Les
ambitions du Médef
Une
situation favorable.
Depuis
l'exacerbation de la mondialisation, le monde social et du travail se
retrouve apparemment confronté à un adversaire auquel il s'est
toujours heurté depuis la naissance du capitalisme industriel,
parfois de manière dramatique quand les forces dites de l'ordre
intervenaient sur consigne du pouvoir politique pour le maintien du
statut-quo, autrement dit du système d'exploitation et d'aliénation.
Les
moeurs dans le domaine de la répression ont quelque peu évolué,
même si dans les moments de forte tension (Mai 68, les contre
manifestations anti-mondialisation d'aujourd'hui telle celle de Nice)
la violence policière donne libre cours aux défoulements des
pulsions contenues de ses auteurs. Il en est de même du patronat. Il
se veut désormais plus soft, plus près du peuple, tout au moins en
paroles et en apparence, car partager les fruits du labeur populaire
par une redistribution plus significative de la plus-value est pour
lui une autre histoire. Il ne veut plus être perçu au travers du
portrait caricatural de maître de forge aux dents acérées, au
costume trois pièces rayé et haut-de-forme en cheminées d'usine.
Fini cette image. Le patron moderne sourit, serre la main de son
employé, devenu collaborateur, parle, volontiers.
Et
il se targue d'idées car il a fait les grandes écoles : Centrale,
Mines, ENA, souvent assis sur le même banc que celui, entré en
politique, lui, qui sera en charge des affaires de la nation. Ça
crée des liens et à l'occasion, ni l'un, ni l'autre, n'oubliera.
Inutile de nommer, il y aurait des oublis et cela ferait des
mécontents !
Bref,
qu'il s'agisse d'économie, de politique, de rapports sociaux (ne
dit-on pas humains ?), depuis quelques années on se veut moderne du
côté des accapareurs de profit (dont les hausses sont parfois
vertigineuses) et de celui des décideurs (politiciens de tous bords
garants de la bonne marche des choses). Cette maladie de la modernité
- gangrène devrait-on dire tant elle a pénétré profondément tous
les corps de la société - n'a pas épargné le milieu présumé
assurer la défense des intérêts des travailleurs, à savoir le
syndicalisme. Le consensus mou et rampant qui a pris naissance sous
le règne mitterrandien est bien ancré dans les comportements et les
pratiques des appareils de représentation. La déconnexion de ces
appareils de la base n'a jamais été aussi flagrante. Elle est le
fruit de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le syndicalisme
d'accompagnement. Sur le plan politique elle se traduit par la
désaffection continue et croissante des urnes. Cette fracture a
aussi donné naissance, après les expulsions des moutons noirs cher
à Edmond Maire, au départ volontaire de milliers de militants
syndicaux issus surtout de la CFDT, pour construire de nouvelles
structures de lutte : les SUD, le groupe des Dix, ou en développer
d'autres, existantes, comme la CNT. Et pourtant il y eut et il y a
toujours des réactions, des sursauts. L'automne hiver 95 a ainsi vu
s'élever une bonne partie des travailleurs contre le plan Juppé qui
fut abandonné. L'espoir de relance du mouvement social fut cependant
de courte durée, les formes autoorganisationnelles hors structures
syndicales s'estompant avec la fin de la grève. Et puis il y eut la
fermeture de l'usine Renault à Vilvoorde (Belgique) confirmée par
Jospin tout empreint de compassion à l'égard des ouvriers
kleenexés. Sursaut encore, mais défaite : la Bourse fait la loi.
Enfin le printemps vient de connaître sa chaîne de
restructurations- délocalisations : Danone, Mark & Spencer,
Valéo, Moulinex (sans compter les milliers de jetés des PME
non-astreintes aux plans sociaux et dont on ne parle donc pas) qui
n'a entraîné là encore que réactions morales de la part des
pouvoirs publics, complices en ce qu'ils ne mettent en cause que la
brutalité des méthodes et non leur fondement : le profit des grands
groupes transnationaux. Les manifestations, les occupations, le
boycott ont malheureusement un goût de luttes défensives,
dispersées, sans projet collectif qui, il est vrai, ne peut
s'esquisser dans les moments de stress, mais surtout don ne veulent
pas les confédérations). Si l'on ajoute à ce bref tableau de
morosité sociale l'adhésion totale des politiques de la gauche
plurielle aux thèses du néolibéralisme avec ce que cela suppose
d'agressions répétées contre les acquis obtenus de haute lutte par
le mouvement ouvrier - citons entre autres méfaits le saccage de la
protection sociale, la distribution de l'argent public au patronat
sous couvert d'allégement des charges, la mise en oeuvre de
l'annualisation et de la flexibilisation du temps de travail par le
biais des 35 heures à la sauce Aubry – alors on ne peut que
reconnaître que l'époque est particulièrement favorable à
l'apparition au premier plan d'un patronat réactionnaire plus
dominateur que jamais.
