lundi 21 mai 2018

Griffuelhes Victor 1874-1922 "L'action syndicaliste"




Extraits : Conférence organisée, le 29 juillet 1904, par la Jeunesse
Syndicaliste de Paris.

« A mon sens,le mouvement ouvrier actuel ne remonte à aucune de ces sources. Il ne se rattache directement à aucune des deux conceptions qui voudraient se le disputer : il est le résultat d'une longue pratique créée bien plus par les événements que par tels ou tels hommes.
Et cette pratique est loin d'avoir eu une marche régulière : les incohérences la caractérisent, les contradictions la jalonnent. Et il en est ainsi, parce qu'elle n'est pas le produit d'une action exercée en vertu seulement de principes, mais d'une vie chaque jour renouvelée et modifiée. »

«L'action ouvrière est comme la terre tournant autour du soleil. La gravitation s'opère par suite d'un mouvement que la terre fait sur elle-même c'est dans le mouvement quotidien que l'action ouvrière se développe et marque ses progrès. Ces progrès ne sont par conséquent pas, à mes yeux, l'expression d'une science ou d'une formule, mais la résultante d'efforts continus. 
La grosse difficulté pour un mouvement ainsi compris est de créer une vie syndicale profonde. Et cette création ne se réalise pas en essayant de ramener les événements et les faits à une théorie donnée, mais au contraire en s'efforçant de les diriger pour les orienter vers des fins brièvement énoncées.»

«Les phases traversées par la pratique ouvrière peuvent se ramener à trois. Ces trois périodes ont été caractérisées par des réactions contre des tentatives ou des expériences diverses.
La première va de 1873 à 1886 (ces dates n'ont évidemment pour moi qu'un caractère indicatif). Les syndicats créés au lendemain de la Commune sont imprégnés de l'esprit corporativiste et mutualiste. Et dans les premiers Congrès ouvriers, l'esprit socialiste, je ne dis pas politique et l'esprit corporativiste sont aux prises. Le triomphe reste au premier. La suprématie, appartient au parti politique, dont les divisions arrêtent vite le développement des syndicats. Ceux-ci deviennent les vassaux des différentes fractions socialistes, qui attachent à l'action syndicale une importance fort variable. Les guesdistes veulent faire des syndicats des Comités électoraux chargés de fournir au parti ses effectifs en hommes et en argent; ils se constituent leurs directeurs de conscience. En opposition, les possibilistes, qui vont se diviser à leur tour, laissent aux syndicats une certaine autonomie. Par la, suite, les allemanistes attacheront plus d'importance à l'action syndicale qu'à l'action politique, et par leurs efforts prépareront le terrain au syndicalisme. »

« Il y a dix, huit, six ans, il m'eût été absolument impossible de les écrire avec la faible précision qu'ils contiennent. Ouvrier j'étais, ayant puisé dans une existence souvent fort difficile, dans des privations multiples, le désir d'y mettre fin; salarié j'étais, ayant à subir l'exploitation du patron, et souhaitant ardemment d'y échapper. Mais ces désirs et ces souhaits ne pouvaient se concrétiser en une action continue qu'avec le concours des autres hommes astreints au même sort que moi. Et j'ai été au syndicat, pour y lutter contre le patronat, instrument direct de mon asservissement, et contre l’État, défenseur naturel, parce que bénéficiaire, du patronat. C'est au syndicat que j'ai puisé toute ma force d'action et c'est là que mes idées ont commencé à se préciser. »

«  II. Les deux méthodes lutte ou conciliation ?

L'ouvrier veut naturellement acquérir un mieux-être. Mais, pour y parvenir, il lui faut se grouper, afin d'obtenir de son patron les satisfactions nécessaires. Et, comme ce dernier ne les lui donnera pas de bon gré, l'ouvrier est contraint de lutter. Cette lutte de l'ouvrier doit donc s'exercer contre le patron elle doit, en augmentant la puissance du travailleur, tendre à diminuer le privilège du patron. Il y a là deux adversaires irréductibles en présence, qui doivent se combattre jusqu'au moment où les chocs successifs auront fait disparaître les causes de la lutte l'exploitation et l'asservissement des travailleurs. »

