samedi 5 mai 2018

Journal de la Commune


NOUVELLES ÉTRANGÈRES


ALLEMAGNE


L’Allemagne du Nord envisage sous un point de vue assez hostile à la France les événements de Paris. Dans la partie sud, au contraire, et surtout en Autriche, la presse émet des considérations d’un tout autre ordre.
Voici ce que dit le Tages Presse, de Vienne :
« Depuis le siècle passé, Paris a vu plusieurs révolutions dans le sens démocratique. Mais le parti ultramontain et rétrograde s’est toujours hâté de fausser le résultat de ces révolutions, et tandis que Paris ne pouvait recueillir les fruits mûrs de ses efforts, les départements l’entraînaient dans le tourbillon de la réaction.
« A Paris, l’honneur d’avoir pris de grandes initiatives ; à la province, et notamment à la population des campagnes, la honte de les avoir déjouées. Il semble que Paris veuille donner aujourd’hui l’impulsion au système fédératif en France, afin de garantir à jamais l’existence de la république. Il est incontestable que l’élément socialiste prend une part active à ce mouvement de Paris. Mais il paraît que les « ultras » de ce parti n’osent pas encore formuler leurs prétentions, et cela nous paraît être un symptôme aussi important que rassurant.
« Il existe un socialisme extravagant, condamnable et dangereux au point qu’une discussion sur ce sujet est impossible entre hommes sérieux. Mais il y a une foule de questions sociales et humanitaires non encore résolues ; ces questions doivent trouver tôt pou tard leur solution, si l’on ne veut pas qu’un déluge de sang se répande sur toute l’Europe. Enseignement universel, obligatoire et gratuit, séparation de l’Eglise et de l’Etat, abolition des impôts indirects et des monopoles ; impôts progressifs, développement des sociétés d’assurances et des établissements humanitaires, garantie d’un salaire minimum, surtout dans les temps de disette, réduction des dépenses publiques des pays fortement peuplés, enfin un projet rationnel et pratique pour un asile destiné aux invalides du travail : voilà des voeux qu’il ne faut pas, de prime abord, condamner comme des utopies, des voeux qui ne vont pas à l’encontre de l’expérience et de la science, et qui, pour la plupart, ont été chaleureusement recommandés par des esprits éminents, comme Stuart Mill et autres. Jusqu’ici, rien n’a encore été fait pour remplir les conditions d’un programme réellement social et humanitaire, et il semble que Paris ne veuille pas permettre cette fois-ci, comme après les autres révolutions, qu’on déchire sans autre préambule ce programme. »
Le discours du trône, à l’ouverture du premier Parlement germanique, a produit une grande déception en Bavière. Les espérances sont refroidies, et l’on n’aperçoit plus à l’horizon que des brouillards humides. Et pourtant, comme le fit très bien un journal qui ne pousse jamais les choses bien loin ; le Morgen Post, le peuple a fait son devoir jusqu’au bout, il a payé ses victoires de son sang le plus pur. L’empereur Guillaume est resté débiteur du peuple, et il lui doit un équivalent des actions de grâce qu’il a rendues avec tant d’effusion à Dieu et à l’armée. En comparant ce discours à celui qui inaugura le premier Parlement de la Confédération du Nord, on y constate que la note libérale a singulièrement baissé, tandis que la note piétiste y est accentuée de la manière la plus large.
« L’unité allemande, ajoute le Morgen Post, est une idée populaire, mais à la condition que la liberté y soit comprise. Si l’on ne réussit pas à marier la liberté avec l’unité, l’empire germanique ne durera pas longtemps. »
Toute la presse libérale manifeste les mêmes appréhensions. Mais quand on considère la puissance immense que vient de conquérir le militarisme, l’écrasement autorité qu’il a aujourd’hui, les ressources de toute nature dont il dispose, on ne peut s’empêcher de trouver bien naïfs ces libéraux nationaux qui ont poussé à l’unité, dans l’espérance qu’elle tournerait à leur profit.
L’unité allemande sera, ce qu’elle annonce devoir être, une unité autoritaire, despotique, et l’empire durera autant que la force de l’armée. La liberté allemande est bel et bien enterrée.
La France a besoin d’une revanche ; elle n’a qu’à laisser faire l’Allemagne.
Les déceptions et les actes de contribution amère que l’on peut prévoir déjà la vengeront suffisamment du mal qui lui a été fait.

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