des habitudes auxquelles inconsciemment ils se
soumettent ; d'autres sont sanctionnées par les lois, sans que l'on
puisse parfois s'expliquer la raison pourquoi dans un cas
l'obligation légale existe, et non dans un autre. Mais lorsque la
loi prétend aller à leur encontre, elle reste la plupart du temps
inefficace : les Romains disaient déjà « Quid sine moribus vanoe
leges proficiunt ? » À quoi servent de vains textes de lois, s'ils
ne sont pas imposés par les moeurs ? Et de fait, il serait facile de
donner une longue énumération des textes, et même des réformes
législatives considérées comme capitales, et qui ne sont restés
qu'à l'état de formules théoriques, dans toutes les législations
(ex. en France, certaines lois sur l'assistance). Assurément,
certains préjugés s'affaiblissent avec le temps. L'influence des
superstitions religieuses diminue en apparence tout au moins. C'est
ainsi que l'Église catholique, après avoir créé toute une
législation qui avait pour objet d'assurer sa domination sur les
familles (droit canon) s'est vue concurrencée par les progrès du
pouvoir civil. En matière de successions, de mariage, d'organisation
de la famille, après de longues luttes, la législation civile a
fini par s'imposer tout au moins dans notre pays. Le mariage est
devenu un acte civil, enregistré par l'autorité publique. Il a
fallu, pour imposer aux prêtres le respect de la nouvelle
législation, des dispositions pénales que l'Église considère
encore aujourd'hui comme la violation de ses droits, et qu'elle
présente audacieusement comme la violation des droits de la
conscience. Le prêtre, sous peine de s'exposer à des poursuites
correctionnelles, ne peut pas procéder à un mariage religieux sans
que le mariage civil l'ait précédé. Mais, jusqu'à ces dernières
années, des fanatiques, abusant de l'ignorance des « futurs époux
» n'hésitaient pas à violer la loi ; il y en a encore des
exemples. La sphère de la loi civile s'étend cependant peu à peu,
tandis que sans rien abandonner de leurs principes, les représentants
des superstitions défendent âprement ce qu'ils osent appeler la
liberté, c'est-à-dire les moyens de domination que l'ignorance et
la crainte leur avaient laissés pendant de longs siècles. Parfois
arrivent-ils à trouver des appuis imprévus. Des associations qui se
prétendent dégagées de l'esprit du passé mettent par exemple à
l'ordre du jour de leurs réunions ou de leurs congrès, la question
de savoir s'il est ou non légitime de priver les congréganistes du
droit d'enseigner. On discute pour savoir si un mari peut imposer à
sa femme, si la religion de cette dernière s'y oppose, un divorce.
Et beaucoup de braves gens, qui se croient très libéraux dans le
bon sens du mot, demandent, sous prétexte d'apaisement, que le curé
puisse rentrer à l'école pour y donner son enseignement, ou bien
que les subventions de l'État soient accordées aux oeuvres
catholiques d'assistance et d'enseignement, comme aux écoles
publiques. Mais l'Église a cependant perdu du terrain dans la lutte.
Elle n'a peut-être réussi à conserver ce qui lui reste d'influence
sur la législation, sur le droit (nous ne nous plaçons qu'à ce
seul point de vue), qu'en favorisant ou même en provoquant, au cours
des siècles, les luttes meurtrières entre les peuples. Avant et
pendant l'abominable tuerie de 1914, elle est restée indifférente
au malheur universel ; elle seule a retiré des avantages réels de
cette immense catastrophe. Elle n'a même pas renouvelé le geste
symbolique de l'archevêque de Paris, montant sur les barricades aux
journées de juin 1848, pour demander la cessation de la lutte. Son
autorité morale, même sur la masse des fidèles se trouve atteinte.
Son domaine diminuera... Mais si le préjugé religieux voit
s'affaiblir son influence sur l'évolution du droit, il reste tous
les autres, et le législateur est obligé de compter avec eux.
Combien superficielle et vaine, cette grande distinction entre le
Droit écrit et le Droit coutumier que les jurisconsultes placent à
la base même de la science du droit. Non seulement le droit a été
coutumier à l'origine, mais il reste aujourd'hui encore
essentiellement coutumier, malgré l'arsenal législatif qui
s'augmente chaque jour. Nous avons vu plus haut que beaucoup de lois
restaient à l'état de lettre morte. Mais la loi reste impuissante à
régler tous les rapports de droit. Elle édicte des principes
généraux que la coutume (ou si l'on veut la jurisprudence),
applique en suivant l'évolution même de la société ou les
passions du temps. Le Code civil a été rédigé à une époque qui
ne connaissait pour ainsi dire pas la machine, qui ignorait les
chemins de fer et l'automobile. C'est cependant encore aujourd'hui,
en matière de responsabilité civile, et sauf la législation du
travail, les textes de 1914 que l'on applique il des situations
inconnues au moment de leur rédaction. Mais, par exemple, les
dangers qui résultent du développement sur nos routes et dans les
grandes villes d'une circulation intense, amènent peu à peu la
jurisprudence à une interprétation de ces textes qui admet la
responsabilité de plein droit du conducteur d'une voiture automobile
pour les accidents causés à un tiers, interprétation à l'heure
actuelle en voie de formation, et qui était contraire à celle
admise jusqu'ici. Le texte est cependant resté le même. On dira que
les lois peuvent avoir plus de précision, et avoir l'ambition de
régler tous les cas auxquels elles entendent s'appliquer. Il est
bien certain que nos lois contemporaines sont infiniment plus
complexes, plus touffues qu'autrefois. Par le jeu des amendements et
des sous amendements, les parlementaires cherchent à introduire dans
les lois en préparation, toutes les dispositions qui peuvent donner
satisfaction aux intérêts (ou aux préjugés), de telle ou telle
catégorie de leurs électeurs. A la différence de nos grands Codes,
la loi contemporaine a pour caractéristique de chercher à prévoir
et à régler dans le détail la matière qu'elle traite. Y a-t-il là
un progrès ? Pour ma part, je ne le crois pas. Il n'en résulte
qu'une énorme confusion et comme, malgré tous les efforts et toutes
les prévisions, le législateur reste impuissant à deviner à
l'avance toutes les hypothèses qui pourront se présenter dans la
pratique, l'incertitude subsiste pour chacun, le plus souvent, sur
l'étendue de ses droits et de ses devoirs. C'est donc encore ici la
coutume qui règle la plupart des situations juridiques, car
l'interprétation littérale des textes n'est guère qu'un prétexte
à l'adoption des solutions que les préjugés ambiants font naître.
Si l'on envisage notre ancien droit français, notre manière de
voir se justifie encore mieux. L'ancienne France était divisée en
pays de droit écrit et pays de coutume. Cette division juridique,
correspond assez exactement à une division géographique. Les
provinces du Midi constituaient le pays de droit écrit, où
l'influence romaine avait persisté au travers du Moyen Âge, où le
droit romain était en principe en vigueur. Les provinces du Nord
étaient, au contraire, régies par les coutumes, qui varient de
province à province et souvent de localité à localité. (Il y
avait plus de 360 coutumes.) Mais, même dans les pays de droit
écrit, le droit romain avait reçu presque partout, des
modifications plus ou moins profondes en vertu des usages locaux et
de la jurisprudence des parlements. D'autre part, l'ordonnance royale
de 1453, ordonna la rédaction par écrit des coutumes. En réalité,
le Droit est resté jusqu'à la rédaction de nos Codes, constitué
essentiellement par des traditions, soit d'origine germanique, soit
d'origine romaine, adaptées plus ou moins aux nouvelles conditions
sociales. Depuis la promulgation de nos Codes, nous ne reviendrons
plus sur ce point ; une évolution progressive en a quelque peu
modifié l'esprit dans beaucoup de parties. Mais il faut tenir compte
aussi de l'existence, au-dessus de la loi écrite, d'un certain
nombre de principes, dits « adages de droit » pour la plupart
venant des jurisconsultes de Rome, et dont la jurisprudence tient
encore aujourd'hui le plus grand compte, soit pour interpréter les
textes, soit pour les compléter. L'autorité de ces vieux principes
juridiques est restée entière ; autant au moins que le texte de nos
Codes, il constituent la base même de la culture juridique et de
l'enseignement de nos Facultés de droit. Il semble que le droit dit
écrit, du d'une manière plus exacte le droit « promulgué », ne
puisse s'en écarter. C'est la coutume, c'est la tradition, qui
gouverne le monde. Nous venons, avec la distinction entre le Droit
coutumier et le Droit écrit, d'entamer l'étude des diverses
divisions du « Droit », toujours considéré dans le sens objectif
du mot. Il nous reste à donner une très rapide énumération de ces
divisions. Nous pourrons ainsi avoir une notion plus exacte de ce qui
constitue aujourd'hui le « Droit ». La première de ces divisions
est celle du Droit national et du Droit international. Dans la
civilisation antique, nous l'avons vu, la notion du droit individuel
n'est pas encore née. Les règles du droit, coutume, tradition,
préceptes religieux ne s'appliquent qu'aux membres du groupe social.
Visà-
vis
de l'étranger, il n'y a pas d'autre règle que la loi du plus fort :
c'est l'état de guerre. Dans la terminologie romaine, le même mot
désigne, tout au moins au début, l'ennemi et l'étranger : hostis.
