Alphonse
Carlou
A
la perdition
Nudité,
farce, répétition
Que le monde aille à sa perte,
dit-il après elle. C'est la seule politique, répète-t-il ;
mais il répète mal, il oublie qu'il y a une répétition et une
autre, une nostalgie et une catégorie de l'avenir ; il oublie
de préciser, comme elle avait pourtant pris soin de le faire, que la
perte ce n'est pas le nihil ; pas le rien, pas la mort.
-Non. La perte du monde,
c'est que le monde se répande, c'est que l'égalité se répande,
que le sort commun devienne vraiment commun. Qu'il n'y ait plus cette
tentative d'économie sordide de l'oligarchie mondiale.
Que le monde aille à sa perte,
à la perdition : il faut qu'il y ait eu des esprits étrangement
contournés, qu'il y en ait encore pour l'entendre comme on entend
parfois, toujours, cela ne finira jamais, quelque slogan de
ralliement guerrier aux puissances fantasmées de la mort. Pour
confondre ce cap-au-pire beckettien, ce travail patient avec un
viva-la-muerte qui ne fait bander que les fascistes ; cette
politique de la perdition, de l'aggravation lente, cette ruine enfin
de l'âme avec une marche-ou-crève vers le rien ou le salut
macroniste.
-Ce n'est plus la peine de
nous faire le cinéma de l'espoir socialiste. De l'espoir
capitaliste. Plus la peine de nous faire celui d'une justice à
venir. Sociale, fiscale ou autre. Celui du travail, du mérite. Celui
des femmes, des jeunes, des Portugais, des Maliens, des
intellectuels, des Sénégalais. Plus la peine de nous faire le
cinéma de la peur. De la révolution. De la dictature du
prolétariat. De la liberté. De vos épouvantails, de l'amour. Plus
la peine. Plus la peine de nous faire le cinéma du cinéma.
Donc une farce (eine farce) se
termine, recommence, se joue, continue : une farce c'est-à-dire
une machine à répéter une tragédie en avant et en arrière. Et à
ce rythme itératif et projectif en même temps, que cela finisse ou
continue c'est indifférent : les fins de cycles ou les retours
s'échangeant, se confondant parfois – c'est là le rapport
souverain de la farce au temps.
Cela ne va pas finir, dit-elle
ainsi : cela va tout au plus continuer, à finir.
Elle dit aussi que si le Roi ou
son ombre aujourd'hui – ou cette nouvelle répétition d'une
répétition napoléonienne et farcesque – te semble nu – plus
encore qu'hier – il y en aura bientôt un autre, une autre, ombre
ou soleil ou philosophe qui sait professionnel. Quelques autres
diplômés en école de commerce, docteurs en capitalisme bio qui
viendront pour se présenter ; autrement dit se prostituer ( à
la lettre : se présenter au devant ) ; autrement dit
encore régner avec une prétention, toujours renouvelée, à la
nudité.
La prostitution cependant, nom
donné ici à ce mouvement des corps qui, en se plaçant devant,
revêtent une prétendue nudité sous les feux blancs des projecteurs
du consentement ( au consensus généralisé), ne relève pas encore
entièrement de la technocratie, fût-elle la seule au pouvoir. Pas
plus de la philosophie, pas encore, quand bien même celle-ci aurait
consenti à servir celle-là, comme un système de légitimation ou
un supplément d'âme. Le mouvement de dénudation qui leur est
propre n'est pas sans reste : la nudité est ailleurs et ne
l'atteint pas qui veut. Du moins qui veut le pouvoir, des mots ou de
l’État, et cherche à l'atteindre. (Ou encore : n'est pas
Madame Edwarda ou Dieu – ce porc, s'il savait- qui veut).
Qui veut le pouvoir ou ce qui en
tient lieu : regardez-moi transparaître je suis ce que je suis.
Qui n'est pas ce que sont les autres, ce qu'ils étaient, qu'ils ne
sont plus grâce à moi – par la grâce, plus précisément, de
cela qui a permis que je sois moi. Les vieux (par quoi il
faudrait entendre : le vieux monde?), regardez les tels
qu'ils sont en eux-mêmes, corrompus, expertisés nus par un penseur
ou écrivain libre de s'exprimer. Libre d'exprimer le jus de son
opinion sur une scène radio, télévisée, ou imprimée ; dans
un espace et un temps donnés et établis par qui y trouve –
sont-ils nombreux – en son intérêt ; temps et espace qui
sont ceux-là mêmes de ladite liberté (homogène, molle, sans prise
réelle).
