Extraits de « Nous, les planétaires » (vers la première externationale)
Par Frédéric Neyrat
«Globale est la « simplification »
du monde telle qu’elle a été engendrée par les plantations esclavagistes (monocultures
engendrant la »prolifération féroce » de virus et plantes
indésirables), la réduction du monde à des quantités abstraites, à une
équivalence (des marchandises), à l’application de normes économiques, sociales
et biopolitiques (politique néolibérale du FMI). Cette réduction repose sur des
procédures de simulation et de virtualisation à but de gouvernementalité,
visant le contrôle des populations, la maintenance des pôles discursifs
hégémoniques, la domination impérialiste et néo-impérialiste, la souveraineté
policière des Etats, la suprématie blanche, nationaliste et religieuse (c’est-à-dire
anti-minoritaire). Cette simulation est injectée dans la réalité ou plutôt
comme réalité à l’échelon dit local, ce dernier étant une localité de second
ordre, produit pour les besoins économiques et socio-politiques, de
reproduction du monde des vainqueurs. »
« L’autonomie véritable n’est
en effet pas fondée contre une extérieur dont il faudrait se prémunir, mais
elle est précisément ce qui tend à se relier à ce monde en reconnaissant de ce
dernier la nécessaire et bénéfique, altérité. »
« Le terme de monde est
en effet traditionnellement rattaché à l’humanité et ses productions, et nous
savons pourtant que l’un des maux de notre modernité globale tardive (ou disons
attardée) est de périr par anthropofusion
–la fusion de tout ce qui existe sur Terre dans la profusion de l’humain. »
« Je propose donc d’élire
le terme de planétaire, parce que :
1 il complète le terrestre avec les autres éléments – pour user de ce
concept : air, eau et feu, autrement dit il évite la sursédentérisation que
convoque la terrestrialité ; 2. Il évite également l’anthropocentrisme de
la mondialité : le planétaire met en présence de l’inhumain. On dira
certes que la Terre n’est pas seulement l’affaire des humains, qu’elle est
aussi et peut-être même d’abord et avant tout le lieu où règnent les non-humains,
des bactéries aux plantes en passant par les insectes ; mais mon objectif
n’est pas d’opposer le plantaire au terrestre ou la planète à la Terre ;
je cherche bien plutôt – rejoignant le geste de Spivak- à réécrire la Terre
autrement. La Terre est certes parcourue du non-humain ; mais le terme de
planétaire cherche à modifier le rapport du non-humain avec l’humain :
tous deux sont traversés pat l’inhumain que le planétaire décrit. Loin d’être
une vue d’en haut, le planétaire remonte de l’intérieur des terrestres et les écarte
d’eux-mêmes ; loin d’être terre ferme, le planétaire est la tectonique des
plaques qui fait passer au milieu des terrestres des failles, des écarts par où
remontent les matériaux en fusion qui se déposeront et donneront lieu à la
stabilité provisoire des terres et des territoires ; il est lave, mais
aussi geyser, éclair striant le ciel ; éclosion et déhiscence. Le
planétaire ne dépasse pas les identités à l’altérité qui les expose aux autres
et, en les exposant, les entraine jusqu’aux bords de la terre, c’est-à-dire l’autre
que je méconnaissais, que je ne (re)connaissais pas encore, la minorité oubliée
ou le minoritaire qui en moi-même patientait. »
« Tous, donc, peuvent
participer au niveau planétaire, selon les pratiques et discours par lesquels s’allient,
parfois brièvement, les êtres, humains ou non, qui peuplent la Terre, la mer et le ciel. Tout ce qui existe « sur »
Terre est à la fois partie prenante de la Terre, et affranchie d’elle par ce
qui en elle n’est pas seulement elle : une pierre, comme
un humain, mais peut-être plus encore qu’un humain, renferme en elle – dans son
silence, son état non touché par la vie comme par la mort – l’échappée
extra-terrestre. Cette liberté n’est pas une licence octroyée par quelque transcendance
elle est ce qui déchire l’immanence et donne à la politique l’assise
cosmologique de son anarchie, le centre sombre qu’aucune politique, communiste
ou démocrate, ne saurait occuper qu’à entrainer le malheur. Les humains ont
cette liberté supplémentaire consistant à développer la liberté jusque dans ses
manifestations les plus abstraites, ces idéalités qui miment les algorithmes.
Liberté aussi de s’allier avec l’inhumain – d’être forêt, par identification
impossible, c’est-à-dire capacité à être vraiment
ce que l’on ne peut pas vraiment
être, aussi brève soit cet être-l’autre. Nous, les planétaires, sommes ceux qui
communiquent sur Terre grâce à notre planétarité, ceux qui s’allient par ce qui
n’est pas seulement eux-mêmes, cette condition planétaire qui les traverse et
les entraine plus loin que là où ils croyaient être. Nous, les planétaires,
avons cette liberté de nous égaler avec les incommensurables, dans une fusion
sans confusion. »
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