« «
Pas d’intermédiaires, pas de représentants qui finissent toujours
par ne représenter
qu’eux-mêmes
! Pas de modérateurs de l’égalité, pas davantage de modérateurs
de la liberté ! Pas de nouveau gouvernement, pas de nouvel État,
dut-il se dire populaire ou
démocrate,
révolutionnaire ou provisoire. »
Anarchie
et Communisme
Au
congrès tenu à Paris par la région du Centre, un orateur, qui
s’est distingué par son acharnement contre les anarchistes, disait
: Communisme et anarchie hurlent de se trouver ensemble.
Un
autre orateur qui parlait aussi contre les anarchistes, mais avec
moins de violence, s’est écrié, en parlant d’égalité
économique : Comment la liberté peut-elle être violée, lorsque
l’égalité existe ?
Eh
bien ! je pense que les deux orateurs avaient tort.
On
peut parfaitement avoir l’égalité économique, sans avoir la
moindre liberté. Certaines communautés religieuses en sont une
preuve vivante, puisque la plus complète égalité y existe en même
temps que le despotisme. La complète égalité, car le chef
s’habille du même drap et mange à la même table que les autres ;
il ne se distingue d’eux que par le droit de commander qu’il
possède. Et les partisans de "l’État populaire" ? S’ils
ne rencontraient pas d’obstacles de toute sorte, je suis sûr
qu’ils finiraient par réaliser la parfaite égalité, mais, en
même temps aussi le plus parfait despotisme, car, ne l’oublions
pas, le despotisme de l’État actuel augmenterait du despotisme
économique de tous les capitaux qui passeraient aux mains de l’État,
et le tout serait multiplié par toute la centralisation nécessaire
à ce nouvel État. Et c’est pour cela que nous, les anarchistes,
amis de la liberté, nous nous proposons de les combattre à
outrance.
Ainsi,
contrairement à ce qui a été dit, on a parfaitement raison de
craindre pour la liberté, lors même que l’égalité existe ;
tandis qu’il ne peut y avoir aucune crainte pour l’égalité là
où existe la vraie liberté, c’est-à-dire l’anarchie.
Enfin,
anarchie et communisme, loin de hurler de se trouver ensemble,
hurleraient de ne pas se trouver ensemble, car ces deux termes,
synonymes de liberté et d’égalité, sont les deux termes
nécessaires et indivisibles de la révolution.
Notre
idéal révolutionnaire est très simple, on le voit : il se compose,
comme celui de tous nos devanciers, de ces deux termes : liberté et
égalité. Seulement il y a une petite différence.
Instruits
par les escamotages que les réactionnaires de toute sorte et de tout
temps ont faits de la liberté et de l’égalité, nous nous sommes
avisés de mettre, à côté de ces deux termes, l’expression de
leur valeur exacte. Ces deux monnaies précieuses ont été si
souvent falsifiées, que nous tenons enfin à en connaître et à en
mesurer la valeur exacte.
Nous
plaçons donc, à côté de ces deux termes : liberté et égalité,
deux équivalents dont la signification nette ne peut pas prêter à
l’équivoque, et nous disons : "Nous voulons la liberté,
c’est-à-dire l’anarchie, et l’égalité, c’est-à-dire le
communisme."
Anarchie,
aujourd’hui, c’est l’attaque, c’est la guerre à toute
autorité, à tout pouvoir, à tout État. Dans la société future,
l’anarchie sera la défense, l’empêchement apporté au
rétablissement de toute autorité, de tout pouvoir, de tout État :
pleine
et entière liberté de l’individu qui, librement et poussé
seulement par ses besoins, par ses goûts et ses sympathies, se
réunit à d’autres individus dans le groupe ou dans l’association
; libre développement de l’association qui se fédère avec
d’autres dans la commune ou dans le quartier ; libre développement
des communes qui se fédèrent dans la région – et ainsi de suite
: les régions dans la nation ; les nations dans l’humanité.
Le
communisme, la question qui nous occupe plus spécialement
aujourd’hui, est le second point de notre idéal révolutionnaire.
