Mot
qui s'est substitué, chez les cabotins de la politique, au mot «
citoyen », qui était usé et ne rendait plus. Tout candidat à la
députation se croit obligé de commencer ses discours par
l'expression « camarades », c'est plus familier, plus démocratique.
« Citoyens », c'était encore trop bourgeois. Il a donc fallu
inventer un terme nouveau, ou plutôt utiliser un terme ancien pour
flatter le peuple et l'endormir. Camarades a été ce mot là. Il a
fait son entrée dans la politique, est devenu à la mode et il n'est
guère aujourd'hui de groupements, de réunions, de « meetings » où
il ne soit employé par les dirigeants d'un parti. Sommes-nous plus
heureux, moins « légalisés », moins accablés d'impôts, moins
prisonniers de l'autorité depuis qu'un tel mot a été introduit
dans le jargon politicailleur ? Au contraire, il n'y a jamais eu
moins de « camaraderie » dans les groupements où les premier venus
emploient ce mot sans y croire, le galvaudant, l'abaissant au niveau
de leur mentalité d'arrivistes.
Pseudo-camarades.
Quand on prononce le mot « camarades », on est porté naturellement
à croire qu'il traduit une affinité d'esprit, des liens de
sympathie, d'amitié, d'entraide, d'estime, d'affection, entre
esprits pensant la même chose et agissant dans le même but.
L'expérience nous démontre malheureusement qu'il n'en est pas
toujours ainsi, et que ce mot ne correspond nullement à son sens
véritable. On est tout étonné de rencontrer parmi les « camarades
», des êtres indifférents, hostiles, et même dangereux. C'est un
mot dont on a beaucoup abusé et dont on abuse encore. Il faudrait
mettre un terme à cet abus. Ce mot ne devrait pas être employé à
tout propos. Parce qu'ils se sont serré la main en se disant :
«
Camarades », des gens croient avoir prouvé leur attachement à la
cause et mis en pratique leurs idées. Il n'en est rien. Nos pires
ennemis se recrutent souvent parmi nos camarades. Ceux-ci,
connaissant nos secrets, car nous nous confions à eux alors qu'ils
oublient de se confier à nous, sont bien placés pour nous trahir.
On se demande d'où viennent les coups qui nous frappent. C'est
souvent un camarade, rencontré la veille, qui vous témoignait de
chaudes marques de sympathie, et que vous n'auriez jamais soupçonné
d'une vilaine action, qui vous a joué ce tour.
Un
peu moins de poignées de mains, et un peu plus de solidarité, ce
serait mieux. Soyons camarades autrement qu'en paroles. Il est
fâcheux d'avoir à se méfier quand un inconnu vous interpelle : «
Camarade ! » Il est souvent préférable d'avoir affaire à un
bourgeois qui vous dit « Monsieur » et vous aborde poliment, qu'à
des camarades qui vous tutoient ; ne se mettant bien avec vous qu'a
fin de mieux vous trahir. Si la méfiance entre camarades est un mal,
la trop grande confiance en est un autre, car il est des camarades
indésirables, qu'on a de justes raisons de redouter. Il faut avoir
assez de flair, de perspicacité, de psychologie pour savoir
discerner les vrais camarades des faux. On voit les camarades à
l’œuvre, quand on est dans la peine ou dans l'embarras : ils vous
lâchent ! Tant qu'on n'a pas besoin de leurs services, ils sont à
vos côtés. Il ne faut pas compter sur eux s'il vous arrive le
moindre ennui. C'est une véritable calamité d'avoir affaire à
certains camarades. Ils s'attachent à vos pas, vous suivent partout,
non par sympathie, mais parce qu'ils ne savent à quoi employer leur
temps. Que font-ils ? On n'en sait rien. On ne l'a jamais su, et on
ne le saura jamais. Vous avez beau leur faire comprendre que vos
instants sont précieux, ils ne vous lâchent pas d'une semelle. Que
veulent-ils ? Quel but poursuivent-ils ? De quoi vivent-ils ? C'est
louche. Il est des camarades qu'il est bon de ne pas fréquenter, ils
sont vraiment compromettants ; ils cherchent à vous attirer dans une
sale affaire, sachant bien qu'ils en sortiront indemnes. Ils se
conduisent comme des policiers (il y a des chances pour qu'ils
fassent partie de cette corporation). Vous marchez : vous êtes pris.
Dès qu'il s'agit de faire un beau geste, il n'y a plus personne. Ces
camarades tarés, qui agissent dans tout ce qu'ils font comme
d'ignobles bourgeois, sont extrêmement dangereux. Pour se tirer
d'embarras, Ils n'hésitent pas à vous dénoncer. Cette «
camaraderie » qui est la raison d'être des groupements
d'avant-garde existe souvent moins dans ces groupements, que, partout
ailleurs. Ce qui est déplorable chez les communistes ou les
individualistes, c'est la méfiance entre camarades. Ils se
surveillent, s'épient. Aucune confiance ne règne parmi eux. Chacun
se cache, dérobe à l'autre sa pensée, ses sentiments, ses moyens
d'existence. On a vu des groupements dont les programmes étaient
généreux, manquer de cette harmonie qu'il préconisaient.
