n. m. (rad. maille) Nous ne
ferons pas à ce mot le procès de ce vêtement collant, espèce de caleçon de
douteuse élégance et parfois de libidineuse transparence, que les lois imposent
au corps humain dans des exhibitions publiques. Qu'il s'agisse d'esthétique ou
de manifestation culturelle, de plastique ou d'hygiène, d'harmonie ou de santé,
chaque fois que l'homme essaie de retrouver son milieu naturel d'air et de
lumière, une société, qui cache sous sa vêture une corruption raffinée et
souvent une ordure scandaleuse, plaque cet écran « moral » sur nos nudités
indésirables. D'autres, à des sujets appropriés, dénonceront ces mœurs et ces
obligations hypocrites, toutes pétries de la chrétienne réprobation du sexe...
Ici nous nous arrêterons à ce carcan dans lequel on enserre les petits des
hommes à peine échappés du ventre protecteur de la mère. Ils y goûtaient
encore, dans leur claustration transitoire, une indépendance relative,
pouvaient y bouger, s'y retourner. Mais dès qu'ils sont entrés dans le riant
royaume où se traînent nos joies jugulées, les prêtresses du maillot, à peine
contrariées par les servants d'Esculape, s'emparent de leur petite chair et
l'emprisonnent sous d'affreux ligaments. Pendant des siècles, le maillot a
garrotté leurs membres, écrasé leur poitrine, comprimé tout l'être avide de
développement... Se situant, en matière d'élevage, parmi les plus bornées des
espèces animales, mettant leur faible intelligence à refouler les indications
les plus claires de nos instincts, les familles se sont complus, vis-à-vis de
l'enfance, à des pratiques étouffeuses qui ont leur prélude dès le premier
vagissement de la progéniture... Qu'invoquent les nourrices pour justifier
cette séquestration barbare ? Des considérations de chaleur de propreté et le
souci d'empêcher les déformations. Ce sont les « avantages » (nous les retrouverons
tout à l'heure) que la routine nous oppose. Gribouille échappant à la pluie par
l'immersion pourrait lutter de perspicacité avec les défenseurs du maillot : «
Dans le sein même de la mère », écrit Larousse sur le chemin d'une puériculture
libérée, « le fœtus change très souvent de position ; pourquoi le réduire après
sa naissance à un repos absolu ? L'homme le plus indolent lui-même ne pourrait,
sans en éprouver un grand malaise, rester sans mouvement dix fois moins de
temps qu'un enfant dans son maillot ». Et c'est, mettant à profit sa
malléabilité, c'est cet agglomérat de cellules essentiellement mobiles, partout
et dans tous les sens en voie d'expansion, c'est cet enfant sans cesse
gesticulant qu'on a imaginé de soumettre à ce refoulement systématique, à la
torture de l'immobilité ? Regardez-le, d'ailleurs, quand son bourreau desserre
les bandes conjuguées ; voyez ses muscles se gonfler, ses traits s'épanouir,
bras et jambes rythmer des gambades de réjouissance, tout son corps faire
effort pour se ressaisir... et suivez sa pauvre figure renfrognée quand on
ramène sur lui l'encerclante prison. Il résiste d'ailleurs (et il y serait plus
disposé encore s'il ne jouissait de la satisfaction du nettoyage qui vient
d'accompagner sa mise à nu), il crie, pleure, se débat, dans la mesure où le
lui permettent ses entraves bientôt victorieuses, et ne se résigne que fatigué
de lutter... Les résultats physiques de ce beau régime ? Un médecin pénétré de
son rôle pourrait, dès la « délivrance », les mettre en relief devant les
gardiennes empressées de la tradition, qui ficèleront et épingleront bientôt
avec ferveur le nouveau venu : « La pression exagérée du maillot, dit Larousse,
paralyse les muscles et les ligaments, dont la texture est encore si molle. Les
os eux-mêmes peuvent changer de forme et de direction, surtout au niveau des
articulations, où la pression produit souvent du gonflement et des nodosités.
Les membres inférieurs, qu'on s'imagine rendre plus droits et plus réguliers en
les comprimant l'un contre l'autre avec une bande, affectent une tournure
disgracieuse ou des déviations irrémédiables. Le système circulaire n'est pas
moins affecté que le système osseux ; une forte compression sur tout le corps
empêche le sang d'arriver en quantité suffisante dans les capillaires
superficiels ; aussi le liquide nourricier, refluant dans les organes
intérieurs, aura une tendance à se concentrer vers les poumons et le cerveau ;
de là l'imminence des congestions pulmonaires et cérébrales ». « Mais c'est
surtout du côté de la poitrine qu'on observe les effets pernicieux du maillot.
