samedi 5 juin 2021

La psychanalyse des masse du fascisme de Wilhlem Reich

 "Je ne voudrais pas entreprendre ici une analyse détaillée du sentiment religieux, mais simplement résumer les faits connus. Les phénomènes d’excitation orgastique touchent à un point déterminé le problème de l’excitation religieuse, à commencer par l’abandon naïf du croyant jusqu’à l’extase religieuse la plus caractéristique. Il ne faut pas limiter la notion d’excitation religieuse aux sentiments qu’éprouvent les individus particulièrement pieux quand ils assistent par exemple à une cérémonie religieuse. Elle comprend également certains états d’excitation psychique ou physique, comme l’excitation de masses subjuguées vibrant au discours d’un leader bien-aimé; elle comprend aussi, évidemment, l’excitation que l’on ressent en présence de phénomènes naturels majestueux. Dressons pour commencer la liste des phénomènes religieux dont on avait connaissance avant les recherches de l’économie sexuelle. 

La science sociale a pu prouver que les formes et aussi certains contenus de la religion étaient tributaires des stades d’évolution de la situation socio-économique. C’est ainsi par exemple que les religions animales dérivent des modes de vie des peuplades de chasseurs primitives. L’idée que les hommes se font des êtres divins et surnaturels est normalement déterminée par la situation économique et culturelle. Au plan sociologique, les représentations religieuses sont essentiellement déterminées par l’aptitude des hommes à maîtriser la nature et les difficultés sociales. L’impuissance devant les forces de la nature et les catastrophes sociales élémentaires favorise, dans les unités de civilisation concernées, la production d’idéologies religieuses. L’explication sociologique de la religion se réfère donc au terrain socio-économique sur lequel s’édifient des cultes religieux. Elle ne révèle rien du dynamisme de l’idéologie religieuse ni du processus psychique auquel elle soumet les hommes qui y adhèrent. 

La création de cultes religieux est donc indépendante de la volonté de l’individu: il s’agit de formations sociologiques issues des relations entre individus et des rapports de ces individus avec la nature. 

La psychologie de l’inconscient a ajouté à l’appréhension sociologique de la religion l’appréhension psychologique ; après avoir déterminé les conditions sociologiques des cultes religieux, on s’est mis à explorer le processus psychologique qui se déroule à l’intérieur des individus soumis aux cultes religieux objectifs. C’est ainsi que la psychanalyse a pu établir que la représentation de Dieu s’identifie à la représentation du père alors que la Mère de Dieu coïncide avec la mère de chaque homme religieux. La Trinité de la religion chrétienne reflète directement le triangle père, mère, enfant. Les contenus psychiques de la religion sont empruntés aux relations familiales de la prime enfance. 

L’explication psychologique saisit donc les contenus de la civilisation religieuse, mais elle n’appréhende pas l’énergie grâce à laquelle elle s’enracine dans l’homme. Elle n’a jamais pu élucider l’origine de la richesse affective et du caractère émotionnel des représentations religieuses. On n’a pas mieux compris pourquoi les représentations d’un père très puissant et d’une mère charitable ont été transférées dans le domaine mystique et comment elles s’articulaient avec la vie sexuelle des individus. 

Bon nombre de sociologues ont été frappés par le caractère orgastique de plusieurs religions patriarcales. De même a-t-on pu établir que les religions patriarcales sont toujours politiquement réactionnaires. Elles servent toujours les intérêts de la couche dominante de chaque société de classes et empêchent dans la pratique l’élimination de la détresse des masses en la présentant comme voulue de Dieu et en consolant les fidèles par la perspective d’un meilleur au-delà. 

Les recherches de l’économie sexuelle en matière de religion enrichissent nos connaissances en ajoutant aux problèmes traités trois autres: 

1) Comment la représentation de Dieu, l’idéologie du péché et de la punition, produites sur le plan social et reproduites par le milieu familial, prennent-elles racine dans chaque individu? En d’autres termes, sous l’effet de quelle contrainte ces représentations fondamentales, loin d’êtres ressenties comme un fardeau, sont-elles acceptées, parfois même recherchées avec une sorte de passion, maintenues et défendues au prix des intérêts vitaux les plus élémentaires? 

2) À quel moment s’opère l’ancrage des représentations religieuses dans les hommes? 

3) Grâce à quelle énergie ce processus peut-il prendre place? 

Si l’on ne trouve pas réponse à ces trois questions, on peut bien procéder à l’interprétation sociologique et psychologique de la religion mais on ne peut changer, dans le concret, les structures humaines. Car si les sentiments religieux ne sont pas imposés à l’homme, mais accueillis et retenus dans ses structures, bien qu’ils soient contraires aux intérêts vitaux des individus, nous avons affaire à une modification énergétique de ces structures mêmes. 

L’idée fondamentale de toutes les religions patriarcales est la négation du besoin sexuel. Cette règle ne comporte aucune exception, si l’on fait abstraction des religions primitives pro-sexuelles, qui fondaient en une unité le domaine religieux et le domaine sexuel. Lors du passage de l’organisation sociale fondée sur le droit naturel et le matriarcat à celle du patriarcat et de ce fait à la société de classe patriarcale, l’unité du culte religieux et du culte sexuel se brisa; le culte religieux se dressa en adversaire du culte sexuel. Ainsi, le culte sexuel cessa d’exister pour faire place à l’anti-culture sexuelle des bordels, de la pornographie et des amours en cachette. On n’a pas besoin d’invoquer d’autres motivations pour affirmer qu’à l’instant même où l’unité de l’expérience sexuelle et de l’expérience religieuse était rompue pour faire place à son contraire, l’émotion religieuse devait devenir en même temps un succédané de l’acte de plaisir perdu, qui naguère avait trouvé l’approbation de la société. La puissance et la persévérance des religions ne s’explique que par cette contradiction interne de l’émotion religieuse qui est à la fois anti-sexualité et formation substitutive."

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