« On
trouvera, en effet, un dialecte différent dans quasiment chaque
tribu, chaque village ou chaque vallée. Les membres des tribus ou
les paysans, disposant d'un faible réseau de communication et ne
sachant ni lire ni écrire, n'avaient pas besoin d'un lexique
développé pour travailler, engendrer, ni même pour prier. La
communication dans les sociétés agraires reposait pour beaucoup sur
la relation immédiate, le geste et la parole, et non pas sur les
concepts abstraits que quelques érudits ont formulés dans ces
fameuses sources écrites dont une partie est parvenue jusqu'à
nous. »
« Les
débris des armées perses conquérantes regagnent eux aussi la
patrida pour retrouver leurs familles et pleurer sur l'amère
défaite. Mais, attention ! Ni la Grèce, ni la Perse ne sont la
patrie des guerriers : leur patrie, c'est leur foyer, leur cité et
leur lieu d'origine. La patrie, c'est le petit territoire où l'on
est né, et que connaissent physiquement et sans intermédiaire les
fils, les descendants et les proches voisins. »
« C'est
ainsi que les guerres modernes sont devenues des guerres totales et
de longue durée, se traduisant, en comparaison du monde pré-moderne,
par un nombre de victimes beaucoup plus élevé. Au terme du
processus, la vocation à mourir pour la patrie qui n'était le
privilège que de quelques-uns dans le monde antique méditerranéen
est devenue un patrimoine universel é »dans le monde nouveau
globalisé. »
« Il
faudrait cependant se garder de penser que la transformation d'un si
grand nombre de personnes en autant de patriotes ardents ne
résulterait que d'un pur endoctrinement, autrement dit d'une action
de manipulation de la part des élites détentrices du pouvoir. Il
est bien entendu que sans les capacités de reproduction mécanique,
sans les journaux, les livres, et plus tard les magazines
d'actualités cinématographiques, et sans l'action pédagogique
intensive du réseau d'enseignement étatique obligatoire, l'espace
national aurait pesé d'un poids nettement moindre dans la conscience
et la vie des citoyens. Nul doute que pour reconnaître la patrie, il
ait fallu savoir lire et écrire, et être capable d'intégrer des
pièces importantes du grand puzzle appelé « culture nationale ».
On
peut donc affirmer, sans risque d'erreur, que les nouveaux moyens de
communication et les appareils idéologiques de l'État, l'école
notamment, ont participé directement à la création systémique des
patries et du patriotisme. »
éLorsque
Samuel Johnson, à la fin du XVIIIe siècle, a affirmé que « le
patriotisme est
le
dernier refuge du gredin [scoundrel] », il a parfaitement
prédit la nature de la rhétorique politique appelée à devenir
dominante dans les deux siècles à venir : celui qui peut se
présenter comme le plus fidèle chien de garde de la propriété
nationale sera intronisé roi sans couronne de la démocratie
moderne. »
« Des
champs de bataille ancestraux ont été érigés en lieux de
pèlerinage. Des tombeaux de tyrans fondateurs de royaumes ou
d'insurgés cruels ont été consacrés comme sites historiques
d'État. Des personnalités laïques conséquentes, nationalistes
fervents, ont donné à des paysages silencieux une valeur mystique,
quasiment transcendantale. »
« L'économie
de marché, après avoir détruit, dans un passé lointain, les
petites patries, et après avoir énormément contribué à la
formation des patries nationales et à leur délimitation dans des
frontières hermétiques, a commencé de disloquer ce qu'elle avait
elle-même érigé. Les élites politiques et, surtout, les médias
audiovisuels et l'internet y sont aussi pour beaucoup. »
« Verdun,
peut-être le symbole de la bêtise patriotique du XXe siècle, est
devenu un site de tourisme populaire. L'ironie du sort fait
qu'aujourd'hui le lieu se moque des passeports et des identités des
Européens qui viennent le visiter. »
« À
quelles [actions] ces trois serments seront-ils [appliqués] ? L'un
dicte aux juifs qu'ils ne doivent pas converger vers [Sion] en un mur
[par la force] ; et l'un est que le très Saint, béni soit-il,
commande aux juifs de ne pas se révolter contre les nations du monde
; et l'un est que le très Saint, béni soit-il, commande aux
idolâtres de ne pas subjuguer les juifs plus que nécessaire ».
Talmud de Babylone, Ketouvot, 13, 111.
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