Regardez, moi : ce corps
transparent, pas corrompu, président pas gagné par le liquide
exprimé, l'humide grouillant des affaires portées au grand jour, à
la connaissance du débat démocratique. Cette démocratie
précisément qui me légitime : exprimez-vous, c'est son
injonction et la mienne ( je la suis ), soyez libres. Libres
même, éventuellement, de ne pas voter, cela même en l’occurrence
m'indiffère. Et regardez-moi : une autre répétition, une
autre farce peut être plus tragique encore.
Cette farce tragique ou tragédie
farcesque qui est finie, peut-être, qui va finir, peut-être, a pour
elle les prestiges de la fiction : elle est souveraine. En
ce sens évident qu'elle est la forme qui représente théâtralement
une souveraineté politique difficilement repérable ailleurs que sur
cette scène ; en ce sens également qu'elle oppose une
souveraine indifférence aux bouffons, valets ou rats qui trouvent
leur intérêt à y endosser un rôle, à la répéter justement
(au sens de Kierkegaard : re-prise d'un rôle).
Qui trouvent donc leur intérêt
à paraître sur la scène en l'alimentant, en rendant son infinie
répétition possible. Ces personnages auxquels personne ne peut
pourtant sérieusement croire sans rire : ce maître d'hôtel
fut-il souverain qui incarne quoi, sinon son désir de luxe et de
servitude ; ses laquais libres de s'exprimer quoi, sinon ledit
désir de leurs maîtres.
L'insignifiance de Louis
Bonaparte exprimait à sa manière le corps impérial du Roi son
oncle, en le parodiant à son corps défendant – et Engels puis
Marx y trouvaient là quelque motif d'espérance : cela allait
finir, peut-être, en vertu d'un effet comique dessillant ; à
partir d'un rire en vertu duquel on pourrait enfin commencer
sérieusement à penser.
S'il permet en effet la pensée
en se brisant parfois sur un événement ou un autre, par endroits,n
par moments, le cycle de la répétition cependant reprend ses droits
et la boucle finit par ne pas se fermer : pour cela il suffit
qu'à une insignifiance passée succède plus d’insignifiance
encore, par exemple. Que le corps des protagonistes, des seconds
rôles, des élites à tous les échelons, bureaucratiques ou
médiatiques, transparaissent encore un peu plus. Qu'ils se signalent
par plus de consentement à un système dont le fonctionnement à
ciel ouvert conditionne la perpétuation : qu'ils signifient
toujours moins, ayant toujours moins à cacher, ou rien qu'un éternel
ressassement de la tragédie qui n'en finit pas de se déguiser en
farce. Qu'ils ne se laissent plus enfin mettre en scène, qu'ils
soient cette mise en scène même.
Une répétition n'arrive jamais
une seconde fois ; ou bien elle n'arrive qu'une seule
fois ou bien elle est libérée pour toutes les fois et alors elle
échappe à toute logique cyclique, elle ne finit pas. Le plus
difficile, le plus exigeant peut-être, c'est de trouver les moyens
d'en rire du 18 brumaire de Louis Bonaparte -le premier
écrivant en effet ceci en second, le 3 décembre 1851, lendemain du
coup d'état -l'histoire de France est entrée dans le stade du
comique le plus achevé. Peut-on imaginer quelque chose de plus
divertissant que cette travestie du 18 brumaire ?
Il n'est pas certain, en
revanche, que la dernière séquence politique par laquelle soit
passée cette même histoire de France, sa pénultième travestie en
attendant la suivante, en ait diverti beaucoup. Qu'une répétition
historique hégélienne ou marxiste puisse provoquer un effet
comique, passe encore dans un siècle où prospère la figure de
l'imposteur ou du séducteur ; mais alors il faut dire que ce
pouvoir, il ne lui échoit qu'une seule fois. Ainsi parlait Lacan (
en direction peut-être du XIX ) dans son séminaire La logique du
fantasme, d'une répétition -dont on peut dire qu'elle
n'arrive qu'une seule fois ; et trois ans avant, dans Les
quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, d'une répétition
qui -demande du nouveau [et]se tourne vers le ludique qui
fait de ce nouveau sa dimension.
