samedi 12 mai 2018

Journal de la Commune


LE COMMERCE COTONNIER

Les personnes engagées dans les affaires cotonnières se sont de nouveau réunies hier au foyer du Grand-Théâtre. Il s’agissait d’entendre la lecture du rapport sur les questions soumises à une première assemblée qui a eu lieu le 9 courant.
La réunion, encore nombreuse, était présidée, comme la première fois, par M. Jules Siegfried assisté des membres de la commission.
Dans un rapport très substantiel, et dont la rédaction fait honneur à MM. Goesme et Kolbrunner, les rapporteur, la commission a élucidé les question soumises à la première assemblée. Lecture a été donnée de ce rapport, divisé en quatre parties, comme les questions à traiter.
Le premier point, qui a trait à la substitution des appellations de classements américains à nos désignations françaises, ne pouvait avoir qu’une solution conforme à la décision de la première assemblée. Il n’y a vraiment pas de raison valable pour conserver, sur notre seul marché, des noms qui n’ont aucun rapport avec ceux des lieux producteurs, et qui présentent d’ailleurs cette anomalie de ne s’appliquer qu’à la marchandise classée, alors que celle à livrer, et celle même dans le port, se traitent uniquement sur les noms américains.
Au sujet de la deuxième question : faut-il changer le mode de vendre à livrer tel quel ? Il y a eu un assez long débat, mais les conclusions de la commission ont été finalement adoptées. Elles concilient quelque peu les deux opinions en présence, puisqu’elles maintiennent la clause du tel quel, comme principe, tout en ou
vrant la porte à l’autre mode, qui donne la faculté aux parties de traiter sur stipulation de garantie de la qualité, avec arbitrage en cas de non ressortie. Les conditions des affaires à terme formaient l’objet du troisième rapport. La commission, en proposant de ne pouvoir rien livrer au-delà d’une désignation en dessus comme en dessous de la qualité vendue, améliore sans doute les conditions de ces genres d’affaires, puisque l’on ne pourra plus livrer une queue de cotons déplorables ramenée à l’ensemble du type par la compensation d’une tête suffisante.
Il y a cependant encore là une solution qui ne satisfait pas pleinement le commissionnaire agissant pour le compte de la filature. En effet, tel établissement qui emploie du low middling, par exemple, se trouvera fort embarrassé si on lui livre seulement du good ordinary qui sera trop inférieur pour sa fabrication ou son outillage, ou bien s’il se voit à la tête de middling qui peut lui augmenter son prix de revient de 3 à 4 fr. La question a du reste paru mériter un nouvel examen, et elle a été renvoyée à une étude complémentaire.
Il en a été de même pour le quatrième article, qui, sous le titre des conditions de vente, renferme les questions complexes des tares et escomptes. Il ne paraît pas y avoir de modifications profondes à faire sur ce premier chapitre ; quant au second, il y a encore divergence d’idées. Il semble que l’escompte fait nécessairement partie du prix lui-même ; les commissaires craignent cependant que la bonification de 2 % étant supprimée, le prix du coton ne s’abaisse pas de cette quotité. Ce serait là alors une innovation qui tournerait au détriment des affaires. Si, au contraire, les vendeurs établissent leurs cours avec déduction de cet escompte, on a tout l’avantage d’une simplification, — ce qui n’est jamais à dédaigner en affaires, — et on se trouve à lutter plus aisément avec les offres d’Amérique, de Brême et Hambourg, qui, faisant abstraction de cet escompte qui n’existe pas pour eux, semblent rendre la marchandise à la filature à meilleur compte que ne peut le faire le Havre lui-même.
C’est là, certainement, une considération sérieuse.
En résumé, la séance d’hier a confirmé le succès de la première, et il est certain que le commerce aurait tout intérêt à se réunir ainsi publiquement pour discuter les questions qui le concernent. Tout en reconnaissant, certes, le haut mérite des membres qui représentent officiellement le monde des affaires dans les chambres de commerce, il n’y aurait pas de mal à ce que le cercle de discussion fût élargi, et n’y eût-il de temps en temps qu’une bonne idée ressortant de ces réunions, qu’elles auraient encore leur mérite réel. Elles ont aussi pour effet direct de mettre les intérêts en rapport immédiat, de façonner les esprits à une discussion pratique, la seule qui soit saine et utile, et on s’habituerait peu à peu, ainsi, à compter sur soi-même, et à ne pas demander, comme toujours, en France, jusqu’ici, au gouvernement de faire nos propres affaires. Nous périssons, en effet, par un excès de réglementation en toutes choses, et nous devrions cependant nous apercevoir que c’est notre défaut d’initiative personnelle qui amène l’administration à faire bien souvent ce que nous devrions faire nous-mêmes.
Renouvelons donc, en terminant, le voeu de voir se répéter souvent ces réunions du commerce, et espérons que les personnes qui se tiennent encore à l’écart apporteront, dans l’avenir, le concours de leurs lumières, en venant participer à la discussion des questions dont elles sont solidaires. Il est de plus en plus utile de faire entrer la vie publique dans nos moeurs, et les intérêts sont beaucoup mieux discutés en commun que dans de petits comités, où l’on peut se laisser trop aller, malgré soi, à l’intérêt personnel. AD. HAUT-SAINT-AMOUR.
(Journal de Marseille).



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