Nom
donné au régime ou ordre économique en vigueur dans les sociétés
modernes. « L'ordre économique capitaliste est sorti des entrailles
de l'ordre économique féodal » dit Karl Marx ; en effet, le
capitalisme se substitua au régime féodal qui ne répondait plus
aux exigences internationales du commerce et de l'industrie
naissantes. La féodalité, qui courbait sous le joug du seigneur non
seulement le paysan, mais même le boutiquier et l'artisan, entravait
l'évolution du commerce qui étouffait du manque de liberté. Ce ne
fut pas brutalement que la transformation se produisit ; ce fut une
lutte sourde, lente et de longue haleine, car le seigneur avait
intérêt à voir se perpétuer un régime qui assurait à la
hiérarchie de propriétaires, et aux possesseurs de titres
nobiliaires, tous les privilèges et toutes les richesses sociales.
Grâce
aux machines, aux inventions, aux progrès des sciences appliquées,
le capitalisme latent devait sortir victorieux de ce conflit et la
lutte contre la puissance seigneuriale, commencée par Louis XI
devait se terminer par l'éclatante révolution de 89 et 91. Mais,
pour que le capitalisme puisse percer et s'étendre durant cette
longue période de gestation, il lui fallait le concours des éléments
laborieux qui étaient emprisonnés dans les corporations, leurs
maîtrises et leurs jurandes.
Aucun
grand mouvement historique ne s'accomplit sans la participation du
peuple. Aussi, sous couvert de libéralisme, le capitalisme
embryonnaire cherchât-il à capter la confiance et la sympathie du
producteur. Après trois siècles de batailles, au cours desquelles
les corporations furent dissoutes et reformées à plusieurs
reprises, le dernier pilier de la féodalité s'écroula, lorsque la
loi du 17 mars 1791 supprima définitivement les corporations.
Le
capitalisme était né.
Le
producteur était affranchi de la tutelle du seigneur, mais se
transformait en salarié et devenait la proie de l'exploiteur. Rien
n'était changé dans la forme. La liberté du salarié n'était
qu'une illusion, et le capitalisme allait spéculer sur cette
illusoire liberté, pour agrandir sa puissance et étendre ses
pouvoirs ; détenteur de tous les moyens de production, de tout le
capital inerte, il fallait que le capitalisme devînt le maître du
travail humain, pour pouvoir exploiter son domaine, et la tâche lui
fut relativement facile, puisque le travailleur, dépourvu de toute
richesse, ne pouvait et ne peut produire qu'à la condition d'avoir
l'autorisation de se servir du champ, de la charrue, de la machine ou
de l'outil qui appartient au capitalisme.
De
même que le seigneur, exigeait du paysan une redevance, le
capitalisme exige une redevance du travailleur. « Les formes ont
changé, les relations sont restées les mêmes ». Pour le
capitalisme, le travail est une marchandise, tout comme le minerai ou
le coton, et il l'achète selon ses besoins. Le travailleur n'a pas à
pénétrer dans ses intentions, il n'a pas à chercher qu'elle sera
la destination de sa production ; il vend son travail pour une somme
qu'on prétend librement acceptée de part et d'autre, et le
capitalisme réalise sur ce travail, le bénéfice qui lui convient.
C'est sur cette formule arbitraire de liberté que s'est échafaudé
le capitalisme. Ce régime odieux est arrivé à faire admettre par
les populations ouvrières cette invraisemblance que l'ouvrier était
libre alors qu'en réalité, il est esclave et obligé d'accepter,
s'il ne veut pas crever de faim, les conditions que veulent et
peuvent lui imposer ses exploiteurs.
Le
capitalisme, aidé dans son évolution par l'application des
nouvelles méthodes de production devait acquérir, en un laps de
temps extrêmement court, une puissance colossale ; l'emploi de la
machine à vapeur, la captation des forces naturelles, la
vulgarisation du téléphone et du télégraphe dans le commerce, de
l'énergie dans l'industrie, ajoutèrent une force inouïe à son
développement. Petit à petit, il se trouva à la base de tous les
grands organismes ; aujourd'hui, en se servant d'hommes de paille
qu'il place et déplace, selon ses intérêts, à la tête des
gouvernements, il dirige les parties essentielles du système social.
Il contrôle tous les rouages de la société, et par l'association
de la finance et de l'industrie, forme les cadres d'une
franc-maçonnerie dont les grands capitalistes sont les martres
absolus.
Mais
toute médaille a son envers et tout ce qui a commencé a une fin. Le
capitalisme renferme en lui le mal qui le tuera. Si, à ses origines,
il eut besoin des sympathies du producteur, ce dernier ne tarda pas à
s'apercevoir que ses destinées et ses intérêts étaient
diamétralement opposés à celles de ses maîtres. Considéré comme
une marchandise, le travailleur, à mesure que sa conscience
s'éclairait, devenait de plus en plus exigeant, et par les lois de
l'offre et de la demande, réclamait chaque jour un nouvel avantage à
son exploiteur. Le machinisme, écarta ce premier danger en rendant
inutile une certaine partie de la main-d’œuvre. Mais un autre
danger fit place au premier. Ne trouvant plus à s'employer, le
capital humain restait improductif et ne fournissait plus aux
travailleurs ce qui était indispensable à leur existence et à
celle de leur famille. Conséquences, le chômage, la grève, la
révolte.
Or,
le capitalisme qui est arrivé aujourd'hui à son apogée, évolue
dans un cercle vicieux, duquel il ne peut plus sortir. Pour assurer
sa vie et ne pas s'écrouler sous le poids de la misère humaine, il
est obligé de fournir du travail à celui qui en réclame, et n'a
que cela pour subsister.
D'autre
part, il ne peut fournir ce travail que s'il est assuré que la
production soit écoulée. Si l'accumulation est profitable au
capitalisme lorsqu'il entend imposer un prix et retire alors ses
produits du marché, elle lui est néfaste si elle est rendue
obligatoire par le manque d'acheteurs. Il faut invariablement,
méthodiquement, mathématiquement, que le capitalisme écoule ses
produits ou qu'il périsse. Il est donc contraint de s'étendre
toujours et sans s'arrêter. Une halte et il est perdu. Il lui faut
trouver des débouchés et comme il ne peut les trouver dans
l'intérieur d'un pays, il est obligé de les chercher dans d'autres
contrées. De là le capitalisme national et le jeu de la concurrence
qui entravent l'unification du capitalisme international, et amène
la formation des cartels, des trusts qui se combattent, dans l'espoir
de rester seuls maîtres du marché. C'est de cette division que se
meurt le capitalisme. Il ne retrouve, provisoirement, ―
heureusement ― son unité et sa force que lorsqu'il est en lutte
avec son adversaire le plus redouté et le plus dangereux : le
travail.
Les
conflits internationaux, les guerres coloniales n'ont pas d'autres
origines que la nécessité, pour le capitalisme, de trouver
l'écoulement de ses produits. Lorsque la diplomatie est inapte à
régler un différend où sont en jeu les intérêts commerciaux ou
industriels d'un capitalisme national, celui-ci a, alors, recours à
la force brutale, à la violence, à la guerre.
Certains
politiques, prétendent que la guerre est voulue par le capitalisme
pour détruire une certaine partie de la main-d’œuvre, lorsque
celle-ci devient trop encombrante. Le raisonnement est simpliste.
C'est ce que l'on pourrait qualifier de philosophie pour classe
pauvre. Si le capitalisme n'a pas intérêt à la surpopulation, il
souffre cependant nationalement de la dépopulation, et, si la
marchandise humaine n'apparaît que sur une faible échelle dans son
budget, il faut cependant que la disponibilité du capital travail
soit assez élevée pour atteindre les prix les plus bas possibles.
En
réalité, la guerre fait partie du régime ; elle est un des membres
dont le capitalisme est le corps, mais c'est un membre malade dont
les capitalistes voudraient bien faire l'ablation. La guerre, elle
est dû justement au développement intensif du commerce, de
l'industrie, et plus particulièrement de l'industrie métallurgique,
du pétrole et du caoutchouc qui a divisé le capitalisme en trois
castes concurrentes à la tête desquelles se trouvent les grands
potentats de la finance. Si quelques individualités assez aveugles
puisent dans la guerre une source de profits, le capitalisme, en tant
qu'ordre économique ne peut qu'y perdre, car elle ébranle les bases
sur lesquelles est échafaudé le régime ; elle est inévitable
pourtant et constitue avec la Révolution, les deux événements
historiques qui détruiront cet ordre économique.
Le
capitalisme disparaîtra donc. En égard des connaissances humaines,
le développement intellectuel des travailleurs se poursuit
méthodiquement, et la classe ouvrière cherche, par son action, à
arracher au capitalisme ce qui fait sa puissance : son capital, dans
le but de l'exploiter librement au bénéfice de tous.
Les
économistes bourgeois ne sont pas sans voir le danger, et cherchent
à détourner le cours de l'orientation capitaliste. Ils n'y
arriveront pas, il est trop tard. Le capitalisme est perdu. Surpris
lui-même par la rapidité de son extension, il a tout détruit sur
son passage et s'est livré à une centralisation qui l'étouffera.
Et pourtant il ne peut pas revenir en arrière. Obligé, pour vivre,
en période de désaxage économique, de faire face aux exigences
toujours grandissantes des classes
laborieuses,
il constate qu'il lui est Impossible de subsister s'il n'accorde pas
aux travailleurs, surtout dans les pays de production intensive, un
bien-être relatif, qui assurerait une paix momentanée, et lui
permettrait de reprendre du souffle.
Et
déjà les grands seigneurs américains consentent à accorder à
leur prolétariat certaines satisfactions économiques, à la
condition que celui-ci abandonne la prétention d'établir un ordre
nouveau.
En
vérité, le problème serait résolu, provisoirement toutefois, si
le capitalisme n'était pas comme nous l'avons dit plus haut, animé
par des intérêts qui se combattent, et n'était pas obligé pour la
circonstance, surtout dans des pays comme la France, l'Italie ou
l'Espagne, de sacrifier une grande partie des petits industriels, des
petits commerçants, dont les intérêts particuliers dépassent les
intérêts de classe, et qui ne veulent pas servir d'agneau pascal
sur l'autel du capitalisme.
Quoi
qu'on dise et quoi qu'on fasse, rongé à l'intérieur, luttant à
l'extérieur, le capitalisme est arrivé au point culminant de sa
trajectoire et après son ascension rapide commence sa descente
effrénée. Certains sociologues, préconisent une nouvelle forme de
capitalisme, qui assurerait l'égalité économique de tous ; le
Capitalisme d'État. (Voir : Collectivisme, Socialisme,
Bolchevisme.)
Les
Anarchistes sont contre tout capitalisme, même d'État. Ils
conçoivent que celui-ci ne peut s'élever que sur les piliers de
l'Autorité. Par l'établissement de la Commune libertaire, ils
espèrent rénover l'humanité et élaborer une société de libre
production et de libre consommation où l'individu ne sera plus
soumis à l'emprise d'un oligarchisme qui emprisonne les facultés et
détruit toute liberté d'expansion et d'extension sociale.
J.
CHAZOFF.
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