Le
communisme actuellement, c’est encore l’attaque ; ce n’est pas
la destruction de l’autorité, mais c’est la prise de possession,
au nom de toute l’humanité, de toute la richesse existant sur le
globe. Dans la société future, le communisme sera la jouissance de
toute la richesse existante, par tous les hommes et selon le principe
: De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins,
c’est-à-dire : De chacun et à chacun suivant sa volonté.
Il
faut remarquer, – et ceci répond surtout à nos adversaires, les
communistes autoritaires ou étatistes – que la prise de possession
et la jouissance de toute la richesse existante doivent être, selon
nous, le fait du peuple lui-même. Le peuple, l’humanité, n’étant
pas des individus capables de saisir la richesse et la tenir dans
leurs deux mains, on a voulu en conclure, il est vrai, qu’il faut,
pour cette raison, instituer toute une classe de dirigeants, de
représentants et de dépositaires de la richesse commune. Mais nous
ne partageons pas cet avis. Pas d’intermédiaires, pas de
représentants qui finissent toujours par ne représenter
qu’eux-mêmes ! Pas de modérateurs de l’égalité, pas davantage
de modérateurs de la liberté ! Pas de nouveau gouvernement, pas de
nouvel État, dut-il se dire populaire ou démocrate, révolutionnaire
ou provisoire.
La
richesse commune étant disséminée sur toute la terre, tout en
appartenant de droit à l’humanité entière, ceux donc qui se
trouvent à la portée de cette richesse et en mesure de l’utiliser
l’utiliseront en commun. Les gens de tel pays utiliseront la terre,
les machines, les ateliers, les maisons, etc., du pays et ils s’en
serviront tous en commun. Partie de l’humanité, ils exerceront
ici, de fait et directement, leur droit sur une part de la richesse
humaine. Mais si un habitant de Pékin venait dans ce pays, il se
trouverait avoir les mêmes droits que les autres ; il jouirait en
commun avec les autres de toute la richesse du pays, de la même
façon qu’il l’eût fait à Pékin.
Il
s’est donc bien trompé, cet orateur qui a dénoncé les
anarchistes comme voulant constituer la propriété des corporations.
La belle affaire que l’on ferait, si l’on détruisait l’État
pour le remplacer par une multitude de petits États ! Tuer le
monstre à une tête pour entretenir le monstre à mille têtes !
Non
; nous l’avons dit, et nous ne cesserons de le répéter : point
d’entremetteurs, point de courtiers et d’obligeants serviteurs
qui finissent toujours par devenir les vrais maîtres : nous voulons
que toute la richesse existante soit prise directement par le peuple
lui-même, qu’elle soit gardée par ses mains puissantes, et qu’il
décide lui-même de la meilleure manière d’en jouir, soit pour la
production, soit pour la consommation.
Mais
on nous demande : le communisme est-il applicable ? Aurions-nous
assez de produits pour laisser à chacun le droit d’en prendre à
sa volonté, sans réclamer des individus plus de travail qu’ils ne
voudront en donner ?
Nous
répondons : Oui. Certainement, on pourra appliquer ce principe : De
chacun et à chacun suivant sa volonté, parce que, dans la société
future, la production sera si abondante qu’il n’y aura nul besoin
de limiter la consommation, ni de réclamer des hommes plus d’ouvrage
qu’ils ne pourront ou ne voudront en donner.
Cette
immense augmentation de production, dont on ne saurait même
aujourd’hui se faire une juste idée, peut se deviner par l’examen
des causes qui la provoqueront. Ces causes peuvent se réduire à
trois principales :
1.
L’harmonie de la coopération dans les diverses branches de
l’activité humaine, substituée à la lutte actuelle qui se
traduit dans la concurrence ;
2.
L’introduction sur une immense échelle des machines de toutes
sortes ; L’économie considérable des forces du travail, des
instruments de travail et des matières premières, réalisée par la
suppression de la production nuisible ou inutile.
La
concurrence, la lutte est un des principes fondamentaux de la
production capitaliste, qui a pour devise : Mors tua vita mea, ta
mort est ma vie. La ruine de l’un fait la fortune de l’autre. Et
cette lutte acharnée se fait de nation à nation, de région à
région, d’individu à individu, entre travailleurs aussi bien
qu’entre capitalistes.
C’est
une guerre au couteau, un combat sous toutes les formes : corps à
corps, par bandes, par escouades, par régiments, par corps d’armée.
Un ouvrier trouve de l’ouvrage où un autre en perd ; une industrie
ou plusieurs industries prospèrent, lorsque telles ou telles
industries périclitent.
Eh
bien ! imaginez-vous lorsque, dans la société future, ce principe
individualiste de la production capitaliste, chacun pour soi et
contre tous, et tous contre chacun, sera remplacé par le vrai
principe de la sociabilité humaine : chacun pour tous et tous pour
chacun – quel immense changement n’obtiendra-t-on pas dans les
résultats de la production ? Imaginez-vous quelle sera
l’augmentation de la production, lorsque chaque homme, loin d’avoir
à lutter contre tous les autres, sera aidé par eux, quand il les
aura, non plus comme ennemis, mais comme coopérateurs. Si le travail
collectif de dix hommes atteint des résultats absolument impossibles
pour un homme isolé, combien grands seront les résultats obtenus
par la grande coopération de tous les hommes qui, aujourd’hui,
travaillent hostilement les uns contre les autres ?
Et
les machines ? L’apparition de ces puissants auxiliaires du
travail, si grande qu’elle nous paraisse aujourd’hui, n’est que
très minime en comparaison de ce qu’elle sera dans la société à
venir.
La
machine a contre elle, aujourd’hui, souvent l’ignorance du
capitaliste, mais plus souvent encore son intérêt. Combien de
machines restent inappliquées uniquement parce quelles ne rapportent
pas un bénéfice immédiat au capitaliste ?
Est-ce
qu’une compagnie houillère, par exemple, ira se mettre en frais
pour sauvegarder les intérêts des ouvriers et construira de coûteux
appareils pour descendre les mineurs dans les puits ? Est-ce que la
municipalité introduira une machine pour casser les pierres, lorsque
ce travail lui fournit le moyen de faire à bon
marché
de l’aumône aux affamés ? Que de découvertes, que d’applications
de la science restent lettre morte, uniquement parce qu’elles ne
rapporteraient pas assez au capitaliste !
Le
travailleur lui-même est aujourd’hui l’ennemi des machines, et
ceci avec raison, puisqu’elles sont vis-à-vis de lui le monstre
qui vient le chasser de l’usine, l’affamer, le dégrader, le
torturer, l’écraser. Et quel immense intérêt il aura, au
contraire, à en augmenter le nombre lorsqu’il ne sera plus au
service des machines ; au contraire, elles-mêmes seront à son
service, l’aidant et travaillant pour son bien-être !
Enfin,
il faut tenir compte de l’immense économie qui sera faite sur les
trois éléments du travail : la force, les instruments et la
matière, qui sont horriblement gaspillés aujourd’hui, puisqu’on
les emploie à la production de choses absolument inutiles, quand
elles ne sont pas nuisibles à l’humanité.
Combien
de travailleurs, combien de matières et combien d’instruments de
travail ne sont-ils pas employés aujourd’hui par l’armée de
terre et de mer, pour construire les navires, les forteresses, les
canons et tous ces arsenaux d’armes offensives et défensives !
Combien de ces forces sont usées à produire des objets de luxe qui
ne servent qu’à satisfaire des besoins de vanité et de corruption
!
Et
lorsque toute cette force, toutes ces matières, tous ces instruments
de travail seront employés à l’industrie, à la production
d’objets qui eux-mêmes serviront à produire, quelle prodigieuse
augmentation de la production ne verrons-nous pas surgir !
Oui,
le communisme est applicable ! On pourra bien laisser à chacun
prendre à volonté ce dont il aura besoin, puisqu’il y en aura
assez pour tous. On n’aura plus besoin de demander plus de travail
que chacun n’en voudra donner, parce qu’il y aura toujours assez
de produits pour le lendemain.
Et
c’est grâce à cette abondance que le travail perdra le caractère
ignoble de l’asservissement, en lui laissant seulement le charme
d’un besoin moral et physique, comme celui d’étudier, de vivre
avec la nature.
Ce
n’est pas tout d’affirmer que le communisme est chose possible
nous pouvons affirmer qu’il est nécessaire. Non seulement on peut
être communiste ; il faut l’être sous peine de manquer le but de
la révolution.