Avec l'évolution économique, se forme peu à peu la notion de
principes juridiques applicables à l'étranger, notion sans laquelle
toutes relations commerciales et tous échanges eussent été
impossibles. Ainsi naît ce que les historiens du droit romain
appellent le jus qentium (droit applicable entre les gentes ou
groupes familiaux), par opposition au jus civile, applicable aux
seuls citoyens romains. Le contrat de vente, par exemple, fait partie
du jus qentium. C'est l'origine du Droit international. La loi, en
principe, n'étend son autorité qu'aux limites du territoire de
l'État. Mais elle oblige dans ces limites tous les individus qui se
trouvent sur ce territoire. Quelles sont les dispositions dont les
étrangers pourront réclamer le bénéfice ; quelles sont celles
dont seuls les nationaux pourront se réclamer : c'est le problème
de la condition civile des étrangers (voir ce mot), et c'est la
première partie du Droit international. Le Droit International règle
aussi les rapports contractuels ou de famille, entre nationaux et
étrangers ; quelle sera la loi applicable dans tel ou tel cas
déterminé ? Les législations des divers pays le précisent ;
souvent aussi, la solution est indiquée par des traités
internationaux. Le Droit international règle enfin les conditions de
forme et de fonds des conventions passées à l'étranger par des
nationaux, et l'exécution hors des limites d'un État des sentences
rendues par les tribunaux. Tout ce que nous venons d'indiquer fait
partie de ce qu'on appelle le Droit international privé, qui
concerne les intérêts privés des individus. Mais il y a aussi un
Droit international dit public, qui règle ou qui est censé régler
les rapports entre nations au point de vue de leurs intérêts
généraux. C'est cette partie du Droit que l'on appelle souvent le
Droit des gens, le Droit entre les nations (jus intergentes). Le
Droit international public contient les traités ou conventions
intervenus entre les États : traités de paix, traités de commerce,
conventions d'arbitrage, etc. Le Droit n'est ici, sanctionné que par
des organisations qui ont été jusqu'ici impuissantes à empêcher
les nations de se jeter les unes sur les autres, et de se massacrer
pour faire triompher leur « bon droit » à l'appel de leurs
gouvernants civils ou militaires, monarques ou parlementaires. Nous
ne voulons même pas effleurer ce sujet qui dépasse le cadre de
cette étude. Le Droit international public contient aussi ce qu'on
appelle le Code des lois de la guerre. Les « usages de la guerre »
ont fait l'objet de conventions internationales (conventions de La
Haye, etc.). Ils sont d'ailleurs outrageusement violés dans chaque
conflit, par tous les belligérants, chacun d'eux accusant le voisin
d'avoir pris l'initiative de cette violation. La barbarie change de
forme ; elle s'entoure de prétextes ; la guerre d'autrefois opposait
l'homme à l'homme, comme dans la forêt primitive où la bête
cherchait sa nourriture. La guerre d'aujourd'hui organise et autorise
le massacre en masse, par tous les moyens que la science peut avoir
trouvés, pour faire respecter, ô ironie, le prétendu Droit des
peuples. Les « usages et les règles de la guerre » pèsent bien
peu dans la tourmente, et nous l'avons bien vu, pendant cinq ans, des
deux côtés de la tranchée. Le Droit national, celui qui ne régit
qu'une nation déterminée, se divise aussi en Droit public et en
Droit privé. Le Droit public est celui qui règle la constitution de
l'État, et ses rapports avec les individus. Il comprend notamment le
Droit constitutionnel, qui se réfère à l'organisation générale
de l'État, le Droit administratif, qui règle l'exercice des
diverses fonctions de l'État et, en particulier, la gestion de ses
intérêts dans ses rapports avec les particuliers, enfin le Droit
pénal ou criminel, qui réprime par la peine infligée à l'individu
certains actes que la loi considère comme constituant une atteinte
plus ou moins grave à l'ordre public, une violation plus ou moins
grave de ses dispositions. Nous examinerons au mot « peine », tout
ce qui concerne l'évolution historique de cette partie du droit.
Nous voulons seulement noter ici que la sanction de l'obligation que
crée le Droit est tantôt une sanction civile, par exemple la
nullité de l'acte juridique intervenu entre deux individus
contrairement au Droit, et tantôt une sanction pénale ; il y a
aussi des lois qui sont dépourvues de toute sanction, par suite d'un
oubli volontaire ou non du législateur. Le Droit privé est celui
qui règle les rapports de particulier à particulier. Il contient,
par exemple, tout ce qui est relatif à l'organisation de la famille
et de la propriété. Le Droit privé contient aussi les règles
applicables aux conventions entre particuliers. Dans toutes les
législations, la violation de ces conventions est sanctionnée par
la loi ; c'est en ce sens que l'on dit que la convention, ou contrat,
est l'une des sources des obligations. La convention tire donc sa
force de l'appui que lui donne la société. Cet appui cesse parfois
pour des raisons bonnes ou mauvaises d'opportunité ; c'est ainsi que
les conventions peuvent être annulées dans certains cas. Des
circonstances exceptionnelles, comme celles nées de la dernière
guerre, ont amené le législateur à permettre aussi la révision de
certains contrats (baux, marchés commerciaux, etc.). Mais, d'une
manière générale, la loi, dès les débuts des premières
civilisations, intervient pour obliger les particuliers à exécuter
ce qu'ils ont promis ; l'inexécution entraîne même dans certains
cas la sanction pénale (exemple : délit d'abus de confiance). À
l'origine, d'ailleurs, la loi se contente d'autoriser le
cocontractant à user de la force. Le débiteur peut être emmené en
esclavage ; il peut même être mis à mort (Loi des Douze Tables).
