« Sur ce terrain il est
impossible qu'il y ait la moindre entente entre les syndicalistes et les
socialistes officiels ; ceux-ci parlent bien de tout briser, mais ils attaquent
plutôt les hommes au pouvoir que le pouvoir lui-même; ils espèrent posséder la force
de l’Etat et ils se rendent compte que le jour où ils détiendraient le
gouvernement, ils auraient besoin d’une armée ; ils feraient de la politique
étrangère et, par suite, auraient, eux aussi, à vanter le dévouement à la
patrie. »
« Les socialistes parlementaires
ne peuvent avoir une grande influence que s'ils parviennent à s'imposer à des
groupes très divers, en parlant un langage embrouillé : il leur faut des
électeurs ouvriers assez naïfs pour se laisser duper par des phrases ronflantes
sur le collectivisme futur; ils ont besoin de se présenter comme de profond
philosophes aux bourgeois stupides qui veulent paraître entendus en questions
sociales ; il leur est très nécessaire de pouvoir exploiter des gens riches qui
croient bien mériter de l'humanité en commanditant des entreprises de politique
socialiste. Cette influence est fondée sur le galimatias et nos grands hommes
travaillent, avec un succès parfois trop grand, à jeter la confusion dans les
idées de leurs lecteurs ; ils détestent la grève générale parce que toute
propagande faite sur ce terrain est trop socialiste pour plaire aux
philanthropes. »
« L’émancipation des
travailleurs doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes, comme on l'imprime
encore tous les jours, mais la véritable émancipation consiste à voter pour un
professionnel de la politique, à lui assurer les moyens de se faire une bonne
situation, à se donner un maître. »
« En face de ce
socialisme bruyant, bavard et menteur qui est exploité par les ambitieux de
tout calibre, qui amuse quelques farceurs et qu'admirent les décadents, se
dresse le syndicalisme révolutionnaire qui s'efforce, au contraire, de ne rien
laisser dans l'indécision; la pensée est ici honnêtement exprimée, sans
supercherie et sans sous-entendus; on ne cherche plus à diluer les doctrines
dans un fleuve de commentaires embrouillés. Le syndicalisme s'efforce
d'employer des moyens d'expression qui projettent sur les choses une pleine
lumière, qui les posent parfaitement à la place que leur assigne leur nature et
qui accusent toute la valeur des forces mises en jeu. Au lieu d'atténuer les
oppositions, il faudra, pour suivre l'orientation syndica[1]liste,
les mettre en relief; il faudra donner un aspect aussi solide que possible aux
groupements qui luttent entre eux; enfin on représentera les mouvements des
masses révoltées de telle manière que l'âme des révoltés en reçoive une
impression pleinement maîtrisante. »
« Que la grève générale
ne soit pas populaire dans l’Angleterre contemporaine, c'est un pauvre argument
à faire valoir contre la portée historique de l’idée, car les Anglais se
distinguent par une extraordinaire incompréhension de la lutte de classe; leur
pensée est restée très dominée par des influences médiévales : la corporation,
privilégiée ou protégée au moins par les lois, leur apparaît toujours comme
l’idéal de l'organisation ouvrière ; c’est pour l’Angleterre que l’on a inventé
le terme d’aristocratie ouvrière pour parler des syndiqués et, en effet, le
trade[1]unionisme
poursuit l'acquisition de faveurs légales [C’est ce qu’on voit, par exemple,
dans les efforts faits par les trade-unions pour obtenir des lois leur évitant
la responsabilité civile de leurs actes.]. Nous pourrions donc dire que
l'aversion que l’Angleterre éprouve pour la grève générale devrait être regardée
comme une forte présomption en faveur de celle-ci, par tous ceux qui regardent
la lutte de classe comme l’essentiel du socialisme. »
« Pour résoudre une
pareille question, nous ne sommes plus réduits à raisonner savamment sur
l’avenir ; nous n’avons pas à nous livrer à de hautes considérations sur la
philosophie, sur l’histoire et sur l’économie ; nous ne sommes pas sur le
domaine des idéologies, mais nous pouvons rester sur le terrain des faits que
l’on peut observer. Nous avons à interroger les hommes qui prennent une part
très active au mouvement réellement révolutionnaire au sein du prolétariat, qui
n'aspirent point à monter dans la bourgeoisie et dont l'esprit n'est pas dominé
par des préjugés corporatifs. Ces hommes peuvent se tromper sur une infinité de
questions de politique, d'économie ou de morale; mais leur témoignage est
décisif, souverain et irréfor[1]mable
quand il s'agit de savoir quelles sont les représentations qui agissent sur eux
et sur leurs camarades de la manière la plus efficace, qui possèdent, au plus
haut degré, la faculté de s'identifier avec leur conception socialiste, et
grâce auxquelles la raison, les espérances et la perception des faits
particuliers semblent ne plus faire qu'une indivisible unité [C'est encore une
application des thèses bergsoniennes.] »
« S'ils combattent la
grève générale, c’est qu’ils reconnaissent, au cours de leurs tournées de
propagande, que l'idée de grève générale est si bien adaptée à l'âme ouvrière
qu'elle est capable de la dominer de la manière la plus absolue et de ne
laisser aucune place aux désirs que peuvent satisfaire les parlementaires. Ils
s’aperçoivent que cette idée est tellement motrice qu’une fois entrée dans les
esprits, ceux-ci échappent à tout contrôle de maîtres et qu'ainsi le pouvoir
des députés serait réduit à rien. Enfin ils sentent, d'une manière vague, que
tout le socialisme pourrait bien être absorbé par la grève générale, ce qui
rendrait fort inutiles tous les compromis entre les groupes politiques en vue
desquels a été constitué le régime parlementaire. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire