samedi 19 juin 2021

Lignes n 61 collection dirigee par Michel Surya

 Extraits de « Nous, les planétaires » (vers la première externationale)

 

 Par Frédéric Neyrat

 

«Globale est la « simplification » du monde telle qu’elle a été engendrée par les plantations esclavagistes (monocultures engendrant la »prolifération féroce » de virus et plantes indésirables), la réduction du monde à des quantités abstraites, à une équivalence (des marchandises), à l’application de normes économiques, sociales et biopolitiques (politique néolibérale du FMI). Cette réduction repose sur des procédures de simulation et de virtualisation à but de gouvernementalité, visant le contrôle des populations, la maintenance des pôles discursifs hégémoniques, la domination impérialiste et néo-impérialiste, la souveraineté policière des Etats, la suprématie blanche, nationaliste et religieuse (c’est-à-dire anti-minoritaire). Cette simulation est injectée dans la réalité ou plutôt comme réalité à l’échelon dit local, ce dernier étant une localité de second ordre, produit pour les besoins économiques et socio-politiques, de reproduction du monde des vainqueurs. » 

 

« L’autonomie véritable n’est en effet pas fondée contre une extérieur dont il faudrait se prémunir, mais elle est précisément ce qui tend à se relier à ce monde en reconnaissant de ce dernier la nécessaire et bénéfique, altérité. »

 

« Le terme de monde est en effet traditionnellement rattaché à l’humanité et ses productions, et nous savons pourtant que l’un des maux de notre modernité globale tardive (ou disons attardée) est de périr par anthropofusion –la fusion de tout ce qui existe sur Terre dans la profusion de l’humain. »

 

« Je propose donc d’élire le terme de planétaire, parce que : 1 il complète le terrestre avec les autres éléments – pour user de ce concept : air, eau et feu, autrement dit il évite la sursédentérisation que convoque la terrestrialité ; 2. Il évite également l’anthropocentrisme de la mondialité : le planétaire met en présence de l’inhumain. On dira certes que la Terre n’est pas seulement l’affaire des humains, qu’elle est aussi et peut-être même d’abord et avant tout le lieu où règnent les non-humains, des bactéries aux plantes en passant par les insectes ; mais mon objectif n’est pas d’opposer le plantaire au terrestre ou la planète à la Terre ; je cherche bien plutôt – rejoignant le geste de Spivak- à réécrire la Terre autrement. La Terre est certes parcourue du non-humain ; mais le terme de planétaire cherche à modifier le rapport du non-humain avec l’humain : tous deux sont traversés pat l’inhumain que le planétaire décrit. Loin d’être une vue d’en haut, le planétaire remonte de l’intérieur des terrestres et les écarte d’eux-mêmes ; loin d’être terre ferme, le planétaire est la tectonique des plaques qui fait passer au milieu des terrestres des failles, des écarts par où remontent les matériaux en fusion qui se déposeront et donneront lieu à la stabilité provisoire des terres et des territoires ; il est lave, mais aussi geyser, éclair striant le ciel ; éclosion et déhiscence. Le planétaire ne dépasse pas les identités à l’altérité qui les expose aux autres et, en les exposant, les entraine jusqu’aux bords de la terre, c’est-à-dire l’autre que je méconnaissais, que je ne (re)connaissais pas encore, la minorité oubliée ou le minoritaire qui en moi-même patientait. »

 

« Tous, donc, peuvent participer au niveau planétaire, selon les pratiques et discours par lesquels s’allient, parfois brièvement, les êtres, humains ou non, qui peuplent la Terre,  la mer et le ciel. Tout ce qui existe « sur » Terre est à la fois partie prenante de la Terre, et affranchie d’elle par ce qui en elle n’est pas seulement elle : une pierre, comme un humain, mais peut-être plus encore qu’un humain, renferme en elle – dans son silence, son état non touché par la vie comme par la mort – l’échappée extra-terrestre. Cette liberté n’est pas une licence octroyée par quelque transcendance elle est ce qui déchire l’immanence et donne à la politique l’assise cosmologique de son anarchie, le centre sombre qu’aucune politique, communiste ou démocrate, ne saurait occuper qu’à entrainer le malheur. Les humains ont cette liberté supplémentaire consistant à développer la liberté jusque dans ses manifestations les plus abstraites, ces idéalités qui miment les algorithmes. Liberté aussi de s’allier avec l’inhumain – d’être forêt, par identification impossible, c’est-à-dire capacité à être vraiment ce que l’on ne peut pas vraiment être, aussi brève soit cet être-l’autre. Nous, les planétaires, sommes ceux qui communiquent sur Terre grâce à notre planétarité, ceux qui s’allient par ce qui n’est pas seulement eux-mêmes, cette condition planétaire qui les traverse et les entraine plus loin que là où ils croyaient être. Nous, les planétaires, avons cette liberté de nous égaler avec les incommensurables, dans une fusion sans confusion. »

Aucun commentaire: