samedi 19 mai 2018

Revue Ligne N°55



Alphonse Carlou

A la perdition

Nudité, farce, répétition

Que le monde aille à sa perte, dit-il après elle. C'est la seule politique, répète-t-il ; mais il répète mal, il oublie qu'il y a une répétition et une autre, une nostalgie et une catégorie de l'avenir ; il oublie de préciser, comme elle avait pourtant pris soin de le faire, que la perte ce n'est pas le nihil ; pas le rien, pas la mort.

-Non. La perte du monde, c'est que le monde se répande, c'est que l'égalité se répande, que le sort commun devienne vraiment commun. Qu'il n'y ait plus cette tentative d'économie sordide de l'oligarchie mondiale.

Que le monde aille à sa perte, à la perdition : il faut qu'il y ait eu des esprits étrangement contournés, qu'il y en ait encore pour l'entendre comme on entend parfois, toujours, cela ne finira jamais, quelque slogan de ralliement guerrier aux puissances fantasmées de la mort. Pour confondre ce cap-au-pire beckettien, ce travail patient avec un viva-la-muerte qui ne fait bander que les fascistes ; cette politique de la perdition, de l'aggravation lente, cette ruine enfin de l'âme avec une marche-ou-crève vers le rien ou le salut macroniste.

-Ce n'est plus la peine de nous faire le cinéma de l'espoir socialiste. De l'espoir capitaliste. Plus la peine de nous faire celui d'une justice à venir. Sociale, fiscale ou autre. Celui du travail, du mérite. Celui des femmes, des jeunes, des Portugais, des Maliens, des intellectuels, des Sénégalais. Plus la peine de nous faire le cinéma de la peur. De la révolution. De la dictature du prolétariat. De la liberté. De vos épouvantails, de l'amour. Plus la peine. Plus la peine de nous faire le cinéma du cinéma.

Donc une farce (eine farce) se termine, recommence, se joue, continue : une farce c'est-à-dire une machine à répéter une tragédie en avant et en arrière. Et à ce rythme itératif et projectif en même temps, que cela finisse ou continue c'est indifférent : les fins de cycles ou les retours s'échangeant, se confondant parfois – c'est là le rapport souverain de la farce au temps.
Cela ne va pas finir, dit-elle ainsi : cela va tout au plus continuer, à finir.

Elle dit aussi que si le Roi ou son ombre aujourd'hui – ou cette nouvelle répétition d'une répétition napoléonienne et farcesque – te semble nu – plus encore qu'hier – il y en aura bientôt un autre, une autre, ombre ou soleil ou philosophe qui sait professionnel. Quelques autres diplômés en école de commerce, docteurs en capitalisme bio qui viendront pour se présenter ; autrement dit se prostituer ( à la lettre : se présenter au devant ) ; autrement dit encore régner avec une prétention, toujours renouvelée, à la nudité.

La prostitution cependant, nom donné ici à ce mouvement des corps qui, en se plaçant devant, revêtent une prétendue nudité sous les feux blancs des projecteurs du consentement ( au consensus généralisé), ne relève pas encore entièrement de la technocratie, fût-elle la seule au pouvoir. Pas plus de la philosophie, pas encore, quand bien même celle-ci aurait consenti à servir celle-là, comme un système de légitimation ou un supplément d'âme. Le mouvement de dénudation qui leur est propre n'est pas sans reste : la nudité est ailleurs et ne l'atteint pas qui veut. Du moins qui veut le pouvoir, des mots ou de l’État, et cherche à l'atteindre. (Ou encore : n'est pas Madame Edwarda ou Dieu – ce porc, s'il savait- qui veut).

Qui veut le pouvoir ou ce qui en tient lieu : regardez-moi transparaître je suis ce que je suis. Qui n'est pas ce que sont les autres, ce qu'ils étaient, qu'ils ne sont plus grâce à moi – par la grâce, plus précisément, de cela qui a permis que je sois moi. Les vieux (par quoi il faudrait entendre : le vieux monde?), regardez les tels qu'ils sont en eux-mêmes, corrompus, expertisés nus par un penseur ou écrivain libre de s'exprimer. Libre d'exprimer le jus de son opinion sur une scène radio, télévisée, ou imprimée ; dans un espace et un temps donnés et établis par qui y trouve – sont-ils nombreux – en son intérêt ; temps et espace qui sont ceux-là mêmes de ladite liberté (homogène, molle, sans prise réelle).
Regardez, moi : ce corps transparent, pas corrompu, président pas gagné par le liquide exprimé, l'humide grouillant des affaires portées au grand jour, à la connaissance du débat démocratique. Cette démocratie précisément qui me légitime : exprimez-vous, c'est son injonction et la mienne ( je la suis ), soyez libres. Libres même, éventuellement, de ne pas voter, cela même en l’occurrence m'indiffère. Et regardez-moi : une autre répétition, une autre farce peut être plus tragique encore.

Cette farce tragique ou tragédie farcesque qui est finie, peut-être, qui va finir, peut-être, a pour elle les prestiges de la fiction : elle est souveraine. En ce sens évident qu'elle est la forme qui représente théâtralement une souveraineté politique difficilement repérable ailleurs que sur cette scène ; en ce sens également qu'elle oppose une souveraine indifférence aux bouffons, valets ou rats qui trouvent leur intérêt à y endosser un rôle, à la répéter justement (au sens de Kierkegaard : re-prise d'un rôle).
Qui trouvent donc leur intérêt à paraître sur la scène en l'alimentant, en rendant son infinie répétition possible. Ces personnages auxquels personne ne peut pourtant sérieusement croire sans rire : ce maître d'hôtel fut-il souverain qui incarne quoi, sinon son désir de luxe et de servitude ; ses laquais libres de s'exprimer quoi, sinon ledit désir de leurs maîtres.

L'insignifiance de Louis Bonaparte exprimait à sa manière le corps impérial du Roi son oncle, en le parodiant à son corps défendant – et Engels puis Marx y trouvaient là quelque motif d'espérance : cela allait finir, peut-être, en vertu d'un effet comique dessillant ; à partir d'un rire en vertu duquel on pourrait enfin commencer sérieusement à penser.
S'il permet en effet la pensée en se brisant parfois sur un événement ou un autre, par endroits,n par moments, le cycle de la répétition cependant reprend ses droits et la boucle finit par ne pas se fermer : pour cela il suffit qu'à une insignifiance passée succède plus d’insignifiance encore, par exemple. Que le corps des protagonistes, des seconds rôles, des élites à tous les échelons, bureaucratiques ou médiatiques, transparaissent encore un peu plus. Qu'ils se signalent par plus de consentement à un système dont le fonctionnement à ciel ouvert conditionne la perpétuation : qu'ils signifient toujours moins, ayant toujours moins à cacher, ou rien qu'un éternel ressassement de la tragédie qui n'en finit pas de se déguiser en farce. Qu'ils ne se laissent plus enfin mettre en scène, qu'ils soient cette mise en scène même.

Une répétition n'arrive jamais une seconde fois ; ou bien elle n'arrive qu'une seule fois ou bien elle est libérée pour toutes les fois et alors elle échappe à toute logique cyclique, elle ne finit pas. Le plus difficile, le plus exigeant peut-être, c'est de trouver les moyens d'en rire du 18 brumaire de Louis Bonaparte -le premier écrivant en effet ceci en second, le 3 décembre 1851, lendemain du coup d'état -l'histoire de France est entrée dans le stade du comique le plus achevé. Peut-on imaginer quelque chose de plus divertissant que cette travestie du 18 brumaire ?
Il n'est pas certain, en revanche, que la dernière séquence politique par laquelle soit passée cette même histoire de France, sa pénultième travestie en attendant la suivante, en ait diverti beaucoup. Qu'une répétition historique hégélienne ou marxiste puisse provoquer un effet comique, passe encore dans un siècle où prospère la figure de l'imposteur ou du séducteur ; mais alors il faut dire que ce pouvoir, il ne lui échoit qu'une seule fois. Ainsi parlait Lacan ( en direction peut-être du XIX ) dans son séminaire La logique du fantasme, d'une répétition -dont on peut dire qu'elle n'arrive qu'une seule fois ; et trois ans avant, dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, d'une répétition qui -demande du nouveau [et]se tourne vers le ludique qui fait de ce nouveau sa dimension.
Passé la première fois, la répétition perd cette dimension ludique et nouvelle ; ce qui ne l'empêche pourtant pas de continuer. Mais dans une configuration scénique prolongée, dans une farce qui n'en finit pas de finir et de continuer, le comique de répétition ne prend pas, le ludique est moins certain. Quant au nouveau...