«Pour nous, syndicalistes révolutionnaires, la lutte repose, non sur des sentiments, mais sur des intérêts et des besoins. Telle est la conception qui nous guide dans notre mouvement.Nous nous séparons de ceux qui, comme les syndicalistes réformistes, veulent combiner les efforts ouvriers et les efforts patronaux pour assurer des avantages communs, lesquels ne peuvent s'obtenir que sur le dos du consommateur, et par conséquent sur le dos de l'ouvrier, celui-ci étant' consommateur. En notre milieu social actuel, l'ouvrier produit parce qu'il lui faut consommer,c'est-à-dire que, pour être à même de calmer sa faim et de parer à ses premiers appétits, le travailleur est obligé de produire. La question ouvrière est posée par nous, syndicalistes révolutionnaires, de la façon suivante lutter contre le patronat pour obtenir de lui, et à son désavantage, toujours plus d'améliorations, en nous acheminant vers la suppression de l'exploitation. Pour les camarades syndicalistes réformistes, avec lesquels nous sommes en opposition, la même question ouvrière se pose comme suit se grouper pour établir une entente avec le patronat, ayant pour but de lui démontrer la nécessité d'accorder quelques satisfactions,n'entamant en rien le privilège patronal. Cette dernière façon de procéder nous amène loin du but que nous nous assignons. »


« En dehors du patronat et contre lui, en dehors du gouvernement et contre lui, le mouvement syndical doit librement se développer et agir. »

« Les conflits devenant plus nombreux et se produisant en dehors de toute considération patronale et gouvernementale, parce qu'ils sont des produits naturels, ont fait naître un tas de projets, qui, sous une apparence libérale, sont inutiles ou dangereux. On voudrait, pour diminuer le nombre des conflits ou pour en atténuer le caractère, instituer toute une réglementation compliquée et d'un maniement difficile. Avec elle, les grèves régularisées, d'un mécanisme lent, perdraient de leur acuité d'abord, pour disparaître ensuite. On espère parvenir à tirer d'un. organisme social plein d'irrégularités, d'incohérences et de chocs, des manifestations se déroulant selon un cadre défini et étroit. On a l'illusion de vouloir modeler les faits qui meurtrissent l'ouvrier, en réduire les effets, en les faisant passer travers des formalités procédurières, pour les rendre supportables au travailleur, au grand bénéfice de la « paix sociale ».

« C'est par la force que la bourgeoisie impose ses volontés et ses caprices, c'est par la force qu'elle maintient son exploitation, Le monde social repose uniquement sur la force, il vit de la force et il porte la force en lui-même. Il lui faut par conséquent créer la force et obliger ceux qu'il assujettit à utiliser la force. L'autorité patronale est faite de violence, et seule la force peut la supprimer. Et cela, non pas parce que la force peut plaire, mais parce qu'elle est imposée par les conditions qui président à la lutte ouvrière. »

« Cette conception n'est pas seulement la nôtre d'autres la partagent. Lagardelle écrivait dans Pages libres, en 1902 :

« Le socialisme d'État tend, au contraire, à étendre le domaine des institutions administratives existantes, à développer le champ d'action des rouages mômes de la société présente,et non à lui substituer des organismes nouveaux, de formation purement ouvrière.
De ce point de vue, le ministérialisme fausse l'esprit des masses. Il déplace le centre de gravité de leur action il enlève au prolétariat toute confiance en lui-même, lui fait tout espérer de l'action providentielle de l'État, et l'intéresse seulement 'au maintien ou au renversement du personnel gouvernemental. Autant le socialisme révolutionnaire est une doctrine de combat et d'énergie, n'attendant rien que des efforts conscients du prolétariat lui-même, autant le socialisme d'État est un principe de lassitude et de faiblesse, espérant réaliser par l'intervention extérieure du pouvoir ce que l'action personnelle ne peut atteindre. Le premier doit se développer dans les pays à large et pleine vie industrielle, le second est le produit de nations en décadence économique, de peuples anémiés et vieillis.
Le mot d'ordre de tous les socialistes soucieux de maintenir intangible la vertu révolutionnaire des institutions autonomes du prolétariat contre les débordements du socialisme d'État, c'est encore la vieille parole de l'Internationale: « L'émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »

« C'est ce besoin d'autonomie et d'indépendance qui nous fait repousser toutes les institutions que les gouvernements ont créées, parce qu'elles ont un but suspect. Ces institutions déplacent notre action en la mettant sous la tutelle du pouvoir. Avec elles, l'organisation ouvrière deviendrait un organisme de l'État, tandis que nous voulons créer en face de l'État bourgeois une organisation appelée à lutter contre lui et contre les forces qu'il représente. »

«VII. Conclusion
L'action ouvrière pour nous n'est donc qu'une manifestation continue de nos efforts. Nous disons que la lutte doit être de tous les jours et que son exercice appartient aux intéressés. Il y a, par conséquent, à nos yeux, une pratique journalière, qui va chaque jour grandissant, jusqu'au moment où, parvenue à un degré de puissance supérieur, elle se transformera en une conflagration que nous dénommons grève générale, et qui sera la révolution sociale. »



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