Passé la première fois, la
répétition perd cette dimension ludique et nouvelle ; ce qui
ne l'empêche pourtant pas de continuer. Mais dans une configuration
scénique prolongée, dans une farce qui n'en finit pas de finir et
de continuer, le comique de répétition ne prend pas, le ludique est
moins certain. Quant au nouveau...
Bien que ses vêtements soient
passablement passés, faisant signe vers un florilège plus ou moins
sophistiqué de constructions idéologiques anciennes, le Roi
nouveau, malgré les apparences – ses prétentions à la
transparence, qui ne sont pourtant pas les siennes proprement
dit – n'est donc pas nu. De quoi alors pourrait-on rire, maintenant
que l'événement de la nudité est devenu l'impossible ?
Car elle dit aussi que la nudité
réelle en ce domaine ( l'exercice du pouvoir et, par extension, la
représentation qui l'autorise) n'est pas de mise : elle y est,
précisément, impossible. Impossible est-elle en effet à atteindre
pour qui, sinon de prostitution, fait profession d'instituer la
politique, c'est la règle, la déontologie d'un tel métier, comme
domaine séparé, réservé. Profession de la placer toujours sur le
devant de la scène, sous les projecteurs de la domination :
pour la vendre comme un maquereau le ferait d'une vieille,
fardée excessivement, afin qu'elle passe pour jeune. En la
séparant de tout ce qui pourrait faire perdre de l'argent aux
intérêts qu'elle sert ; en la préservant de tout ce qui
pourrait troubler son temps, ralentir sa marche en avant, son désir
de gestion du désastre.
Le Roi n'est pas nu mais il faut
s'entendre sur la nudité et sur ce que celle-ci peut vouloir dire ;
car il y a l'état et parfois, peu de fois et on n'est jamais sûr,
l'événement. Pour les distinguer disons la nudité et la nudité
nue ; la nudité comme état des choses, absence de vêtements ;
la nudité nue comme une trouée, une poussée qui déborde cet état,
l'excède - « événement » qui a pris la mesure de son
insuffisance.
Cette nudité événementielle,
dans sa légèreté, a quelque poids encore à opposer à la réalité
de ceux, tenaces, tenants du grand tournant ou du grand
soir, qui opposent les vêtements et la peau, les « apparences »
en somme et ce que celles-ci supposément voilent. Elle abolit cette
rhétorique, étant la fragile manifestation d'un présent, celui qui
échappe, manque toujours ; présent auquel on se livre sans
reste quand il arrive qu'il se présente, engloutissant qui en fait
l'improbable expérience. Cette nudité réelle peut se signaler
éventuellement par un trou dans les apparences, mais ce n'est pas
une lumière derrière qu'il laisse passer, il ne révèle rien ;
par ce trou passe quelque chose mais on ne s&ait d'abord pas
quoi, cela ne s'exprime pas, ne se tient pas dans un temps
réglé, occupé ; ne se retient pas dans le cours des choses.
Un désordre peut-être – qui a sont temps lui aussi : bref -,
une respiration dans la marche avant vite que cela ne se referme, que
cela revienne. Que cela se répète et en marche, eine Farce.
Mais dire ou répéter eine Farce et s'en contenter ne suffit
pas, demande encore un effort.
La nudité nue est d'autant plus
impossible qu'une simple absence de vêtement ou simple mise à nu,
dans cette opération de « prostitution » ne suffit plus
à personne – on veut de l'événement . Et dans cette
course en avant ou cette fuite en marche, elle ne se contente plus de
sa pornographie – c'est de sa nudité prétendue, représentée,
fictive. L'absence de vêtements se vend de moins en moins, il en
faut davantage pour satisfaire aux intérêts de la domination.
Davantage de nudité : de transparence encore. (Il n'est pas
encore tout à fait venu, par exemple, le temps des noces consommées
au sommet du pouvoir entre le capital et l'écologie politique – on
en est encore aux fiançailles, autre manière de répétition, qui
projette un avenir non moins farcesque.)
Le Roi n'est donc pas nu et ses
couvertures sont nombreuses : il est philosophe en effet, ou
maître des horloges sauvées de justesse ou possible chefaillon
d'une Europe trouée de toutes parts, etc – bien vêtu, donc, à la
mode ( on sait ce que la mode doit aux décennies qui la précèdent),
et maquillé, à l'ancienne (blanchi) mais qu'est ce qu'on
peut s'imaginer encore qu'il y a à vêtir, à maquiller ? A
penser, croire ou faire croire à l'existence de ficelles ou tréteaux
encore dissimulés par les artifices de la fiction, étatique ou
autre, comme dit Jean Genet c'est con, on perd son temps.