Bien que ses vêtements soient passablement passés, faisant signe vers un florilège plus ou moins sophistiqué de constructions idéologiques anciennes, le Roi nouveau, malgré les apparences – ses prétentions à la transparence, qui ne sont pourtant pas les siennes proprement dit – n'est donc pas nu. De quoi alors pourrait-on rire, maintenant que l'événement de la nudité est devenu l'impossible ?
Car elle dit aussi que la nudité réelle en ce domaine ( l'exercice du pouvoir et, par extension, la représentation qui l'autorise) n'est pas de mise : elle y est, précisément, impossible. Impossible est-elle en effet à atteindre pour qui, sinon de prostitution, fait profession d'instituer la politique, c'est la règle, la déontologie d'un tel métier, comme domaine séparé, réservé. Profession de la placer toujours sur le devant de la scène, sous les projecteurs de la domination : pour la vendre comme un maquereau le ferait d'une vieille, fardée excessivement, afin qu'elle passe pour jeune. En la séparant de tout ce qui pourrait faire perdre de l'argent aux intérêts qu'elle sert ; en la préservant de tout ce qui pourrait troubler son temps, ralentir sa marche en avant, son désir de gestion du désastre.

Le Roi n'est pas nu mais il faut s'entendre sur la nudité et sur ce que celle-ci peut vouloir dire ; car il y a l'état et parfois, peu de fois et on n'est jamais sûr, l'événement. Pour les distinguer disons la nudité et la nudité nue ; la nudité comme état des choses, absence de vêtements ; la nudité nue comme une trouée, une poussée qui déborde cet état, l'excède - « événement » qui a pris la mesure de son insuffisance.
Cette nudité événementielle, dans sa légèreté, a quelque poids encore à opposer à la réalité de ceux, tenaces, tenants du grand tournant ou du grand soir, qui opposent les vêtements et la peau, les « apparences » en somme et ce que celles-ci supposément voilent. Elle abolit cette rhétorique, étant la fragile manifestation d'un présent, celui qui échappe, manque toujours ; présent auquel on se livre sans reste quand il arrive qu'il se présente, engloutissant qui en fait l'improbable expérience. Cette nudité réelle peut se signaler éventuellement par un trou dans les apparences, mais ce n'est pas une lumière derrière qu'il laisse passer, il ne révèle rien ; par ce trou passe quelque chose mais on ne s&ait d'abord pas quoi, cela ne s'exprime pas, ne se tient pas dans un temps réglé, occupé ; ne se retient pas dans le cours des choses. Un désordre peut-être – qui a sont temps lui aussi : bref -, une respiration dans la marche avant vite que cela ne se referme, que cela revienne. Que cela se répète et en marche, eine Farce. Mais dire ou répéter eine Farce et s'en contenter ne suffit pas, demande encore un effort.

La nudité nue est d'autant plus impossible qu'une simple absence de vêtement ou simple mise à nu, dans cette opération de « prostitution » ne suffit plus à personne – on veut de l'événement . Et dans cette course en avant ou cette fuite en marche, elle ne se contente plus de sa pornographie – c'est de sa nudité prétendue, représentée, fictive. L'absence de vêtements se vend de moins en moins, il en faut davantage pour satisfaire aux intérêts de la domination. Davantage de nudité : de transparence encore. (Il n'est pas encore tout à fait venu, par exemple, le temps des noces consommées au sommet du pouvoir entre le capital et l'écologie politique – on en est encore aux fiançailles, autre manière de répétition, qui projette un avenir non moins farcesque.)

Le Roi n'est donc pas nu et ses couvertures sont nombreuses : il est philosophe en effet, ou maître des horloges sauvées de justesse ou possible chefaillon d'une Europe trouée de toutes parts, etc – bien vêtu, donc, à la mode ( on sait ce que la mode doit aux décennies qui la précèdent), et maquillé, à l'ancienne (blanchi) mais qu'est ce qu'on peut s'imaginer encore qu'il y a à vêtir, à maquiller ? A penser, croire ou faire croire à l'existence de ficelles ou tréteaux encore dissimulés par les artifices de la fiction, étatique ou autre, comme dit Jean Genet c'est con, on perd son temps.

-Ceux qui veulent mieux voir ce qui se présente devant eux pour continuer prudemment à se faire une place dans ce même monde inchangé ont les journaux et les domestiques publics qui conviennent le mieux pour cela. Et la farce toute rance qu'elle soit continue et ne perd pas de temps. C'est même le signe de sa bonne santé : comme les gens pressés ( exprimés) , elle n'a pas le temps ; c'est-à-dire qu'il lui faut se soumettre çà une temporalité homogène et molle, sans prise, un temps occupé dans lequel se glisser sans travail. Un retour du même avec ici et là ses petites différences, les quelques petits artifices qui le permettent.

Donc une farce se termine, recommence, se joue, continue : ce rythme immémorial de vieillerie théâtrale, avec ses figures usées et son personnage principal, celui dont le rôle est d'occuper le devant de la scène, ce simulacre de prostitué – mais comment se rapporter à cette fiction réelle, comment discuter et quoi opposer à une caricature de caricature. Question qui vaut également pour qui fait profession de penser avec l'essentielle et impérieuse ambition de « penser contre » : de quoi discuter (philosophiquement, politiquement, idéologiquement , etc ) avec des personnages qui changent de masques ( et quand cela ne suffit plus : de corps) comme de chemises pas encore déchirées ; certains se répètent ou répètent d'autres eux-mêmes ; d'autres gesticulent, en appellent aux « jeunes », au « peuple » disparu ou retrouvé ; certains errent ici ou là parmi les décombres de leurs partis  , en traînant comme un chien mauvais leur racisme même plus étatique ; d'autres se résignent à disparaître plus ou moins définitivement, par la grâce desquels prospèrent mieux les restants, débutent mieux les arrivants. Quelques jeunes ainsi font leur entrée ; d'autres, plus vieux, se retirent ; entrées et sorties auxquelles tous obéissent plus ou moins docilement car il faut que cela continue, à finir. Pour ne pas perdre son efficace le jeu demande que les rôles soient vite interchangeables. Et que l'on ne perde pas son temps. Nul besoin est désormais que les changements de costumes se fassent dans le secret de la coulisse.

Ainsi cette manière de répétition n'a-t-elle pas la vertu de révéler l'écart entre un corps et telle ou telle fiction qu'il emprunte pour se vêtir. Le corps réel ne l'est pas plus, réel, que son costume de nudité ; il l'est même beaucoup moins. L'effort serait donc vain qui consisterait à distinguer entre entre -les représentations, phrases et imaginations des instances politiques d'une part, et d'autre part -leurs réalités, leur organisme réel et leurs intérêts effectifs – jamais une discordance ou un dysfonctionnement n'ont annoncé la mort d'une machine sociale, qui a l'habitude au contraire de se nourrir des contradictions qu'elle soulève, des crises qu'elle suscite, des angoisses qu'elle engendre, et d'opérations infernales qui la revigorent : le capitalisme l'a appris, et a cessé de douter de soi, tandis que même les socialistes renonçaient à croire à la possibilité de sa mort naturelle par usure. Jamais personne n'est mort de contradictions. Et plus ça se détraque, plus ça schizophrénise, mieux ça marche, à l'américaine.

A vouloir renverser quelque chose, à le faire effectivement, à le faire du moins dans l'ordre du discours, il est entendu que l'on ne se débarrasse de cela qu'on aura voulu renverser : qu'on aura effectivement renversé mais qui est toujours là. Si vous fuyez, écrivent Deleuze et Guattari, n'oubliez pas aussi de faire fuir : fuyez, mais faites fuir quel:que chose de ce que vous fuyez, débondez- Crevez le tuyau.
Et si à défaut de marcher vous dormez, n'oubliez pas, de même, de faire dormir. Afin qu'un sommeil enfin comme le monde se répande. En débordant hors de ses limites ; en cessant d'être seulement négatif qui autorise le fonctionnement positif du jour, sa raison – la farce- , en cessant d'être simplement le temps du consentement. Dormir, faire dormir et alors finir peut-être, comme un rêve, le rêve d'une perdition. Que le monde se répande. On l'entend dans un film français et récent – Nous sommes le peuple qui dort, pas celui qui fait l'histoire.

Il en va de même quant aux mots. Dans la farce il arrive qu'on en appelle par exemple au mot peuple. Sous différentes formes il arrive qu'on célèbre ce qu' il désigne, ou bien qu'on le déplore ; on débat de son existence, des formes qu'il prend en se manifestant, des vides qu'il laisse en disparaissant ; il arrive enfin que l'on oppose sa réalité supposée à la fiction supposée du pouvoir étatique. Le peuple comme un personnage de plus à convoquer sur scène, dont le rôle serait d'enrayer et de renverser la machine à dominer, par la grâce de ses potentialités révolutionnaires ; le peuple comme levier de renversement – quand ce n'est pas, inversement, d'abrutissement : le mot sert aussi à cela. Or, dans tous les cas le peuple est comme le présent, ou le quelque chose de la nudité nue : il manque, se dérobe, on le manque. Comme Madame Edwarda ou Dieu, ne l'atteint pas qui veut – du moins qui veut le pouvoir, celui des mots aussi bien que celui d'état, fut-il contre. Il n'est pas un corps dont on pourrait faire usage – de pensée, de politique. Peut-être, ainsi que jacques Rancière le formulait an avril dernier, tout au plus un quasi-corps.Mais Pas un corps : ou alors un corps qui dort – non d'un sommeil réparateur, mais destructeur.
-Alors va te coucher : c'est à ce peuple, si peu réel, nombreux, vivant, parlant, si manquant soit-il, qu'il revient de dormir, dormir et de finir, par le moyen d'un sommeil qui ne consent à rien et mène le monde à sa perte, à la perdition -Certes, il reste impérieusement requis que ce monde aille à sa perte, et le plus vite possible. Mais pas avec lui le meilleur de ce qui s'y oppose. Tout est là.
Aux mots farce, nudité, répétition, on peut faire dire à peu près ce que l'on veut, à peu près tout et n'importe quoi. A peu près. Tout est là : c'est dans cet à-peu-près, ce reste qui est l'espace d'un manque ou d'un excédent, que réside peut-être un espoir. L'espoir non, surtout d'une délivrance ( du rien ou du salut). Mais qu'il y ait encore un travail, un effort à faire et que les mots ne cessent pas de se retourner. Que les renversements qu'ils subissent ne s'arrêtent pas.
-C'est pourquoi nous ne pouvions pour notre compte faire passer aucune différence de nature, aucune frontière, aucune limite entre l'imaginaire et le symbolique...Car il n'y a pas que les corps dont les femmes ou les hommes politiques désirent la prostitution, il y a aussi celle des mots. Et on n'a peut-être pas encore suffisamment pris la mesure de la violence que certains, mots chers, ont récemment subie. Que le mot révolution ait servi de titre à un ouvrage de propagande néolibérale, cela a été révélé discrètement, sans que l'on s'en émeuve trop longtemps. Mais ce n'est pas le seul, le marchisme, par exemple, marche autant qu'il fait la révolution, de cette marche que certains – sont-ils nombreux- prennent pour une réalité ; cette marche qui ne laisse place à rien, ni pensée ni politique, ni rapport à l'autre dans la plus grande intimité avec soi-même. Qui ne laisse une place qu'au rien ( ou au salut).
A la violence que subissent ces mots essayer d'espérer en y ajoutant plus de violence encore, en faisant dormir et fuir le tuyau du sens, à la pente de l'insignifiance sur laquelle on les fait sinistrement glisser, essayer d'espérer en opposant une autre insignifiance, souveraine elle aussi, mais d'une souveraineté rieuse, dont le seul pouvoir réside dans sa puissance perdue de rire – rire de l'autre, la farcesque. Puissance de perdition. Au désordre, ajouter plus de désordres ; mesurer la perte et maintenir le cap, le travail de l'aggravation. A la perdition : pas au rien, pas à la mort.

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