mercredi 12 décembre 2018

Journal de la Commune


HEROÏNES DE LA REVOLUTION

Dans tous les mouvements populaires, les femmes ont joué un grand rôle. D’un tempérament inflammable, faciles à égarer, écoutant la voix du coeur plutôt que celle de la raison, elles entraînent, fanatisent la foule et poussent à l’extrême les passions aveugles. En 89, dès les premiers soulèvements, Théroigne dite de Méricourt, du nom
de son village, descend dans la rue, vêtue en amazone, un panache flottant sur son chapeau, le sabre au côté, deux pistolets à la ceinture, elle vole aux insurrections. Elle force à la tête de citoyens armés, les grilles des Invalides pour en enlever les canons. A l’assaut de la Bastille, elle devance tous les combattants et reçoit sur la brèche un sabre d’honneur. Aux journées d’octobre, elle entraîne à Versailles les femmes de Paris. A cheval, à côté de Jourdan elle ramène le roi et suit sans pâlir les têtes coupées de Varicourt et de Deshuttes, servant de trophées au bout des piques. Théroigne commandait le troisième corps de l’armée des faubourgs et prenait le titre de général.
A côté de Théroigne figurèrent Louise Audu, dite la reine des halles, et Jeanne Lacombe A la Bibliothèque nationale, au bas d’une estampe représentant le retour de Louis XVI, dessinée et gravée par Ph. Caresme, on lit : « Reine Audu est l’héroïne de ces journées. » Le 5 octobre 1789, sur les dix heures du matin, elle se mit à la tête de huit cents femmes aussi déterminées qu’elle. Parties des Champs-Elysées, elles arrivèrent à Versailles. « Reine Audu fit surveiller les traîtres, fit prêter serment au dragons et au régiment de Flandre, arrêta les quatre voitures du tyran qui devaient le conduire à Metz, puis monta avec sa troupe sur les canon de sa section et rentra en triomphe à Paris. » En 1792, Louise Audu se signala à la journée du 10 août et reçut de la Commune une épée d’honneur. A cette même journée, pendant l’attaque des Tuileries, Jeanne Lacombe fit preuve d’un tel acharnement, que les fédérés marseillais lui décernèrent une couronne civique. Comédienne d’un mérite ordinaire, Jeanne avait abandonné le théâtre pour la politique. Vêtue en homme, le sabre à la main, presque toujours à cheval sur un canon, elle inspirait l’effroi même de ses partisans. En 1830 et en 1848, beaucoup de femmes prirent part aux luttes révolutionnaires. Le 23 juin 1848, vers dix heures, 2 000 citoyens, porteurs d’une trentaine de bannières, débouchaient du boulevard Saint-Martin, et arrivés à la porte Saint-Denis, s’éparpillaient au pas de course dans les rues adjacentes. En un instant, trois barricades formées de voitures, de planches, de pavés et de grilles de fer arrachées au boulevard Bonne-Nouvelle, sont élevées par des femmes et des gamins devant les portes Saint-Martin et Saint-Denis, et sur le boulevard, à l’angle de la rue de Cléry.
Vers midi, cette dernière barricade est attaquée. Il y a confusion et déroute. Seuls, sept hommes et deux femmes tiennent ferme. Un homme, le drapeau rouge en main, se place debout sur les jantes d’une roue de voiture. Les autres, à l’abri de la barricade, commencent le feu. La garde nationale riposte. Le drapeau tombe avec l’homme qui le portait et qui ne se relève plus.
Alors eut lieu de ces actes dont abandonnent nos annales révolutionnaires. Une grande et belle jeune personne, tête nue, les cheveux épars, saisit le drapeau, passe par-dessus la barricade, se dirige vers l’entrée de la rue de Cléry, agitant son étendard, et, de la voix et du geste, provoque la garde nationale. Les coups de fusils ne cessent de partir de la barricade ; cependant les gardes nationaux, trouvant au bout de leurs fusils celle belle jeune fille, ne se décident à riposter qu’après avoir reçu le feu pour la troisième fois. La jeune fille tombe morte. Une autre femme s’élance à son tour, s’empare du drapeau, soulève la tête de sa compagne, et, se redressant furieuse, lance des pierres aux assaillants. Une décharge la renverse et fait évacuer la barricade. Le lendemain, 24 juin, l’insurrection s’était considérablement étendue. Des centaines de barricades, auxquelles on avait vu des femmes travailler, hérissaient les quartiers qui avaient été choisis pour champ de bataille. Les forces concentrées aux abords du Panthéon, menaçaient d’envahir le Luxembourg. On surprit des femmes portant aux citoyens des cartouches dans des cabas, dans des paniers, dans des boîtes à lait, et même dans des pains. Beaucoup d’entre elles avaient activement contribué à confectionner ces cartouches. Une jeune fille, pour transmettre plus sûrement les lettres qui les renseignaient sur la position des troupes, s’en était fait des papillotes. Ces jours derniers, ces actes d’héroïsme féminin se sont renouvelés. Un grand nombre de femmes ont combattu dans les rangs de la garde nationale. Plusieurs d’entre elles ont été tuées ou blessées à l’affaire de Neuilly ; on a vu une cantinière qui, frappée à la tête, a fait panser sa blessure et est revenue prendre son poste de combat. Dans les rangs du 61e bataillon combattait une femme énergique. Elle a tué
plusieurs gendarmes et gardiens de la paix. Au plateau de Châtillon, une cantinière, restée avec un groupe de gardes nationaux, chargeait son fusil, tirait, rechargeait sans interruption. Elle se retira presque la dernière, se retournant à chaque instant pour faire le coup de feu. La cantinière du 68e bataillon, atteinte d’un éclat d’obus dès le début de l’action, est morte sur le coup. Le projectile avait brisé son bidon et en avait fait entrer les morceaux dans le corps de la malheureuse femme. Parmi les plus intrépides de ces héroïnes, on se montrait la femme de l’un des généraux de la Commune, la citoyenne Eudes. Dans la soirée du 3, on apportait sur la place de la mairie de Vaugirard huit cadavres de gardes nationaux. Presque toutes les ménagères de la localité se poussaient, se pressaient suer ce point étroit, et, à la lueur blafarde d’une lanterne qu’elles s’arrachaient, cherchaient à reconnaître un père, un frère ou un mari. Le neuvième cadavre qu’on apportait était celui d’une jeune cantinière criblée de balles. Hier, dans une boutique de la rue de Montreuil, une femme qui avait fait le coup de feu soutenait une violente discussion contre une autre dont l’opinion était que les ménagères devaient rester chez elles et soigner leur intérieur. Au paroxysme de son exaspération, elle s’apprêtait à frapper son adversaire, quand elle resta immobile, le bras levé, les yeux fixes, tandis qu’une affreuse pâleur envahissait son visage. Bientôt, elle s’affaissa. On s’empressa pour la secourir, mais on reconnut qu’elle avait cessé de vivre. La mort avait été déterminée par la rupture d’un anévrisme.

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