Notre législation a connu très tard encore, jusqu'au dernier
siècle, la contrainte par corps, c'est à dire la prison pour
dettes. La contrainte par corps n'existe plus dans la loi française,
que pour les paiements des amendes ou des dommages intérêts
prononcés par un tribunal répressif. L'exécution sur les biens à
remplacé l'exécution sur la personne, mais la loi intervient ; avec
l'appui de toute la force sociale, pour assurer le respect de la
convention. Il y a, dans le Droit privé, ce qu'en langage d'école,
on appelle les dispositions impératives et les dispositions
supplétives. Une partie importante du Droit privé consiste à
régler l'élaboration des actes juridiques et des contrats. Certains
actes juridiques, certains contrats même (ex. le mariage) sont
réglementés par la loi d'une manière impérative. Les conventions
qui règlent des intérêts privés sont, au contraire, en général
libres. La loi, en ce qui les concerne, ne contient que des
dispositions applicables dans le silence des contractants. Le Droit
privé comprend lui-même le Droit civil, applicable à tous les
citoyens, ou des institutions applicables soit à certaines
catégories de citoyens, soit a certaines situations particulières
(droit commercial, droit industriel, droit rural, etc.). Mais ces
divisions sont quelque peu arbitraires. L'évolution économique peut
même les rendre incompréhensibles. Ainsi, l'on a voulu donner aux
commerçants un Code spécial, et des tribunaux spéciaux. On a
considéré que les contrats commerciaux, conclus plus fréquemment,
plus rapidement que les contrats entre particuliers, devaient être
assujettis notamment au point de vue de la preuve, à des règles
moins strictes que les contrats civils. Mais il se trouve que le
développement des affaires a rendu d'un usage constant, en matière
commerciale plus encore qu'en matière civile, l'écrit, pour
constater une convention de quelque importance. On a voulu faire
juger les commerçants par des hommes connaissant mieux, dit-on, les
usages du commerce. Et cependant, les tribunaux civils sont appelés
à juger, eux aussi, les questions de droit commercial (par exemple
dans les rapports entre un non commerçant et un commerçant). Et il
se trouve que ces juridictions spéciales sont plus routinières
souvent, plus attachées aux formes minutieuses de la procédure, et
à tous points de vue plus dangereuses pour les justiciables que les
tribunaux composés de magistrats de carrière. Nous voici au terme
de notre étude. Nous avons jusqu'ici négligé une troisième
acception du mot Droit. Dans cette acception, le Droit désigne la
science, l'étude qui porte sur le Droit en général, et en
particulier sur les Droits qu'il établit, C'est ainsi qu'on dit la
Faculté de Droit, un livre de Droit, etc... Les manuels discutent
gravement et savamment si le Droit ainsi compris, constitue un art ou
CONCLUSIONS.
― La complexité de plus en plus grande des rapports sociaux, a
créé dans le monde moderne, un Droit lui-même de plus en plus
complexe, moins formaliste peut-être à certains égards, et dans
son principe, qu'aux époques anciennes, mais composé d'une
multitude de dispositions législatives et d'usages. Dans un amas de
dispositions confuses ou même souvent contradictoires, les citoyens
n'arrivent pas à se reconnaître. Une immense corporation
privilégiée, de plus en plus puissante dans l'État, composée des
notaires, avocats, avoués, huissiers, hommes d'affaires, etc., tire
sa richesse de l'exploitation de cette ignorance. La victoire est
souvent au plus habile dans les luttes judiciaires : de là une
source d'incertitudes ou même de démoralisation dans les relations
sociales. L'organisation même de l'État et des services publics
devient de jour en jour infiniment plus complexe. Des innombrables
prescriptions et formalités de toute sorte qui gouvernent l'activité
des individus, ces derniers cherchent à éluder toutes celles qui
peuvent gêner leur indépendance ou leurs combinaisons
particulières. Les forts, les puissants y arrivent. Mais sur les
humbles, sur les faibles, pèse lourdement le poids de la contrainte
sociale, faite, malheureusement, et trop souvent, d'iniquité.
―
G. BESSIÈRE.
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