Celui-ci nuit essentiellement à la liberté de la respiration, en empêchant
l'élévation des côtes et leur dilatation, ainsi que les mouvements connexes du
diaphragme au moment de l'inspiration. La quantité d'air qui pénètre dans les
poumons est insuffisante, l'enfant éprouve le besoin de respirer plus souvent,
et il peut conserver toute sa vie une respiration courte et gênée », sans
compter que la capacité réduite de la cage thoracique entraîne un véritable rachitisme
pulmonaire, particulièrement favorable à l'éclosion et au triomphe de la
tuberculose... Quant à la chaleur vitale, comme si elle était compatible avec
une circulation paralysée ! La survivance obstinée du maillot, sous ses formes
plus ou moins adoucies, tient, en même temps qu'au préjugé, au désir de
tranquillité des mères. L'usage du maillot les dispense de la surveillance et à
moins de crises intempestives, s'accommode d'un élargissement à heure fixe. Ce
qui n'empêche pas qu'on nous a chanté la propreté qu'il assure. Comme si,
derrière cet accoutrement, se pouvaient soupçonner, au moment opportun, les
besoins de l'enfant ! Les évacuations excrémentielles se produisent, la plupart
du temps, sans qu'on s'en aperçoive et seules les décèlent ou l'avertissement
de notre sens olfactif ou la plainte du patient embrené, comme eût dit
Rabelais. D'autre part, la nourrice a tendance à tergiverser devant cette
opération toujours compliquée de l'assemblage à défaire et à refaire. Elle
hésite, recule et l'attente est toujours préjudiciable à l'enfant. Au lieu de
la propreté qu'on nous promet, c'est surtout (dans une région déjà débilitée,
appauvrie par le manque d'air) l'inflammation des muqueuses au contact des
matières fécales, et les excoriations, fréquentes, consécutives... On connaît
les anathèmes de Rousseau contre ces liens funestes, opposés à la croissance du
sujet. Ils ont porté à la forme la plus rigoureuse du maillot un coup mortel.
Nous ne pouvons que les reprendre avec force et nous insurger encore contre ses
derniers vestiges. La coutume, nous le savons, a jeté du lest. On enroule les
bandelettes avec moins d'acharnement. Les bras ont échappé aux honneurs de la
ligature. Mais les langes multipliés continuent à paralyser les mouvements et àpriver
d'oxygène un épiderme sacrifié. Les jambes végètent toujours « à l'étouffée »
et les draperies ingénieuses ‒ la gloire des mères s'y complaît ‒ épousent
encore des formes impatientes. L'ensemble du maillot actuel ‒ dit « français »
‒ se compose d'une chemise et de plusieurs brassières et d'une sorte de long
étui « formé d'une serviette de linge dite « couche », dans les plis de
laquelle on enveloppe séparément les jambes, et, par-dessus, d'un ou deux
langes d'étoffe épaisse de coton ou de laine ». Le tout, enroulé autour du
corps, à la hauteur des bras, avec ses bords superposés, épinglés selon la
ligne du dos et le bas replié droit, a ainsi l'allure d'un sac. C'est dans ce
fourreau, plus ou moins serré selon le caprice ou le « savoir » des mères ou
des nourrices, que l'enfant accomplit, encore de nos jours, si je puis user de
ce terme sans ironie, sa première étape dans la vie. À cet équipement...
modernisé, certains substituent, soit dès les premiers temps, soit pour faire
suite au précédent, un maillot ‒ anglais, cette fois, ‒ qui consiste
principalement en un vêtement fait d'une robe ouverte devant et sans manches,
avec deux couches triangulaires (l'une de toile, l'autre de laine), formant
culotte. Déjà, depuis longtemps, sous la pression du bon sens, allié à une
meilleure connaissance de notre organisme, des médecins (Drs Périer, Foveau de
Courmelles, etc.), ont préconisé l'emploi du « maillot modifié », mais ils
n'ont conseillé qu'avec timidité l'adoption de la méthode que pratiquent
l'Angleterre et l'Amérique et dont nous avons souligné la simplicité judicieuse
et les bienfaits à propos des « nourriceries », du Familistère de Guise. Ce
procédé consiste à placer l'enfant dans le son où il s'ébat à son aise et d'où
ses déjections sont facilement expulsées, quitte, dans les régions froides ou
pour certaines natures débiles (qu'on entraînera d'ailleurs progressivement) à
l'envelopper la nuit dans quelque chaud lainage suffisamment lâche où dans une
pelisse appropriée à l'âge et à la saison. L'enfant grandissant, le vêtement se
fera moins incommode, deviendra le petit manteau occasionnellement protecteur
sur les robes courtes, légères et flottantes... On peut, on le voit, concilier
la liberté des mouvements et les exigences de la croissance, obtenir la
température suffisante et en commander l'équilibre, sans étrangler, comme à
plaisir, les fonctions organiques. Il n'y a pas si longtemps ‒ pour une fois,
sous nos yeux, la mode s'est trouvée, assez tardivement, d'accord avec la
nature ‒ que le corset tenait dans son étau le buste féminin et que les
fillettes, sous prétexte de soutien... préalable, en connaissaient le supplice,
bien avant la puberté. Ainsi se prolongeait le maillot première prison de
l'enfance et symbole précoce d'esclavage physique... et moral. ‒ S. M. S.
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