Dans
les milieux ouvriers, on confond facilement « Capital » et «
argent », bien que ce soient deux choses tout à fait différentes.
L'argent n'est qu'un intermédiaire, en usage pour faciliter
l'échange d'un produit contre un autre produit (voir Argent),
alors que le capital est la source de toute la production du globe.
Sa
définition pourrait être très brève : « Le capital est la
matière inerte qui, soumise à
l'influence
du travail humain, prend contact avec la vie et donne naissance à
toute la richesse sociale du monde », Dans le langage courant, le
terme est employé différemment et sert à désigner l'ensemble des
produits accumules, un somme d'argent destinée à une entreprise, le
dépôt initial d'une banque ou le principal d'une rente ; mais,
quelle que soit la signification qu'on lui donne, on peut dire que le
travailleur est dépourvu de capital et que celui-ci est entièrement
entre les mains des puissances capitalistes.
Même
si l'on considère comme Capital la puissance de travail de
l'homme, il faut immédiatement reconnaître que ce capital est
improductif s'il n'a pas à sa disposition un champ d'expérience où
il puisse s'exercer. On ne peut en effet concevoir le travail d'un
laboureur qui n'aurait pas de terre à ensemencer ou celui d'un
forgeron dépourvu d'acier ou de fer. Même dans le domaine
intellectuel, le capital « pensée » est improductif s'il
n'arrive pas à s'extérioriser et à se matérialiser. Or, tout le
capital matière, le capital visible, palpable a été accaparé par
une minorité qui, par la ruse et par le vol, s'est rendue maîtresse
de toute la terre et de tous les moyens de production. Les outils,
les machines, les banques, les journaux, les champs, sont la
propriété d'une
poignée
de jouisseurs, et le travail manuel et intellectuel ne peut se
dépenser qu'autant que les possesseurs du capital, consentent à
livrer leurs richesses à l'exploitation, et ils ne la livrent qu'à
l'unique condition, que le capital travail leur réserve la
part du lion.
Il
est évident, que si le travailleur, refusait de louer ou de livrer
son capital, celui des possédants serait également improductif ;
nous croyons donc juste et logique notre définition du capital,
lorsque nous disons qu'il est le composé de la matière, de la
pensée, de l'intelligence et du travail.
Malheureusement
par la vitesse acquise, par la routine, par les siècles et les
siècles d'asservissement qui se sont succédés, le travailleur,
totalement dépourvu de capital matière, 'est incapable de se
refuser à vendre à vil prix sa force productrice. La nécessité
brutale et quotidienne l'oblige, s'il veut manger, à travailler en
cédant la moitié ou les trois quarts de son capital travail et
c'est ce qui produit, le bénéfice de celui qui, l'exploite. Alors
que les stocks accumulés permettent aux détenteurs du capital
d'attendre durant les périodes de trouble des jours meilleurs, le
producteur est contraint par la faim de livrer sa seule richesse à
un prix réduit.
La
détention du capital par une poignée de privilégiés est donc une
source de misère et de souffrance pour les uns et de bien-être pour
les autres. Pourtant non pas seulement au point de vue anarchiste,
mais en respect de la logique la plus élémentaire, le capital ne
doit appartenir à personne, mais à tous. Il est le travail de
générations entières qui ont souffert et fait effort pour nous
léguer cet immense héritage et personne ne peut dire : « Ceci est
à moi ».
Kropotkine
écrit :
«
Science et industrie, savoir et application, découverte et
réalisation pratique menant à de nouvelles découvertes, travail
manuel ― pensée et oeuvre des bras, ― tout se tient. Chaque
découverte, chaque progrès, chaque augmentation de la richesse de
l'humanité a son origine dans l'ensemble du travail manuel et
cérébral du passé et du présent. Alors de quel droit quiconque
pourrait-il s'approprier la moindre parcelle de cet immense tout et
dire : Ceci est à moi, non à vous ? »
Certes,
Kropotkine a raison, avec tous les Anarchistes. Il s'est trouvé
pourtant, en dépit de toute raison, des hommes pour affirmer : «
Ceci est à moi » et d'autres pour se laisser déposséder. Il est
donc facile à comprendre qu'une nation, une province, une contrée,
une famille, un individu, ne sont pas riches par la somme d'argent
qu'ils possèdent et qui ne représente qu'une faible partie de leur
capital, mais surtout par l'étendue des domaines productifs et
exploitables qu'ils ont acquis : terrains cultivables, voies ferrées,
bateaux, immeubles, fabriques, usines, manufactures, magasins,
comptoirs, etc...
Avant
la guerre, la France était une des nations qui avaient le plus de
capital argent, et cependant elle était loin d'atteindre
l'Allemagne, l'Angleterre ou les États-Unis, au point de vue du
développement industriel et commercial. La raison en est simple.
C'est que la France était un pays de petits capitalistes, de petits
paysans qui conservaient leur capital argent dans leur bas de laine,
et le laissait improductif. (Voir : Capitalisation.) Le
numéraire n'a qu'une valeur relative et représentative alors que le
capital a une valeur réelle. Les États-Unis d'Amérique ne
doivent pas leur prépondérance mondiale uniquement à la somme de
dollars qu'ils détiennent mais surtout au capital qui est représenté
par les mines, les exploitations agricoles, le machinisme, et surtout
par le pétrole dont ils ont le monopole. L'Angleterre est puissante
parce qu'elle contrôle 75 % de la production du caoutchouc, produit
indispensable en notre siècle de l'automobile et de l'aviation.
Voilà
ce qu'est réellement le capital; les travailleurs, eux, qui
produisent toutes ces richesses, qui donnent leur sueur, qui
vieillissent avant l'âge, sont la source de tout ce capital et se
font même tuer pour le défendre alors que celui-ci ne profite qu'à
quelques potentats avides, incapables de défendre leurs richesses
pendant que le travailleur périt parfois de misère.
Les
Anarchistes qui affirment ― et ils ne sont pas les seuls ― que
l'on pourrait se passer d'argent, ne sont donc pas, comme on se plaît
à le chanter, les adversaires du capital, c'est-à-dire de la
richesse sociale. Mais ils s'élèvent contre la classe qui l'a
accaparé, qui se l'est approprié, et qui entend le conserver et
continuer à en tirer tous les profits. Les Anarchistes demandent que
le Capital soit mis à la disposition de tous. Ils veulent : « Que
ce riche outillage de production, péniblement obtenu, bâti,
façonné, inventé par nos ancêtres, devienne propriété commune,
afin que l'esprit collectif en tire le plus grand avantage pour tous.
― Il faut l'expropriation. L'aisance pour tous comme but,
l'expropriation comme moyen » (P. KROPOTKINE).
Hélas
! nous savons trop que ceux qui détiennent la richesse sociale et
sont les maîtres de l'ordre économique ne se laisseront pas
déposséder de bon gré. C'est pourquoi les Anarchistes sont
révolutionnaires, non pas pour détruire le Capital mais abolir le
capitalisme.
J.
CHAZOFF
LE
CAPITAL
Titre
de l'oeuvre maîtresse du grand sociologue allemand Karl Marx, qui a
développé dans ce formidable ouvrage toutes les variations, les
transformations et l'orientation du capital. L'ouvrage de Marx n'est
pas à la portée du travailleur. D'une lecture ardue et toute
scientifique il s'adresse plutôt à l'école des philosophes qu'au
manuel. Les disciples de Marx ont cependant vulgarisé son oeuvre et
certains résumés du capital, accessibles à tous les cerveaux,
seront lus avec intérêt par la classe ouvrière.
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