En
effet, après la mise en commun des instruments de travail et des
matières premières, si nous conservions l’appropriation
individuelle des produits du travail, nous nous trouverions forcés
de conserver la monnaie, partant une accumulation de richesses plus
ou moins grande, selon plus ou moins de mérite, ou plutôt d’adresse
des individus. L’égalité aurait ainsi disparu, puisque celui qui
parviendrait à posséder plus de richesses se serait déjà élevé
par cela même au dessus du niveau des autres Il ne resterait plus
qu’un pas à faire pour que les contre-révolutionnaires
établissent le droit d’héritage. Et, en effet, j’ai entendu un
socialiste de renom, soi-disant révolutionnaire, qui soutenait
l’attribution individuelle des produits, finir par déclarer qu’il
ne verrait pas d’inconvénients à ce que la société admît la
transmission de ces produits en héritage : la chose selon lui, ne
porterait pas à conséquence. Pour nous qui connaissons de près les
résultats auxquels la société en est arrivée avec cette
accumulation des richesses et leur transmission par héritage, il ne
peut pas y avoir de doute à ce sujet.
Mais
l’attribution individuelle des produits rétablirait non seulement
l’inégalité parmi les hommes, elle rétablirait encore
l’inégalité entre les différents genres de travail. Nous
verrions reparaître immédiatement le travail "propre" et
le travail "malpropre", le travail "noble" et le
travail "ignoble" : le premier serait fait par les plus
riches, le second serait l’attribution des plus pauvres. Alors ce
ne serait plus la vocation et le goût personnel qui détermineraient
l’homme à s’adonner à tel genre d’activité plutôt qu’à
un autre : ce serait l’intérêt, l’espoir de gagner davantage
dans telle profession. Ainsi renaîtraient la paresse et la
diligence, le mérite et le démérite, le bien et le mal, le vice et
la vertu, et, par conséquent, la "récompense", d’un
côté, et la "punition", de l’autre, la loi, le juge, le
sbire et la prison.
Il
y a des socialistes qui persistent à soutenir cette idée de
l’attribution individuelle des produits du travail en faisant
valoir le sentiment de la justice. Etrange illusion ! Avec le travail
collectif, que nous impose la nécessité de produire en grand et
d’appliquer sur une large échelle les machines, avec cette
tendance, toujours plus grande, du travail moderne à se servir du
travail des générations précédentes, - comment pourra déterminer
ce qui est la part du produit de l’un et la part du produit d’un
autre ? C’est absolument impossible, et nos adversaires le
reconnaissent si bien eux-mêmes, qu’ils finissent par dire : "Eh
bien ! nous prendrons pour base de la répartition l’heure de
travail" ; mais, en même temps, ils admettent eux-mêmes que ce
serait injuste, puisque trois heures du travail de Pierre peuvent
souvent valoir cinq heures du travail de Paul.
Autrefois
nous nous disions "collectivistes", puisque c’était le
mot qui nous distinguait des individualistes et des communistes
autoritaires ; mais, au fond, nous étions tout bonnement communistes
anti-autoritaires, et en nous disant "collectivistes", nous
pensions exprimer par ce nom notre idée que tout doit être mis en
commun, sans faire de différence entre les instruments et matières
de travail et les produits du travail collectif.
Mais,
un beau jour, nous avons vu surgir encore une nouvelle nuance de
socialistes qui, ressuscitant les errements du passé, se mirent à
philosopher, à distinguer, à différencier sur cette question, et
qui finirent par se faire les apôtres de la thèse suivante :
"Il
existe – disent-ils – des valeurs d’usage et des valeurs de
production. Les valeurs d’usage sont celles que nous employons à
satisfaire nos besoins personnels : c’est la maison que nous
habitons, les vivres que nous consommons, les vêtements, les livres,
etc., tandis que les valeurs de production sont celles dont nous nous
servons pour produire : c’est l’atelier, les hangars, l’étable,
les magasins, les machines et les instruments de travail de toute
sorte, le sol, matières de travail, etc. Les premières valeurs qui
servent à satisfaire les besoins de l’individu – disent-ils –
doivent être d’attribution individuelle, tandis que les secondes,
celles qui servent à tous pour produire, doivent être d’attribution
collective."
Telle
fut la nouvelle théorie économique trouvée, ou plutôt renouvelée
pour le besoin.