Combattant
toutes les superstitions, exaltant par-dessus tout le beau, le bien
et le vrai, ces « camarades » qu'un idéal élevé aurait dû
rendre meilleurs passaient leur temps à se soupçonner, se jalouser,
se nuire, dissimulant leurs pensée, agissant sournoisement
en-dessous. Triste constatation !
Des
camarades introduisent dans les « milieux » la politique. Ils
prononcent des excommunications alors qu'ils devraient être les
premiers excommuniés. Leur tyrannie est insupportable. Avec eux,
impossible de discuter. Ils n'admettent pas la contradiction. Leur
autoritarisme est sans bornes. Rien ne les distingue plus des
bourgeois. S'il n'y avait pas dans les groupes, ces camarades tarés
à tous les points de vue, ces groupes pourraient faire de la bonne
besogne, tandis qu'il n'en sort que de la mauvaise. Intellectuels ou
manuels, de tels camarades font la pire des besognes, semant la
haine, la calomnie, la jalousie, l'envie, la discorde partout où ils
passent. Il est des camarades insupportables par leur pédantisme.
Ils veulent à tout prix que vous épousiez leurs idées, alors
qu'ils n'en ont pas. Ils ne cessent de vous agacer avec leur pseudo
science, les formules prétentieuses dont ils usent : ils prétendent
tout savoir, et ils ne savent rien. Ils se croient supérieurs, et
dans n'importe quelle circonstance, vous vous apercevez de leur
infériorité intellectuelle et morale. Le pédantisme fait ses
ravages dans les milieux dits avancés autant que dans les autres. On
voit des camarades venir à des causeries, conférences, réunions,
avec l'idée fixe de vous contredire, à propos de n'importe quoi et
avec n'importe quels arguments. Quant à s'instruire, ils n'en ont
cure. Ils sont contents d'être applaudis par leurs copains et
d'avoir pu prouver au « conférencier », en criant et en
gesticulant, qu'ils sont plus forts que lui. Ils viennent avec l'idée
de troubler une réunion, quel que soit le sujet qu'on traite. Ils
vous font des objections qui ne tiennent pas debout. Ils cherchent à
se rendre intéressants par n'importe quels moyens. Ou bien encore,
ils vous salissent ou vous font salir par d'autres camarades dans les
feuilles plus ou moins libertaires. Procédés que les bourgeois
eux-mêmes hésitent souvent à employer. Les chapelles d'admiration
mutuelle sont aussi néfastes que les parlottes de dénigrement
mutuel. Il n'y a dans l'un et l'autre cas aucune camaraderie. La
seule façon de mettre un terme à ces mœurs intolérables provenant
d'une fausse conception de la camaraderie, c'est la réforme de
l'individu. Que les individus bannissent l'envie, la vanité et
l'hypocrisie de leur cœur. Qu'ils s'améliorent, soient plus
tolérants, moins injustes, et la fausse camaraderie aura vécu. Cela
vaudra mieux que des discours, des paroles en l'air et même des
écrits.
La
camaraderie exige des actes
Anciens
camarades. ― Que sont devenus les anciens camarades
dont l'enthousiasme vous réchauffait, avec lesquels vous aviez
combattu à vingt ans ? Un beau jour, on ne les a plus revus. Ils ont
disparu de la circulation. Ils se sont embourgeoisés. La plupart
sont casés. Ils ont épousé une femme riche ou fait fortune. Ils
vous reprochaient votre tiédeur, vous n'étiez jamais assez avancés
pour eux. Vous étiez un « sale bourgeois ». N'empêche que vous
êtes toujours le même, et qu'ils sont autres. Ils sont passés de
l'autre côté de la barricade, dans le camp des repus, des
satisfaits. ― « Oui, disent-ils, j'ai changé. Quand on est un
homme honnête, on doit abandonner ses opinions si on reconnaît que
l'on s'est trompé. J'étais anarchiste je ne le suis plus, voilà
tout. J'estime qu'il faut faire son devoir. On ne vit pas dans les
grèves. On vit en société. J'ai changé, et je m'en trouve bien ».
Il a suffi d'une place, d'un titre, d'un bout de ruban, quelquefois
moins, pour qu'ils évoluent. Ils vendent de la mélasse ou palabrent
dans les salons de l'Élysée. Ils ne parlent plus de tirer sur les
officiers ni de voler le coffre-fort des capitalistes. Ils sont
rangés, rangés, vous dis-je, rangés, rangés jusqu'à leur mort.
C'est que leurs convictions étaient peu solides. Ils n'attendaient
qu'une occasion pour s'en défaire. Mes anciens camarades sont
devenus des bourgeois bien pensants, d'honnêtes commerçants, de
braves militaires, d'excellents fonctionnaires et de parfaits «
maquereaux ». Ce sont de bons pères de famille et de valeureux
patriotes. Ils ont trouvé leur voie. Qu'ils y restent ! Ils sont
devenus ministres, ou sous-ministres. Ils arborent à leur
boutonnière les palmes académiques ou le ruban de la Légion
d'honneur. Vraiment, beaucoup de nos anciens camarades ont mal
tourné. On connaît les « camarades ». On sait ce dont ils sont
capables. Ils ne se préoccupent guère de mettre leurs actes en
harmonie avec leurs théories. Leur camaraderie n'est qu'un bluff.
