Vous
avez dit « etats démocratiques »
Régulièrement,
la scène sur laquelle se déroule la tragicomédie permanente de la
vie politique au sein des ‘Etats démocratiques’ est
envahie par des ‘scandales’ plus ou moins importants, qui
impliquent ou éclaboussent jusqu’aux plus hauts personnages placés
à la tête de ces Etats. Ces ‘scandales’, qui conduisent les uns
à une sortie de scène peu honorable, les autres à se réjouir plus
ou moins ouvertement de la chute des précédents, d’autres encore
à jouer les moralisateurs en se lamentant sur la petitesse des
affaires humaines ou les réformateurs en proposant quelques mesures
destinées à assainir les moeurs politiques, sont presque toujours
l’occasion pour tous de convenir en définitive qu’il s’agit de
manquements graves aux exigences démocratiques, qui ne compromettent
cependant pas la valeur intrinsèque de ces derniers.
Bref,
l’’Etat démocratique’ ne serait pas en cause, seuls le
seraient les agissements d’hommes politiques qui en sont indignes.
Ce constat fait, la scène politique épurée de ses acteurs
scandaleux et le brouhaha indigné de la salle ayant pris fin, la
pièce peut se poursuivre selon son cours ‘normal’... jusqu’au
scandale suivant.
Et
si le scandale n’était pas l’exception mais la règle ?
S’il
n’était pas un accident dans le fonctionnement de l’’Etat
démocratique’ mais au contraire s’il en révélait la
substance même ? Car, somme toute, qu’est ce que cet Etat
sinon
une machine à la tête de laquelle se trouvent placés des hommes
(ou des femmes) qui, au mieux, y ont été élu/es mais ne rendent
plus compte à leurs électeurs de leurs agissements durant leur
mandat, voire ont été tout simplement coopté/es par les précédents
ou leurs pairs sans même être jamais passé/es par l’onction du
suffrage
universel
? Comment voulez-vous que cela n’induise pas chez la plupart
d’entre eux (elles) aussi bien un goût immodéré du pouvoir qu’un
sentiment de totale impunité qui ne peut que les inciter à céder à
toutes les tentations de corruption (active ou passive) ou de coups
plus ou moins tordus pour éliminer leurs concurrents ?
Allons
plus loin même. Le scandale n’est-il pas en fait l’’Etat
démocratique’ lui-même ? Qui ne perçoit la dénaturation de
la démocratie qu’implique sa réduction au jeu politique
parlementaire et partisan, assorti de quelques libertés publiques
dont les hommes politiques espèrent bien que les citoyens en useront
le moins possible, pour les laisser vaquer tranquillement à leurs
affaires ? Qui ne perçoit que la démocratie qui,
rappelons-le, signifie le gouvernement du peuple par le peuple et
pour le peuple, ne peut certes pas se réduire à élire
périodiquement des dirigeants sur lesquels on perd tout contrôle au
moment même où on les a élus ? Qui ne perçoit que, prise dans
toute l’exigence de sa signification, la démocratie implique
l’autogestion généralisée de la société : son
auto-direction, son auto-organisation et son auto-contrôle par
l’ensemble des membres de la société, en impliquant du même
coup la résorption du politique dans le social et la destruction de
toute forme étatique (séparée, centralisée et bureaucratisée) de
pouvoir politique ? Si bien qu’’Etat démocratique’
constitue à proprement parler une contradiction dans les termes.
Un
vrai ‘scandale’ en somme, qu’il faudrait placer sous les
projecteurs des investigations communes. Et pas seulement pour le
présenter comme une aberration sémantique. Mais pour réussir aussi
à lui coller le statut de monstruosité politique à éradiquer
d’urgence.
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