Le
patronat : force incontournable ?
Déçu
par les pouvoirs de droite successifs : Balladur, Juppé coupables de
tergiversations, ne supportant plus la mollesse du prédécesseur de
Seillière, le patronat a décidé donc , dans un contexte
environnemental particulièrement propice, de prendre le taureau par
les cornes et d'affirmer son existence en tant que force
incontournable dans l'ouvre néo-libérale mondiale. Les affaires
sont les affaires, et ce n'est certes pas le baron qui démentira,
lui qui, sous la pression de ses actionnaires a retiré ses billes
d'AOM -Air Liberté, mettant au chômage plusieurs centaines de
salariés. On peut mettre en évidence plusieurs phases de la
démarche patronale.
- La mue.
Depuis
plusieurs années' déjà le patronat se préparait, en particulier
sous l'impulsion de son théoricien Denis Kessler, président de la F
é d é r a t i o n française des sociétés d'assura n c e s
(FFSA)(2) à changer de peau. V*CNPF"' était devenu ringard
de
part la c o n n o ta t i o n lutte de classes qui en émanait.
Désormais, avec le Mouvement Des Entreprises de France (MEDEF), il a
voulu faire ressortir l'idée " d'unir dans un destin commun
entrepreneurs et salariés". L'entreprise ne doit plus être
conçue comme un lieu de conflit potentiels, mais en tant que
communauté d'intérêt où les relations, - n'osons pas dire les
rapports de production ! - dirigeants/exécutants sont interactives
et non plus conflictuelles. Exit donc domination et soumission. A
quoi pourraient donc servir les syndicats, sinon à avaliser les
décisions directoriales ? Le MEDEF en fait peu de cas, quand il ne
les méprise pas, excepté la CFDT.
- Les objectifs.
a)
L'entreprise, cellule de base. Il s'agit pour le MEDEF de faire de
l'entre prise la cellule de base de la société "favorisant
la liberté d'entreprendre (3>, en " promouvant
l'esprit d'entreprise et sa diffusion dans toutes les composantes de
la société"^ (souligné par nous). Le MEDEF estime
aujourd'hui que son rôle ne se borne plus à l'économique, mais
qu'il a aussi une vocation idéologique. Il se veut ainsi groupe de
pression, ce qu'il ne va pas tarder à montrer dans son projet de
"Refondation sociale". Pour atteindre cet objectif :
l'inscription de l'entreprise au centre de la société - en somme
l'entreprise devient une grande famille - l'organisation patronale se
prétend partenaire politique au même titre que n'importe quelle
institution de ce type. Elle exige d'être associé à part entière
à la définition et à la conduite des affaires publiques et donc
d'y imprimer sa marque. Car le MEDEF voit bien au delà du bout du
nez de son baron. La société française doit changer et il compte
bien être un élément déterminant dans cette réforme. Face à
l'exigence de "compétitivité globale", il n'hésite pas à
affirmer que les entrepreneurs ont désormais un droit de regard sur
des secteurs aussi sitôt que la santé, l'éducation, l'information,
l'emploi, le fonctionnements de l'Etat... Cette prétention du MEDEF
à devenir un pôle sociétal hégémonique, de par les moyens
utilisés pour y parvenir : déconstruction sociale, appropriation
des pouvoirs de décision... a un goût marqué de totalitarisme
new-look au service de la nouvelle cellule de base de la société :
l'entreprise. Ne nous leurrons pas : le projet de Big Brother est
global.
b)
Le partage des risques.
Cet
objectif est en rapport direct avec le précédent. Si la société
doit changer, c'est bien évidemment dans le sens des intérêts du
capitalisme. Mais à ce dernier il faut redonner une couleur moderne
qui le rende plus acceptable; il faut donc le moraliser. Comment
est-ce possible ? En imposant l'idée d'une société consensuelle où
le facteur risque ("la valeur des valeurs" selon D.
Kessler et F. Ewald – ce dernier ancien de la Gauche Prolétarienne
et second théoricien du MEDEF) "s'identifie à la
responsabilité, au Bien, au Juste; tandis que la protection renvoie
à l'irresponsabilité,
au
Mat' <4). A une époque où l'on se gausse encore de la
disparition des idéologies passéistes : marxisme, communisme, le
MEDEF voudrait bien combler le vide en imposant le sienne toute
neuve; "peut-être l'idéologie du risque vient-elle occuper
la place des grandes utopies du passé ? " s'interrogent nos
deux penseurs de la nouvelle économie. Ewald, qui fut autrefois
collaborateur de M. Foucault, n'hésite pas à affirmer dans une
tribune des Echos (5-9-2000) que le capitalisme est lui-même "
une
morale,
un système de valeurs à la fois individuelles et collectives, celui
précisément de l'entreprise avec les idées de risque, de liberté
et de responsabilité qui la caractérisent. ". Ces belles
pensées et d'autres trouvailles du genre de celles de l'DIMM (Union
des Industrie métallurgiques et minières), fédération patronale
réac, virulente et influente "la responsabilité
individuelle vaut mieux que l'irresponsabilité
collective"
traduisent bien la volonté du MEDEF d'imposer sa conception de
l'individualisation du risque à la place de la responsabilité
socialisée. Là, on est en droite ligne de l'attaque menée par le
patronat contre la protection sociale. A ses yeux les droits sociaux
doivent être fonction du degré d'intégration dans l'activité
productive et non plus liés à la personne elle-même. A quand la
remise en cause du RMI qui, selon Kessler, consiste un droit sans
devoirs, c'est à dire de l'assistance ? La
perspective
patronale en matière est celle d'une " nouvelle protection
sociale par et pour l'entreprise"(5). Ainsi donc la
protection sociale ne relèverait plus de droits universels, mais
serait pour l'entreprise un simple instrument de domination. On est
largement sur la pente de la privatisation. L'éloge du risque a donc
pour raison d'être la disqualification des solidarités collectives.
Et on ne peut que rapprocher de cette disqualification les modalités
Aubry de la mise en place des 35 h branche par branche et pis,
entreprise par entreprise. On a vu qu'à ce niveau ci, bien souvent,
l'autoritarisme patronal a prévalu. Le risque c'est bien souvent le
salarié seul qui le supporte : CDD, intérim, précarité, contrats
divers, dégradation des conditions de travail, salaires immobiles et
parfois réduits. Mais les patrons voient plus loin. Le salariat
d'aujourd'hui - et d'hier - est un "mode d'organisation du
travail où l'un des partenaires à l'activité productive se trouve
pratiquement déchargé de tous les risques en échange de sa
subordination" (Kessler et Ewald dans la revue Le Débat).
Pour eux il faut donc que, en plus de la subordination le salarié
prenne sa part de risque par une rémunération variable. Quand on
sait que les profits d'une entreprise servent surtout à engraisser
les gros actionnaires, on se demande ce que pourront tirer les
salariés des performances réalisées, à moins de jouer le jeu des
stock options, de l'épargne salariale, de l'intéressement dépendant
des cours boursiers. Et quid des périodes de vaches maigres ? En
terme de risque, c'est quand même pas mal !
Le
droit du travail. Autre objectif du MEDEF : la reconsidération du
droit existant et sa modification. Règle d'or : la décentralisation
des négociations - ou discussions - et leur engagement au niveau de
l'entreprise "niveau le plus fécond ", dixit le
MEDEF, en fait le lieu où le patronat a le meilleur rapport de force
(faible en l'absence de syndicalisation, syndicat jaune). Alors que
le droit du travail est régi par le principe de faveur : l'accord
d'entreprise s'applique s'il est plus favorable que celui de la
branche, lui-même meilleur que la loi, le MEDEF projette une remise
en question de ce principe en se servant de l'accord dérogatoire,
issu des lois Auroux de 82, la nouvelle règle. Exit le cadre légal,
bonjour les pressions sur les accords à la base !
3/La
Refondation sociale.
Il
faut comprendre ce terme comme instrument patronal pour atteindre les
objectifs qu'il s'est assigné sur la domination de la société
qu'il veut (contre- )révolutionner pour mieux assurer le pouvoir
financier du capital. La sémantique patronale elle-même n'est pas
innocente ; refondre c'est changer et de moule et de contenu. A la
sauce libérale anglo-saxonne bien entendu. A ses yeux la droite
française a trop hésité à suivre le modèle thatchérien et le
social-libéralisme de Blair alors que les pics atteints par le
chômage leur en donnait l'occasion, au moins au début de sa
"gouvernance" par la gauche plurielle). D'où l'impatience
du MEDEF et sa volonté de
paraître
comme une deuxième droite bien plus volontariste et apte à faire le
ménage nécessaire. Au frein de pouvoir politique (retrait du plan
Juppé par exemple), le MEDEF adjoint celui des fonctionnaires et des
services publics réticents à toute réforme dont l'inertie ne
pourra être brisée que par le démantèlement du statut.
