Le
mot écrivain, bien que peu usité maintenant en ce sens, sert à
désigner celui qui fait son métier de l'écriture. Il y a peu de
temps encore, alors que quantité de gens ne savaient ni lire ni
écrire, il existait des écrivains publics, tenant échoppe tout
comme des savetiers, et qui, moyennant rétribution, rédigeaient
pour les illettrés, les lettres, les mémoires, les pétitions,
etc... En France du moins, ce métier a presque totalement disparu et
le terme écrivain est couramment employé comme synonyme de :
littérateur, homme de lettres, romancier. Un grand écrivain ; un
bon écrivain ; un excellent écrivain ; un écrivain médiocre.
Pourtant il ne faut pas s'y tromper ; quoique l'on désigne sous le
nom d'écrivains tous ceux en général qui se mêlent d'écrire,
gardons-nous de confondre : écrivain et littérateur, car il ne
suffit pas pour être homme de lettres d'assembler des caractères,
de composer un ouvrage, de le faire éditer et d'essayer de le lancer
dans le public, faut-il encore dans cet ouvrage exprimer des pensées
saines, claires et logiques. Il y a certainement plus d'écrivains
que de littérateurs et cela s'explique facilement. Les métiers
manuels étant considérés comme inférieurs par les classes
possédantes, une partie de la bourgeoisie - tout le monde ne peut
pas se lancer dans le commerce, la finance ou l'industrie - se jette
dans les professions dites libérales. Or, celles-ci se divisent en
deux catégories : premièrement celles qui nécessitent des études
sérieuses, profondes et suivies : la médecine, les sciences,
etc..., qui fournissent les docteurs, les chirurgiens, les
ingénieurs..., et dont l'exercice exige, plus que des diplômes :
des capacités techniques ; deuxièmement, les professions libérales
indéterminées, que chacun peut embrasser, qui produisent les
politiciens, les journalistes, les écrivains, et qui groupent tous
les ratés, tous les incapables, tous les rebuts intellectuels de la
Société. En notre siècle de mercantilisme, la chance et le culot
sont de plus sûrs facteurs de réussite que les connaissances ; mais
l'assiette au beurre est relativement petite pour tous les appétits,
et bien des affames de gloire, d'honneur et de réputation n'arrivent
jamais jusqu'à la précieuse table sur laquelle elle repose. Ils
tentent cependant de sortir de l'ombre et comme chacun peut se dire
écrivain et coucher sur le papier les idées les plus saugrenues et
les plus ridicules, ou encore écrire pour ne rien dire, le monde est
infesté d'écrivaillons qui produisent des livres sans intérêt,
que bien souvent personne ne lit et qui pourrissent dans les caves
des éditeurs et des libraires. Malheureusement, parmi les
littérateurs sans talent, il est une minorité qui, s'assimilant les
goûts du grand public d'ignorants, spécule sur cette ignorance, et
par une prose infecte - qui obtient un succès retentissant -
continue d'empoisonner l'esprit des foules. Ce qui peut de par le
monde s'écouler de romans feuilletons est formidable. Le romancier,
l'écrivain qui a le courage - ou la lâcheté - de se livrer à un
tel sport, sport avantageux au point de vue intérêt, acquiert bien
vite la réputation et la fortune ; et comme aujourd'hui tout
s'achète et se vend, comme chacun n'a qu'un but : gagner de l'argent
et jouir de la richesse ; comme la société n'est qu'un vaste
comptoir commercial, l'écrivain stupide, trouve bien vite un
éditeur, alors que le savant ou l'homme de lettres sérieux est - à
part quelques exceptions qui s'imposent par leur génie - incapable
de vivre de sa plume. Les « Corneille », qui au déclin de la vie
et après une existence de travail sont contraints d'attendre chez le
savetier, n'ont pas disparu. Il y en a toujours, cependant que des
Pierre Decourcelle et des Michel Morphy crèvent sur des montagnes
d'or. Peut-il en être autrement en un siècle où tout se négocie,
se marchande, où l'on ensemence le cerveau du peuple, comme on
ensemence un champ de betteraves, sans tenir compte de ce qui est bon
ou mauvais à l'individu, mais en calculant simplement le rendement
de l'opération. L'écrivain, dont le rôle social devrait être de
soigner et de guérir les esprits, comme le médecin soigne et guérit
les plaies et les maladies, s'est prostitué à l'argent et n'est
plus qu'un objet méprisable entre les doigts crochus du capital. .
Mais quoi, « il est des célébrités factices auxquelles on
travaille toute sa vie et qui finissent à la mort. Il y a des
célébrités qui commencent à la mort et qui ne finissent plus ».
L'écrivain médiocre ne sera jamais glorieux si l'on pense avec
Voltaire « que la gloire est la réputation jointe à l'estime ».
Il peut acquérir auprès des faibles et des ignorants une certaine
popularité, mais son nom s'efface de l'histoire à mesure que le
peuple s'éduque et comprend, et s'il ne se perd pas dans l'oubli, il
ne subsiste que pour signaler une époque de bassesse et de lâcheté
et est méprisé comme celui du criminel ou du général qui sont des
glorieux sans gloire.
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