Un
républicain de vingt ans, dont le père est mort en exil, adresse
au
Châtiment l’article suivant :
« LA
CANAILLE
On
se bat à Paris ; la garde nationale armée, forte de 200 000 hommes,
est en révolte ; à Montmartre, canons et mitrailleuses sont braqués
sur la ville ; Vinoy est bloqué et va capituler ; Chanzy part avec
40 000 hommes pour combattre l’insurrection, etc.
Telles
sont les nouvelles que les réactionnaires colportaient ces jours-ci,
et l’Assemblée tremblante demandait si elle irait siéger sur le
Puy-de-Dôme ou en plein Océan, et les journaux monarchistes
débitaient des tirades de longue haleine sur « la populace, la vile
multitude, la crapule, la canaille. »
Pauvres
gens, ignorants et ingrats ! Cette canaille, que vous conspuez, pour
laquelle vous n’avez pas assez d’insultes, que vous accusez de
pillage et d’assassinat ; cette canaille que vous voudriez voir
balayer par le canon, savez-vous ce qu’elle est, ce que vous lui
devez ?
Savez-vous
paysans, bourgeois égoïstes et lâches, ce qu’il y a de
dévouement, de courage et de misère dans le coeur de cette canaille
?
C’est
elle qui vous a fait ce que vous êtes ; c’est elle qui vous a
vengés d’une oppression de dix siècles.
Paysan,
qui est-ce qui t’a donné les moyens d’acheter ton champ, ta
vigne et de les cultiver pour toi, pour toi seul ? La canaille.
Bourgeois,
commerçant, propriétaire, qui est-ce qui t’a donné la faculté
de travailler pour toi, pour toi seul, d’amasser, de sortir de la
misère, de te faire un petit bien-être ? Qui est-ce qui travaille
pour toi et t’enrichit ? La canaille.
Et
vous député, avocat, médecin, homme de lettres, professeur,
capitaine, qui est-ce qui vous a permis de montrer votre licence et
votre mérite et de prendre place au soleil ? La canaille.
Vous
tous, tant que vous êtes, qui vous a faits hommes libres, citoyens ?
La canaille de 1789, de 1830, de 1848.
Cette
canaille, si vous l’aviez écoutée et suivie, le 2 décembre,
aurait déjoué avec vous les projets du parjure Bonaparte ; si vous
aviez voté comme elle, elle aurait renversé le second Empire, et
prévenu la ruine et la honte de la patrie ; elle aurait peut-être
sauvé la France le 31 octobre si vous l’aviez un peu mieux connue
et si vous aviez eu plus de confiance en elle.
C’est
elle qui fait les révolutions et sans en profiter. Qu’y
gagne-telle, la canaille ?
La
misère, la haine de ceux qu’elle sert, parfois l’exile, souvent
la mort.
Malgré
ses bienfaits et son abnégation, vous n’avez pour elle que
l’injure ; vous savez bien qu’elle fusille les voleurs qui se
glissent dans ses rangs, et que si parfois ses mains sont teintes de
sang, c’est qu’elle punit ses traîtres ou se venge d’un
usurpateur.
Elle
se désavoue (sic) pour vous, et vous n’avez pour elle que
l’insulte, l’ingratitude pour la remercier.
Vous
ne vous souvenez pas même que vos pères faisaient partie de cette
canaille, et vous ne songez pas que vous en faisiez partie vous
mêmes, mais sans gloire, si vos pères avaient été aussi égoïstes
et aussi lâches que vous.
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