-Ceux qui veulent mieux voir
ce qui se présente devant eux pour continuer prudemment à se faire
une place dans ce même monde inchangé ont les journaux et les
domestiques publics qui conviennent le mieux pour cela. Et la
farce toute rance qu'elle soit continue et ne perd pas de temps.
C'est même le signe de sa bonne santé : comme les gens pressés
( exprimés) , elle n'a pas le temps ; c'est-à-dire
qu'il lui faut se soumettre çà une temporalité homogène et molle,
sans prise, un temps occupé dans lequel se glisser sans
travail. Un retour du même avec ici et là ses petites différences,
les quelques petits artifices qui le permettent.
Donc une farce se termine,
recommence, se joue, continue : ce rythme immémorial de
vieillerie théâtrale, avec ses figures usées et son personnage
principal, celui dont le rôle est d'occuper le devant de la scène,
ce simulacre de prostitué – mais comment se rapporter à cette
fiction réelle, comment discuter et quoi opposer à une caricature
de caricature. Question qui vaut également pour qui fait profession
de penser avec l'essentielle et impérieuse ambition de « penser
contre » : de quoi discuter (philosophiquement,
politiquement, idéologiquement , etc ) avec des personnages qui
changent de masques ( et quand cela ne suffit plus : de corps)
comme de chemises pas encore déchirées ; certains se répètent
ou répètent d'autres eux-mêmes ; d'autres gesticulent, en
appellent aux « jeunes », au « peuple »
disparu ou retrouvé ; certains errent ici ou là parmi les
décombres de leurs partis , en traînant comme un chien
mauvais leur racisme même plus étatique ; d'autres se
résignent à disparaître plus ou moins définitivement, par la
grâce desquels prospèrent mieux les restants, débutent mieux les
arrivants. Quelques jeunes ainsi font leur entrée ;
d'autres, plus vieux, se retirent ; entrées et sorties
auxquelles tous obéissent plus ou moins docilement car il faut que
cela continue, à finir. Pour ne pas perdre son efficace le jeu
demande que les rôles soient vite interchangeables. Et que l'on ne
perde pas son temps. Nul besoin est désormais que les changements de
costumes se fassent dans le secret de la coulisse.
Ainsi cette manière de
répétition n'a-t-elle pas la vertu de révéler l'écart entre un
corps et telle ou telle fiction qu'il emprunte pour se vêtir. Le
corps réel ne l'est pas plus, réel, que son costume de nudité ;
il l'est même beaucoup moins. L'effort serait donc vain qui
consisterait à distinguer entre entre -les représentations,
phrases et imaginations des instances politiques d'une part, et
d'autre part -leurs réalités, leur organisme réel et leurs
intérêts effectifs – jamais une discordance ou un
dysfonctionnement n'ont annoncé la mort d'une machine sociale, qui a
l'habitude au contraire de se nourrir des contradictions qu'elle
soulève, des crises qu'elle suscite, des angoisses qu'elle engendre,
et d'opérations infernales qui la revigorent : le
capitalisme l'a appris, et a cessé de douter de soi, tandis que même
les socialistes renonçaient à croire à la possibilité de sa mort
naturelle par usure. Jamais personne n'est mort de contradictions. Et
plus ça se détraque, plus ça schizophrénise, mieux ça marche, à
l'américaine.
A vouloir renverser quelque
chose, à le faire effectivement, à le faire du moins dans l'ordre
du discours, il est entendu que l'on ne se débarrasse de cela qu'on
aura voulu renverser : qu'on aura effectivement renversé mais
qui est toujours là. Si vous fuyez, écrivent Deleuze et Guattari,
n'oubliez pas aussi de faire fuir : fuyez, mais faites fuir
quel:que chose de ce que vous fuyez, débondez- Crevez le tuyau.
