HEROÏNES
DE LA REVOLUTION
Dans
tous les mouvements populaires, les femmes ont joué un grand rôle.
D’un tempérament inflammable, faciles à égarer, écoutant la
voix du coeur plutôt que celle de la raison, elles entraînent,
fanatisent la foule et poussent à l’extrême les passions
aveugles. En 89, dès les premiers soulèvements, Théroigne dite de
Méricourt, du nom
de
son village, descend dans la rue, vêtue en amazone, un panache
flottant sur son chapeau, le sabre au côté, deux pistolets à la
ceinture, elle vole aux insurrections. Elle force à la tête de
citoyens armés, les grilles des Invalides pour en enlever les
canons. A l’assaut de la Bastille, elle devance tous les
combattants et reçoit sur la brèche un sabre d’honneur. Aux
journées d’octobre, elle entraîne à Versailles les femmes de
Paris. A cheval, à côté de Jourdan elle ramène le roi et suit
sans pâlir les têtes coupées de Varicourt et de Deshuttes, servant
de trophées au bout des piques. Théroigne commandait le troisième
corps de l’armée des faubourgs et prenait le titre de général.
A
côté de Théroigne figurèrent Louise Audu, dite la reine des
halles, et Jeanne Lacombe A la Bibliothèque nationale, au bas d’une
estampe représentant le retour de Louis XVI, dessinée et gravée
par Ph. Caresme, on lit : « Reine Audu est l’héroïne de ces
journées. » Le 5 octobre 1789, sur les dix heures du matin,
elle se mit à la tête de huit cents femmes aussi déterminées
qu’elle. Parties des Champs-Elysées, elles arrivèrent à
Versailles. « Reine Audu fit surveiller les traîtres, fit prêter
serment au dragons et au régiment de Flandre, arrêta les quatre
voitures du tyran qui devaient le conduire à Metz, puis monta avec
sa troupe sur les canon de sa section et rentra en triomphe à Paris.
» En 1792, Louise Audu se signala à la journée du 10 août et
reçut de la Commune une épée d’honneur. A cette même journée,
pendant l’attaque des Tuileries, Jeanne Lacombe fit preuve d’un
tel acharnement, que les fédérés marseillais lui décernèrent une
couronne civique. Comédienne d’un mérite ordinaire, Jeanne avait
abandonné le théâtre pour la politique. Vêtue en homme, le sabre
à la main, presque toujours à cheval sur un canon, elle inspirait
l’effroi même de ses partisans. En 1830 et en 1848, beaucoup de
femmes prirent part aux luttes révolutionnaires. Le 23 juin 1848,
vers dix heures, 2 000 citoyens, porteurs d’une trentaine de
bannières, débouchaient du boulevard Saint-Martin, et arrivés à
la porte Saint-Denis, s’éparpillaient au pas de course dans les
rues adjacentes. En un instant, trois barricades formées de
voitures, de planches, de pavés et de grilles de fer arrachées au
boulevard Bonne-Nouvelle, sont élevées par des femmes et des gamins
devant les portes Saint-Martin et Saint-Denis, et sur le boulevard, à
l’angle de la rue de Cléry.
Vers
midi, cette dernière barricade est attaquée. Il y a confusion et
déroute. Seuls, sept hommes et deux femmes tiennent ferme. Un homme,
le drapeau rouge en main, se place debout sur les jantes d’une roue
de voiture. Les autres, à l’abri de la barricade, commencent le
feu. La garde nationale riposte. Le drapeau tombe avec l’homme qui
le portait et qui ne se relève plus.
Alors
eut lieu de ces actes dont abandonnent nos annales révolutionnaires.
Une grande et belle jeune personne, tête nue, les cheveux épars,
saisit le drapeau, passe par-dessus la barricade, se dirige vers
l’entrée de la rue de Cléry, agitant son étendard, et, de la
voix et du geste, provoque la garde nationale. Les coups de fusils ne
cessent de partir de la barricade ; cependant les gardes nationaux,
trouvant au bout de leurs fusils celle belle jeune fille, ne se
décident à riposter qu’après avoir reçu le feu pour la
troisième fois. La jeune fille tombe morte. Une autre femme s’élance
à son tour, s’empare du drapeau, soulève la tête de sa compagne,
et, se redressant furieuse, lance des pierres aux assaillants. Une
décharge la renverse et fait évacuer la barricade. Le lendemain, 24
juin, l’insurrection s’était considérablement étendue. Des
centaines de barricades, auxquelles on avait vu des femmes
travailler, hérissaient les quartiers qui avaient été choisis
pour champ de bataille. Les forces concentrées aux abords du
Panthéon, menaçaient d’envahir le Luxembourg. On surprit des
femmes portant aux citoyens des cartouches dans des cabas, dans des
paniers, dans des boîtes à lait, et même dans des pains. Beaucoup
d’entre elles avaient activement contribué à confectionner ces
cartouches. Une jeune fille, pour transmettre plus sûrement les
lettres qui les renseignaient sur la position des troupes, s’en
était fait des papillotes. Ces jours derniers, ces actes d’héroïsme
féminin se sont renouvelés. Un grand nombre de femmes ont combattu
dans les rangs de la garde nationale. Plusieurs d’entre elles ont
été tuées ou blessées à l’affaire de Neuilly ; on a vu une
cantinière qui, frappée à la tête, a fait panser sa blessure et
est revenue prendre son poste de combat. Dans les rangs du 61e
bataillon combattait une femme énergique. Elle a tué
plusieurs
gendarmes et gardiens de la paix. Au plateau de Châtillon, une
cantinière, restée avec un groupe de gardes nationaux, chargeait
son fusil, tirait, rechargeait sans interruption. Elle se retira
presque la dernière, se retournant à chaque instant pour faire le
coup de feu. La cantinière du 68e bataillon, atteinte d’un éclat
d’obus dès le début de l’action, est morte sur le coup. Le
projectile avait brisé son bidon et en avait fait entrer les
morceaux dans le corps de la malheureuse femme. Parmi les plus
intrépides de ces héroïnes, on se montrait la femme de l’un des
généraux de la Commune, la citoyenne Eudes. Dans la soirée du 3,
on apportait sur la place de la mairie de Vaugirard huit cadavres de
gardes nationaux. Presque toutes les ménagères de la localité se
poussaient, se pressaient suer ce point étroit, et, à la lueur
blafarde d’une lanterne qu’elles s’arrachaient, cherchaient à
reconnaître un père, un frère ou un mari. Le neuvième cadavre
qu’on apportait était celui d’une jeune cantinière criblée de
balles. Hier, dans une boutique de la rue de Montreuil, une femme qui
avait fait le coup de feu soutenait une violente discussion contre
une autre dont l’opinion était que les ménagères devaient rester
chez elles et soigner leur intérieur. Au paroxysme de son
exaspération, elle s’apprêtait à frapper son adversaire, quand
elle resta immobile, le bras levé, les yeux fixes, tandis qu’une
affreuse pâleur envahissait son visage. Bientôt, elle s’affaissa.
On s’empressa pour la secourir, mais on reconnut qu’elle
avait cessé de vivre. La mort avait été déterminée par la
rupture d’un anévrisme.
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