Les
Cartels sont doués d’une formidable vitalité. Ils dépensent une
énergie considérable pour maintenir socialement leur suprématie.
En dehors des guerres qu’ils provoquent pour acquérir soit des
débouchés, soit des champs d’exploitation plus vastes, dont nous
avons déjà exposé le caractère en traitant du Brigandage , les
Cartels ont organisé un appareil de combat social extrêmement
souple et puissant opérant à l’échelle internationale. Son siège
est actuellement à Berlin. Non seulement cet organisme fixe les prix
d’achat et de vente des matières et produits, contingente les
marchandises, série les efforts en vue de les faire porter sur tel
ou tel point du globe, mais encore il détermine la valeur des
salaires, organise l’émigration et l’immigration, jette ici une
quantité de bras énorme pour provoquer une grève dont l’importance
varie de la localité à la région ou la nation, provoque là le
chômage et pousse à la surproduction ou au malthusianisme suivant
le cas et ses intérêts.
Il
n’est pas un conflit social qui ne soit provoqué par cet appareil
de direction capitaliste, que ce soit grève ou lock-out.
Généralement,
le Cartel opère par industrie et par région. Lorsqu’il veut, par
exemple, provoquer un conflit dans le Nord, abaisser les salaires, il
réduit le prix de série du travail aux pièces imposé presque
partout. Il arrive un moment où les ouvriers ne peuvent plus
atteindre le salaire normal. Si un mouvement a lieu, le patronat, qui
a constitué un stock peut attendre 25 jours, 3 semaines, davantage
si c’est nécessaire. Il vit sur ce stock ou bien même fait
exécuter dans une autre région les commandes qu’il reçoit.
Il
fatigue et vainc ainsi, tour à tour, toutes let régions, toutes les
industries. Il réussit d’autant plus facilement que les ouvriers
ignorent généralement la composition du Cartel, ne savent pas
qu’ils contribuent à l’échec de leurs camarades en effectuant
leur travail, qu’ils luttent contre leurs frères des autres
régions.
L’insuffisance
actuelle de l’organisation du mouvement mondial ne permet pas aux
ouvriers de lutter contre leurs adversaires à armes égales.
Non
seulement, les industriels agissent ainsi sur le terrain national,
mais cette entente se poursuit et se développe sur le plan
international. Si le Cartel a décidé d’englober tout un pays dans
un mouvement de lock-out ou de grève, il a soin, en dehors des
stocks nationaux préalablement constitués, de mettre à la
disposition des industries du pays visé des stocks étrangers qui
alimentent la clientèle.
Les
mineurs, en particulier, sont souvent victimes de cette tactique et
le textile, la laine, la métallurgie, en ont eux aussi, fait très
souvent la triste et décevante expérience.
Il
en sera ainsi tant que la classe ouvrière n’aura pas modifié la
structure de son organisme de lutte, tant qu’elle n’aura pas
adapté ses organes par l’instauration du contrôle ouvrier
syndical, tant que ses Fédérations d’industrie seront dans
l’incapacité de connaître les composants des Cartels et d’opposer
force à force.
Lorsque
nous examinerons le Contrôle ouvrier, nous exposerons le caractère,
le fonctionnement et le but de tous ces organes qui manquent au
syndicalisme et sont devenus nécessaires pour lui permettre de
résister d’abord et de vaincre ensuite son adversaire.
Au
Cartel industriel des Patrons, il faut opposer le Cartel des Ouvriers
par industrie et sous industrie, utilisant des formations de lutte
analogues, se mouvant avec une force et une aisance égales. C’est
toute une organisation nouvelle qui s’impose, non plus sur le plan
du métier, de la profession, mais sur celui de l’industrie.
L’idéal
serait de former des syndicats qui auraient sur notre plan le même
caractère que le Konzern Stinnes, un syndicat qui grouperait les
extracteurs, les transformateurs, les transporteurs, les vendeurs
d’un même produit fini. C’est dans cette voie que les ouvriers
doivent diriger leurs efforts. Ce n’est qu’en opérant ainsi
qu’ils possèderont quelques chances de rétablir un équilibre que
leur incompréhension, leur évolution trop lente, voire même leur
conservatisme, ont singulièrement compromis.
Pierre
Besnard.
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