*Dans les corporations médiévales,
l'ouvrier devait passer par trois grades successifs, s'il voulait tenir
lui-même boutique et devenir patron : l'apprentissage, le compagnonnage, la
maîtrise. Peut-être l'idée qui présida à cette institution fut-elle d'arrêter
l'artisan incapable ; mais rapidement elle dégénéra, les riches ou les fils de
patron arrivant, ou presque seuls, à la maîtrise, conférée après la fabrication
longue et souvent ruineuse du chef-d'œuvre exigé par les règlements. On sait
que la Révolution française abolit les corporations et laissa chacun libre
d'ouvrir une boutique à son compte. La franc-maçonnerie a gardé, dit-on, les
grades d'apprenti, de compagnon et de maître, entendus non plus dans le sens
d'une habileté professionnelle de plus en plus grande, mais d'une formation
intellectuelle et politique plus poussée. On continue également d'appeler «
maîtres », les grands artistes, les grands écrivains, les grands savants, ou du
moins ceux que l'on suppose grands, ainsi que les avocats inscrits au barreau.
Ce terme est fréquemment employé par flagornerie, dans le but de mieux duper
celui à qui on l'adresse. « Ce gandin, qui donne du « cher maître » aux
badernes falotes de Sorbonne ou de l'Institut, attend le succès de leur vanité
satisfaite, non de ses mérites personnels », lit-on dans Par delà l'Intérêt. En
un sens différent mais qui reste voisin parce qu'il implique l'idée de
supériorité, le maître est celui qui commande, celui auquel on obéit. Le
propriétaire de l'esclave, dans l'antiquité, était son maître ; aujourd'hui
l'ouvrier a pour maître le patron qui le fait travailler le plus possible mais
le rétribue au plus bas prix. Dans l'armée, le malheureux soldat est contraint
d'obéir aux innombrables galonnés qui s'arrogent sur lui tous les droits, même
celui de l'obliger à tuer s'il ne veut être tué lui-même. Chefs d'État et
ministres disposent également de la liberté et des biens de leurs administrés ;
ce sont les maîtres, le simple citoyen n'ayant qu'à payer des impôts et se
taire. Quant aux prêtres, ils détiennent la clef du paradis et des trésors
spirituels ; c'est eux qui dominent sur les âmes. Maîtres spirituels, ils
déforment les cerveaux enfantins, d'accord sur ce point avec les instituteurs
du gouvernement, préposés au maintien des dogmes d'État. Qui dira les méfaits
de ces prétendus maîtres, de ces diplômés de tout grade chargés par les forts
de préparer des générations d'esclaves ! Méprisons ces faux savants qui peuvent
connaître tout ce qu'on a dit avant eux, mais dont l'esprit n'est pas libre et
qui acceptent d'être les chiens de garde de la société. ‒
L. B
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