jeudi 24 juin 2021

MAÎTRE, MAÎTRISE encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


*Dans les corporations médiévales, l'ouvrier devait passer par trois grades successifs, s'il voulait tenir lui-même boutique et devenir patron : l'apprentissage, le compagnonnage, la maîtrise. Peut-être l'idée qui présida à cette institution fut-elle d'arrêter l'artisan incapable ; mais rapidement elle dégénéra, les riches ou les fils de patron arrivant, ou presque seuls, à la maîtrise, conférée après la fabrication longue et souvent ruineuse du chef-d'œuvre exigé par les règlements. On sait que la Révolution française abolit les corporations et laissa chacun libre d'ouvrir une boutique à son compte. La franc-maçonnerie a gardé, dit-on, les grades d'apprenti, de compagnon et de maître, entendus non plus dans le sens d'une habileté professionnelle de plus en plus grande, mais d'une formation intellectuelle et politique plus poussée. On continue également d'appeler « maîtres », les grands artistes, les grands écrivains, les grands savants, ou du moins ceux que l'on suppose grands, ainsi que les avocats inscrits au barreau. Ce terme est fréquemment employé par flagornerie, dans le but de mieux duper celui à qui on l'adresse. « Ce gandin, qui donne du « cher maître » aux badernes falotes de Sorbonne ou de l'Institut, attend le succès de leur vanité satisfaite, non de ses mérites personnels », lit-on dans Par delà l'Intérêt. En un sens différent mais qui reste voisin parce qu'il implique l'idée de supériorité, le maître est celui qui commande, celui auquel on obéit. Le propriétaire de l'esclave, dans l'antiquité, était son maître ; aujourd'hui l'ouvrier a pour maître le patron qui le fait travailler le plus possible mais le rétribue au plus bas prix. Dans l'armée, le malheureux soldat est contraint d'obéir aux innombrables galonnés qui s'arrogent sur lui tous les droits, même celui de l'obliger à tuer s'il ne veut être tué lui-même. Chefs d'État et ministres disposent également de la liberté et des biens de leurs administrés ; ce sont les maîtres, le simple citoyen n'ayant qu'à payer des impôts et se taire. Quant aux prêtres, ils détiennent la clef du paradis et des trésors spirituels ; c'est eux qui dominent sur les âmes. Maîtres spirituels, ils déforment les cerveaux enfantins, d'accord sur ce point avec les instituteurs du gouvernement, préposés au maintien des dogmes d'État. Qui dira les méfaits de ces prétendus maîtres, de ces diplômés de tout grade chargés par les forts de préparer des générations d'esclaves ! Méprisons ces faux savants qui peuvent connaître tout ce qu'on a dit avant eux, mais dont l'esprit n'est pas libre et qui acceptent d'être les chiens de garde de la société. ‒

 L. B

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