Et si à défaut de marcher vous
dormez, n'oubliez pas, de même, de faire dormir. Afin qu'un sommeil
enfin comme le monde se répande. En débordant hors de ses limites ;
en cessant d'être seulement négatif qui autorise le fonctionnement
positif du jour, sa raison – la farce- , en cessant d'être
simplement le temps du consentement. Dormir, faire dormir et alors
finir peut-être, comme un rêve, le rêve d'une perdition. Que le
monde se répande. On l'entend dans un film français et récent –
Nous sommes le peuple qui dort, pas celui qui fait l'histoire.
Il en va de même quant aux
mots. Dans la farce il arrive qu'on en appelle par exemple au mot
peuple. Sous différentes formes il arrive qu'on célèbre ce qu' il
désigne, ou bien qu'on le déplore ; on débat de son
existence, des formes qu'il prend en se manifestant, des vides qu'il
laisse en disparaissant ; il arrive enfin que l'on oppose sa
réalité supposée à la fiction supposée du pouvoir étatique. Le
peuple comme un personnage de plus à convoquer sur scène, dont le
rôle serait d'enrayer et de renverser la machine à dominer, par la
grâce de ses potentialités révolutionnaires ; le peuple comme
levier de renversement – quand ce n'est pas, inversement,
d'abrutissement : le mot sert aussi à cela. Or, dans tous les
cas le peuple est comme le présent, ou le quelque chose
de la nudité nue : il manque, se dérobe, on le manque.
Comme Madame Edwarda ou Dieu, ne l'atteint pas qui veut – du moins
qui veut le pouvoir, celui des mots aussi bien que celui d'état,
fut-il contre. Il n'est pas un corps dont on pourrait faire usage –
de pensée, de politique. Peut-être, ainsi que jacques Rancière le
formulait an avril dernier, tout au plus un quasi-corps.Mais
Pas un corps : ou alors un corps qui dort – non d'un sommeil
réparateur, mais destructeur.
-Alors va te coucher :
c'est à ce peuple, si peu réel,
nombreux, vivant, parlant, si manquant soit-il, qu'il revient de
dormir, dormir et de
finir, par le moyen d'un sommeil qui ne consent à rien et mène le
monde à sa perte, à la perdition -Certes, il reste
impérieusement requis que ce monde aille à sa perte, et le plus
vite possible. Mais pas avec lui le meilleur de ce qui s'y oppose.
Tout est là.
Aux
mots farce, nudité, répétition, on peut faire dire à peu près ce
que l'on veut, à peu près tout et n'importe quoi. A peu près. Tout
est là : c'est dans cet à-peu-près, ce reste qui est l'espace
d'un manque ou d'un excédent, que réside peut-être un espoir.
L'espoir non, surtout d'une délivrance ( du rien ou du salut). Mais
qu'il y ait encore un travail, un effort à faire et que les mots ne
cessent pas de se retourner. Que les renversements qu'ils subissent
ne s'arrêtent pas.
-C'est pourquoi nous ne
pouvions pour notre compte faire passer aucune différence de nature,
aucune frontière, aucune limite entre l'imaginaire et le
symbolique...Car il n'y a pas
que les corps dont les femmes ou les hommes politiques désirent la
prostitution, il y a aussi celle des mots. Et on n'a peut-être pas
encore suffisamment pris la mesure de la violence que certains, mots
chers, ont récemment subie. Que le mot révolution ait servi de
titre à un ouvrage de propagande néolibérale, cela a été révélé
discrètement, sans que l'on s'en émeuve trop longtemps. Mais ce
n'est pas le seul, le marchisme, par exemple, marche autant
qu'il fait la révolution, de
cette marche que certains – sont-ils nombreux- prennent pour une
réalité ; cette marche qui ne laisse place à rien, ni pensée
ni politique, ni rapport à l'autre dans la plus grande intimité
avec soi-même. Qui ne laisse une place qu'au rien ( ou au salut).
A
la violence que subissent ces mots essayer d'espérer en y ajoutant
plus de violence encore, en faisant dormir et fuir le tuyau du sens,
à la pente de l'insignifiance sur laquelle on les fait sinistrement
glisser, essayer d'espérer en opposant une autre
insignifiance, souveraine elle
aussi, mais d'une souveraineté rieuse, dont le seul pouvoir réside
dans sa puissance perdue de
rire – rire de l'autre, la farcesque. Puissance de perdition. Au
désordre, ajouter plus de désordres ; mesurer la perte et
maintenir le cap, le travail de l'aggravation. A la perdition :
pas au rien, pas à la mort.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire