samedi 5 mai 2018

Journal de la Commune


Paris, le 26 mars 1871.


A l’heure où nous écrivons, le Comité central aura de droit, sinon de fait, cédé la place à la Commune. Ayant rempli le mandat extraordinaire dont la nécessité l’avait investi, il se réduira de lui-même à la fonction spéciale qui fut sa raison d’être, et qui, contestée violemment par le pouvoir, l’obligeait à lutter, à vaincre, ou à mourir avec la cité dont il était la représentation armée.
Expression de la liberté municipale légitimement, juridiquement insurgée contre l’arbitraire gouvernemental, le Comité n’avait d’autre mission que d’empêcher à tout prix qu’on arrachât à Paris le droit primordial qu’il avait triomphalement conquis. Au lendemain du vote, on peut dire que le Comité a fait son devoir.
Quant à la commune élue, son rôle sera tout autre et ses moyens pourront être différents. Avant tout, il lui faudra définir son mandat, délimiter ses attributions.
Ce pouvoir constituant qu’on accorde si large, si défini, si confus pour la France à une assemblée nationale, elle devra l’exercer pour elle-même, c’est-à-dire pour la cité, dont elle n’est que l’expression.
Aussi l’oeuvre première de nos élus devra être la discussion et la rédaction de leur charte, de cet acte que nos aïeux du moyen-âge appelaient leur commune.
Ceci fait, il faudra aviser aux moyens de faire reconnaître et garantir par le pouvoir central, quel qu’il puisse être, ce statut de l’autonomie municipale. Cette partie de leur tâche ne sera pas la moins ardue si le mouvement, localisé à Paris et dans une ou deux grandes villes, permet à l’Assemblée nationale actuelle d’éterniser un mandat que le bon sens et la force des choses limitaient à la conclusion de la paix, et qui déjà se trouve depuis quelque temps accompli.
À une usurpation de pouvoir, la commune de Paris n’aura pas à répondre en usurpant elle-même. Fédérée avec les communes de France déjà affranchies, elle devra, en son nom et au nom de Lyon, de Marseille et bientôt peut-être de dix grandes villes, étudier les clauses du contrat qui devra les relier à la nation, poser l’ultimatum du traité qu’elles entendent signer.
Quel sera cet ultimatum ? D’abord il est bien entendu qu’il devra contenir la garantie de l’autonomie, de la souveraineté municipale reconquise. En second lieu, il devra assurer le libre jeu des rapports de la commune avec les représentants de l’unité nationale.
Enfin, il devra imposer à l’Assemblée, si elle accepte de traiter, la promulgation d’une loi électorale telle que la représentation des villes ne soit plus à l’avenir absorbée et comme noyée dans la représentation des campagnes. Tant qu’une loi électorale conçue dans cet esprit n’aura pas été appliquée, l’unité nationale brisée, l’équilibre social rompu ne pourraient pas se rétablir.
A ces conditions, et à ces conditions seulement, la ville insurgée redeviendra la ville capitale. Circulant plus libre à travers la France, son esprit sera bientôt l’esprit même de la nation, esprit d’ordre, de progrès, de justice, c’est-à-dire de révolution.

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