vendredi 11 mai 2018

Shlomo Sand Comment la Terre d'Israel fut inventée Partie 3



« On trouvera, en effet, un dialecte différent dans quasiment chaque tribu, chaque village ou chaque vallée. Les membres des tribus ou les paysans, disposant d'un faible réseau de communication et ne sachant ni lire ni écrire, n'avaient pas besoin d'un lexique développé pour travailler, engendrer, ni même pour prier. La communication dans les sociétés agraires reposait pour beaucoup sur la relation immédiate, le geste et la parole, et non pas sur les concepts abstraits que quelques érudits ont formulés dans ces fameuses sources écrites dont une partie est parvenue jusqu'à nous. »

« Les débris des armées perses conquérantes regagnent eux aussi la patrida pour retrouver leurs familles et pleurer sur l'amère défaite. Mais, attention ! Ni la Grèce, ni la Perse ne sont la patrie des guerriers : leur patrie, c'est leur foyer, leur cité et leur lieu d'origine. La patrie, c'est le petit territoire où l'on est né, et que connaissent physiquement et sans intermédiaire les fils, les descendants et les proches voisins. »


« C'est ainsi que les guerres modernes sont devenues des guerres totales et de longue durée, se traduisant, en comparaison du monde pré-moderne, par un nombre de victimes beaucoup plus élevé. Au terme du processus, la vocation à mourir pour la patrie qui n'était le privilège que de quelques-uns dans le monde antique méditerranéen est devenue un patrimoine universel é »dans le monde nouveau globalisé. »

« Il faudrait cependant se garder de penser que la transformation d'un si grand nombre de personnes en autant de patriotes ardents ne résulterait que d'un pur endoctrinement, autrement dit d'une action de manipulation de la part des élites détentrices du pouvoir. Il est bien entendu que sans les capacités de reproduction mécanique, sans les journaux, les livres, et plus tard les magazines d'actualités cinématographiques, et sans l'action pédagogique intensive du réseau d'enseignement étatique obligatoire, l'espace national aurait pesé d'un poids nettement moindre dans la conscience et la vie des citoyens. Nul doute que pour reconnaître la patrie, il ait fallu savoir lire et écrire, et être capable d'intégrer des pièces importantes du grand puzzle appelé « culture nationale ».
On peut donc affirmer, sans risque d'erreur, que les nouveaux moyens de communication et les appareils idéologiques de l'État, l'école notamment, ont participé directement à la création systémique des patries et du patriotisme. »

éLorsque Samuel Johnson, à la fin du XVIIIe siècle, a affirmé que « le patriotisme est
le dernier refuge du gredin [scoundrel] », il a parfaitement prédit la nature de la rhétorique politique appelée à devenir dominante dans les deux siècles à venir : celui qui peut se présenter comme le plus fidèle chien de garde de la propriété nationale sera intronisé roi sans couronne de la démocratie moderne. »

« Des champs de bataille ancestraux ont été érigés en lieux de pèlerinage. Des tombeaux de tyrans fondateurs de royaumes ou d'insurgés cruels ont été consacrés comme sites historiques d'État. Des personnalités laïques conséquentes, nationalistes fervents, ont donné à des paysages silencieux une valeur mystique, quasiment transcendantale. »

« L'économie de marché, après avoir détruit, dans un passé lointain, les petites patries, et après avoir énormément contribué à la formation des patries nationales et à leur délimitation dans des frontières hermétiques, a commencé de disloquer ce qu'elle avait elle-même érigé. Les élites politiques et, surtout, les médias audiovisuels et l'internet y sont aussi pour beaucoup. »

« Verdun, peut-être le symbole de la bêtise patriotique du XXe siècle, est devenu un site de tourisme populaire. L'ironie du sort fait qu'aujourd'hui le lieu se moque des passeports et des identités des Européens qui viennent le visiter. »

« À quelles [actions] ces trois serments seront-ils [appliqués] ? L'un dicte aux juifs qu'ils ne doivent pas converger vers [Sion] en un mur [par la force] ; et l'un est que le très Saint, béni soit-il, commande aux juifs de ne pas se révolter contre les nations du monde ; et l'un est que le très Saint, béni soit-il, commande aux idolâtres de ne pas subjuguer les juifs plus que nécessaire ». Talmud de Babylone, Ketouvot, 13, 111.


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