Rappelons-le : il s'agit bien pour le patronat nouveau de s'imposer
comme force intellectuelle et politique non seulement dans le domaine
économique et social, mais aussi dans de secteurs aussi divers que
la santé, l'éducation , secteur qu'il est nécessaire de contrôler,
de maîtriser pour enfin parler et agir vrai, c'est à dire sous la
houlette des thèses libérales
Ses
applications. La première a consisté à prendre la décision en
janvier 2000 de se retirer des organismes paritaires et, devant la
panique des confédérations syndicales, d'accepter d'en différer
l'application jusqu'à la fin de cette année. Battre le fer quand il
est chaud est certainement la devise du MEDEF. Exploitant le choc
provoqué chez les grandes centrales dites représentatives (CGT, FO,
CFDT, CGC, CFTC), il convoquait le 3 février dernier les deux autres
composantes patronales (CGPME et UPA) et ces mêmes centrales pour
définir ensemble les divers chantiers de sa Refondation sociale,
c'est
à dire pour imposer son point de vue sur ces mêmes chantiers sur
lesquels bien évidemment il cogite depuis pas mal de temps. Ceux
qu'il estimait le plus urgent de démarrer l'ont été sur le champ,
il s'agit de la nouvelle convention assurance-chômage, des retraites
complémentaires, de la santé dans le travail et de la négociation
collective. Les choses risquent d'être rondement menées si l'on se
réfère au soutien scandaleux qu'a apporté la CFDT au MEDEF sur la
question du PARE. Et de fait, dès le 10 février , la centrale de N.
Notât et la CFTC signaient avec le MEDEF, la CGPME et l'UPA un
accord sur la réforme des retraites, accord assassin en ce qu'il
remet en cause notamment le départ à soixante ans de l'âge de la
retraite pour un taux plein ? Ce que les uns et les autres appellent
hypocritement "la retraite
à
la carte".Restent pour l'automne quatre terrains à rafraîchir
: l'assurance-maladie et l'assurancevieillesse, la formation
professionnelle, l'égalité dans la profession entre hommes et
femmes et la place des cadres. Nul doute que là aussi le patronat
fera tout pour amener ses "partenaires" à partager sa
conception libérale de la protection sociale, avec l'aval à
posteriori du gouvernement. On peut même se demander si sa hâte de
régler la question avant les échéances électorales de l'an
prochain n'est pas sans rapport avec une possible crainte de se
trouver en face de difficultés sous un éventuel gouvernement de
droite du fait d'une réaction sociale plus marquée que celle qui se
manifeste sous la gauche plurielle, si l'on veut bien excepter la
grève du 25 janvier dernier pour la défense des retraites qui a
mobilisé près de 300 000 personnes avec un fort soutien populaire,
mais qui malheureusement fut sans lendemain.
Résumons-nous.
Les ambitions du MEDEF sont claires : faire de l'entreprise la
cellule de base de la société et donc le point de référence de
l'activité économique et sociale ; faire en sorte que tout ce qui
touche à son organisation, à son fonctionnement et à son
développement soit abordé en discussion - le terme négociation ne
serait plus approprié - de manière interne, au sein d'une
communauté restreinte où chef d'entreprise et salariés
deviendraient tous entrepreneurs partageant risques et
responsabilités (en somme un mariage pour le pire et pour le
meilleur) pour le plus grand intérêt - profit - du management et
des actionnaires. Tout cela passe nécessairement par la gestion du
droit du travail et des lieux qui lui sont collatéraux telles que la
retraite, les assurances et bien évidemment la déréglementation de
la protection sociale, l'Etat étant sommé par les institutions
internationales (BM, FMI, OMC) relayées par la technocratie
européenne, de réduire ses dépenses publiques et d'accélérer le
rythme des privatisations (Poste, SNCF, France-Télécom).
L'économique deviendrait le primat de tout développement auquel
seraient subordonnés le social et politique. Cette perspective est
un retour en arrière sans précédent, où le travailleur court le
risque de voir ses droits amputés, ses conditions de travail
dégradées, sa vieillesse mal garantie. Elle est inacceptable dans
une société de démocratie représentative, encore moins de
démocratie directe fondée sur la solidarité et l'autogestion. En
tant que telle elle est à combattre parce que totalitaire.
Juin
01
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