Mais
je vous demande, à vous qui donnez l’aimable titre de valeur de
production au charbon qui sert à alimenter la machine, à l’huile
servant pour la graisser, à l’huile qui éclaire sa marche –
pourquoi le refuserez-vous au pain et, à la viande dont je me
nourris, à l’huile dont j’assaisonne ma salade, au gaz qui
éclaire mon travail, à tout ce qui sert à faire vivre et marcher
la plus parfaite de toutes les machines, le père de toutes les
machines : l’homme ? Vous classez dans les valeurs de production la
prairie et l’étable qui sert à abriter les boeufs et les chevaux
et vous voulez en exclure les maisons et les jardins qui servent au
plus noble de tous les animaux : l’homme ? Où est donc votre
logique ?
D’ailleurs,
vous-mêmes qui vous faites les apôtres de cette théorie, vous
savez parfaitement que cette démarcation n’existe pas en réalité,
et que, s’il est difficile de la tracer aujourd’hui, elle
disparaîtra complètement le jour où tous seront producteurs
en
même temps que consommateurs.
Ce
n’est donc pas cette théorie, on le voit, qui aurait pu donner une
force nouvelle aux partisans de l’attribution individuelle des
produits du travail. Cette théorie n’a obtenu qu’un seul
résultat : celui de démasquer le jeu de ces quelques socialistes
qui voulaient atténuer la portée de l’idée révolutionnaire ;
elle nous a ouvert les yeux et nous a montré la nécessité de nous
déclarer tout carrément communistes.
Mais
enfin abordons la seule et unique objection sérieuse que nos
adversaires aient avancée contre le communisme.
Tous
sont d’accord que nous allons nécessairement vers le communisme,
mais on nous observe qu’au commencement, les produits n’étant
pas assez abondants, il faudra établir le rationnement, le partage,
et que le meilleur partage des produits du travail serait celui basé
sur la quantité du travail que chacun aura faite.
A
ceci nous répondons que, dans la société future, lors même que
l’on serait obligé de faire le rationnement, on devrait rester
communistes : c’est-à-dire le rationnement devrait se faire, non
pas selon les mérites, mais selon les besoins. Prenons la famille,
ce modèle du petit communisme (d’un communisme autoritaire plutôt
qu’anarchiste, il est vrai, ce qui, d’ailleurs, dans notre
exemple, ne change rien).
Dans
la famille, le père apporte, supposons cent sous par jour, l’aîné
trois francs, un garçon plus jeune, quarante sous, et le gamin
seulement vingt sous par jour. Tous apportent l’argent à la mère
qui tient la caisse et qui leur donne à manger. Tous apportent
inégalement, mais au dîner chacun se sert à sa guise et selon son
appétit ; il n’y a pas de rationnement. Mais viennent les mauvais
jours, et la dèche force la mère à ne plus s’en remettre à
l’appétit et au goût de chacun pour la distribution du dîner. Il
faut faire un rationnement et, soit par l’initiative de la mère,
soit par convention tacite de tous, les portions sont réduites. Mais
voyez, cette répartition ne se fait pas suivant les mérites, car
c’est le plus jeune garçon et le gamin surtout qui reçoivent la
plus grosse part, et quant au morceau choisi, il est réservé pour
la vieille qui ne rapporte rien du tout. Même pendant la disette, on
applique dans la famille ce principe de rationnement selon les
besoins. En serait-il autrement dans la grande famille humaine de
l’avenir ? Il est évident qu’il y aurait à dire davantage sur
ce sujet, si je ne le traitais pas devant des anarchistes.
On
ne peut pas être anarchiste sans être communiste. En effet, la
moindre idée de limitation contient déjà en elle-même les germes
d’autoritarisme. Elle ne pourrait pas se manifester sans engendrer
immédiatement la loi, le juge, le gendarme. Nous devons être
communistes, car c’est dans le communisme que nous réaliserons la
vraie égalité. Nous devons être communistes, parce que le peuple,
qui ne comprend pas les sophismes collectivistes, comprend
parfaitement le communisme comme les amis Reclus et Kropotkine l’ont
déjà fait remarquer. Nous devons être communistes, parce que nous
sommes des anarchistes, parce que l’anarchie et le communisme sont
les deux termes nécessaires de la révolution.
Carlo
Cafiero (1880)
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