« Pour résoudre ce problème il faut en premier lieu donner à la notion de la liberté de la femme le contenu de la liberté sexuelle. Il ne faut jamais oublier que beaucoup de femmes supportent mal, dans la famille, leur dépendance matérielle par rapport à l’homme, non pas pour des raisons de principe, mais à cause des restrictions sexuelles que cette situation leur impose. Pour le prouver, il suffit de se souvenir que des femmes ayant refoulé et réduit au silence leur sexualité ne supportent pas seulement facilement et sans rechigner leur dépendance économique mais vont jusqu’à l’approuver. L’éveil de la conscience sexuelle de ces femmes, leur mise en garde expresse contre les dangers de l’ascétisme, sont les préalables essentiels à l’exploitation politique de leur dépendance par rapport à l’homme. Si les organisations d’économie sexuelle sont incapables d’assumer ce travail, la nouvelle vague de répression sexuelle fasciste finira par masquer aux femmes leur rôle d’esclaves. En Allemagne et dans d’autres pays hautement industrialisés, toutes les conditions sont remplies pour qu’on assiste sous peu à la révolte impétueuse des femmes et des jeunes contre la réaction sexuelle. Si l’on pratiquait dans ce domaine une politique sexuelle, conséquente et impitoyable, on mettrait un terme à un problème qui n’a jamais cessé de donner du fil à retordre à nos libres penseurs et à nos politiciens, problèmes qui les a toujours laissés perplexes: «Pourquoi les femmes et la jeunesse rallient-elles si facilement le camp de la réaction politique?» Il n’est pas de domaine qui révèle plus nettement la fonction sociale de la répression sexuelle, la corrélation étroite entre refoulement sexuel et idéologie politique réactionnaire. »
« L’attitude apolitique
n’est pas, comme on pourrait le croire, un état psychique passif, mais une
prise de position très active, une défense contre le sentiment de sa propre
responsabilité politique. L’analyse de cette défense fournit des résultats très
nets qui éclairent plus d’une énigme concernant l’attitude des larges masses
apolitiques. Beaucoup d’intellectuels moyens «qui ne veulent pas entendre
parler de politique», défendent en réalité leurs intérêts économiques immédiats
et se font du souci pour leur existence qui dépend entièrement de l’opinion
publique à laquelle ils sacrifient de la manière la plus grotesque leur savoir
et leurs convictions intimes. Quant aux personnes engagées dans le processus de
production et qui fuient néanmoins leurs responsabilités sociales, on peut les
diviser en doux grands groupes: chez les uns, la notion de «politique»
s’associe à l’idée de violence et de danger physique, autrement dit à une forte
angoisse qui les empêche de s’orienter en fonction de la réalité. Chez les
autres, qui sont probablement la majorité, le manque de conscience sociale est
Imputable à des conflits et des préoccupations personnelles, parmi lesquels les
difficultés sexuelles occupent le premier plan. Quand une jeune employée, qui
aurait mille raisons économiques de prendre conscience de ses responsabilités
sociales, s’en désintéresse, dans 99 % des cas, c’est une «histoire d’amour»,
ou pour parler sérieusement, un conflit sexuel, qui en est la cause. La
même remarque s’applique à la petite bourgeoise qui a besoin de toutes ses
énergies psychiques pour ne pas s’effondrer sous le poids de ses difficultés
sexuelles. Le mouvement révolutionnaire a méconnu jusqu’ici cette situation et
a essayé de politiser l’homme «apolitique» en lui faisant prendre conscience de
ses intérêts économiques restés insatisfaits. La pratique prouve que de telles
personnes sont peu enclines à prêter l’oreille aux explications économiques,
mais qu’elles se laissent volontiers séduire par la phraséologie mystique des
national-socialistes, même si ces derniers font peu de cas de leurs intérêts
économiques. Comment expliquer ce fait? Par de graves conflits sexuels (au sens
le plus large du terme) qui, d’une manière consciente ou inconsciente, inhibent
la pensée rationnelle et l’épanouissement de la responsabilité sociale,
intimident la personne qui en souffre, l’isolent en quelque sorte vers
l’extérieur. Quand une telle personne tombe sur un fasciste habitué à se servir
de la crédulité et du mysticisme de ses concitoyens, autrement dit à faire
appel à des moyens sexuels, libidinaux, elle s’intéresse vivement à lui, non
pas parce qu’elle préfère le programme fasciste au programme libéral, mais
parce que l’abandon au führer et à son idéologie lui procure un relâchement
momentané de sa tension intérieure, parce qu’elle peut transposer son conflit
sur un autre plan et le résoudre; mieux, une telle personne est capable de voir
dans le fasciste le révolutionnaire, de considérer Hitler comme le Lénine
allemand. Point n’est besoin d’être psychologue pour comprendre pourquoi une
petite bourgeoise, désespérément frustrée sur le plan sexuel, qui n’a jamais
songé à sa responsabilité sociale, pourquoi une petite vendeuse intellectuellement
et sexuellement sous-développée succombe à l’érotisme tapageur du fascisme qui
procure à l’une et à l’autre une sorte de satisfaction – déformée il est vrai. »
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