C'est le plus souvent une exploitation.
N'exagérons
rien cependant. Ne soyons pas pessimistes. Ne décourageons personne.
Soyons justes. Il y a de bons camarades, d'excellents cœurs, qui
répondent : « Présents ! » chaque fois qu'il le faut. Ils sont
rares, ils ne courent pas les rues, mais enfin on en trouve. Ceux là
méritent d'être aimés. Un bon camarade est aussi rare qu'un
véritable ami. Que dis-je, n'est-ce pas le « type » même du
véritable ami ? Un bon camarade vous éclaire sur vos défauts comme
sur vos qualités. Il est le conseiller, le guide, ne cherchant à
imposer ni ses conseils ni sa manière de voir, mais seulement à
vous être utile. Un bon camarade ne vous trahit point. Il agit avec
le plus pur désintéressement. Il est sincère, et loyal. Il vous
regarde en face et vous tend la main sans arrière-pensée. Il ne
vous abandonne jamais aux heures difficiles. Il est là, tout près,
qui vous soutient, moralement et physiquement. Il sait les paroles
qu'il faut prononcer, les actes qu'il faut accomplir, sans bruit,
sans ostentation. Il se donne selon ses moyens, selon ses forces,
mais il se donne entièrement. Le peu qu'il fait, c'est beaucoup. Il
nous défend si on nous attaque. Il partage avec vous son repas, son
lit. Il vous donne tout ce qu'il possède. Nobles cœurs, combien
vous êtes rares ! Connaissons-nous beaucoup de gens qui méritent ce
beau nom : « camarades » ? On hésite vraiment à l'employer avec
certaines brutes. Des camarades qui vous salissent, vous traînent
dans la boue, vous assassinent lâchement par derrière, on en trouve
partout, à chaque instant, mais des camarades loyaux, sincères,
généreux, désintéressés, quand vous en rencontrez un sur votre
route, dites-vous bien que vous avez trouvé un trésor.
Causerie
entre camarades : causerie familière, sur un sujet intéressant,
concernant telle ou telle question d'ordre moral ou politique, et
qui peut contribuer à l'éducation des groupes et des individus.
En
camarade : expression par laquelle une femme : vous fait
comprendre qu'elle se promènera ou déjeunera avec vous, sans
aller plus loin. Certaines femmes veulent bien être votre
camarade, mais non votre maîtresse (il y a une nuance). C'est leur
droit. Elles veulent bien entretenir avec vous des relations
intellectuelles, mais non des relations sexuelles. Ce sont des
relations purement amicales. Ces femmes estiment que l'amitié est
préférable à l'amour, et qu'elle engendre moins de déboires.
Elles peuvent parler librement pendant des heures avec un homme, ―
ou des hommes ― de la question sexuelle, de l'amour libre, du
sexualisme révolutionnaire et autres questions connexes, sans que
cela leur fasse de l'effet. Aucune conversation ne les intimide.
Véritables garçons, du moins sous ce rapport de la chair, et on se
sent tout de suite à l'aise en leur compagnie. Elles consentent à
vous accompagner n'importe où, à partager vos jeux, vos sports, vos
distractions, quant à se donner, elles s'y refusent. La
camarade expire où commence la maîtresse. De telles femmes peuvent
être fort agréables ; cependant, certains hommes trouvent que ce
n'est pas suffisant, ils ne peuvent se contenter de la camaraderie.
Il leur faut davantage.
Camaraderie
amoureuse : On désigne sous ce nom, une conception de l'amour
qui n'a pas cours dans les milieux bourgeois. C'est sous des formes
hypocrites, dissimulées par la légalité que les bourgeois
pratiquent une pseudo-camaraderie amoureuse. La camaraderie amoureuse
consiste en ceci : qu'une femme ne doit pas plus se refuser à
l'homme qui la désire que celui-ci ne doit se dérober à son
invite. Cependant, il faut tenir compte, dans le pluralisme sexuel,
du tempérament et des préférences. Se donner comporte un choix. Il
y a des femmes qui refusent de se donner au premier venu, qui ne se
préoccupe guère si la chose leur agrée ou non. En somme, la
camaraderie amoureuse consiste en ceci : « Nous nous plaisons,
unissons-nous, sans consulter personne ». La camaraderie amoureuse
offre des difficultés pratiques, et elle n'est pas à la portée de
tout le monde. Elle suppose des esprits affranchis, ayant banni de
leur cœur la jalousie, et consentant à ce que leur compagne ― ou
leur compagnon ― dispose de sa personne comme on entend le faire
soi même. L'amour plural est impossible sans réciprocité
consentement
mutuel.
G.
DE LACAZE-DUTHIERS
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