Le nouveau mouvement ouvrier
On peut comprendre que le livre de Grossmann ait éveillé un intérêt certain
chez les porte[1]parole
du nouveau mouvement ouvrier, parce qu’il s’attaque aux mêmes ennemis. Ces
porte[1]parole
combattent en effet la Sociale démocratie et les partis communistes de la
troisième internationale, deux branches issues d’un même tronc, parce que tous
les deux adaptent la classe ouvrière au capitalisme. Grossmann reproche aux
théoriciens de ces organisations d’avoir déformé et falsifié l’enseignement de
Marx et il met l’accent sur l’inévitabilité de l’effondrement du capitalisme.
Ses conclusions sonnent quelque peu comme les nôtres ; mais leur esprit et leur
essence sont tout à fait différents. Nous aussi sommes d’avis que les
théoriciens social-démocrates, même s’ils avaient une bonne connaissance – et
c’était souvent le cas- de la théorie marxienne, ont déformé pourtant
l’enseignement de Marx ; mais nous pensons que leur erreur est une erreur
historique qui correspond, sur le plan théorique, à la défaite de la lutte
prolétarienne au cours d’une période révolue. L’erreur de Grossmann est celle
d’un économiste national bourgeois qui ne connaît rien à la pratique de la
lutte prolétarienne et qui par conséquent, passe à côté de, ou même interprète
à contre sens, l’essence du marxisme. Donnons un exemple de la manière dont les
conclusions de Grossmann qui peuvent paraître en accord avec les conceptions du
nouveau mouvement ouvrier, sont en réalité totalement opposées dans leur
essence ; celui de la théorie du salaire. Selon le schéma, au bout de 35 ans,
l’effondrement se produit entraînant avec lui un chômage en rapide extension.
Il s’en suit que le salaire doit tomber très en dessous de la valeur de la
force de travail et cela sans qu’une résistance efficace soit possible. Voilà
où se trouve la limite objective de l’action syndicale, nous dit Grossmann [op.
cit., p. 579]. Et cette phrase sonne comme quelque chose de familier ; pourtant
la base en est toute différente. L’impuissance et l’inefficacité de l’action
syndicale existent depuis longtemps et on ne peut les attribuer à un
effondrement économique, mais à un déplacement des forces sociales. Chacun sait
comment la puissance sans cesse accrue des associations d’entrepreneurs
(trusts) du Grand Capital concentré a relativement affaibli la classe ouvrière.
Aujourd’hui nous sommes face à une crise économique importante qui, comme
toutes les crises qui l’on précédée, entraîne une baisse des salaires. L’effondrement
purement économique que Grossmann fabrique, n’entraîna pas, selon lui, la
passivité totale du prolétariat. En effet quand cet effondrement se produit, la
classe ouvrière doit se lever, unie pour modifier la production et l’installer
sur d’autres bases. Ainsi le développement pousse au déploiement et à
l’exaspération de la contradiction interne entre capital et travail, jusqu’à ce
que la résolution de ces contradictions ne puisse être trouvée que par la lutte
entre les deux. [id.] Et ce combat final reste cohérent avec la lutte pour les
salaires parce que (comme il a déjà été dit plus haut) la catastrophe qui a été
quelque peu ajournée par la baisse des salaires, sera accélérée s’il y a une
remontée de ceux-ci. La catastrophe n’en reste pas moins l’impulsion
essentielle et la nouvelle régulation s’imposera de force aux hommes. Sans
doute les travailleurs, en tant que masse de la population, donneront la force,
l’armée lourde de la révolution, tout comme ils avaient fourni les masses dans
les révolutions bourgeoises du passé. Mais ils le feront, comme lors de ces
révoltes de la faim, indépendamment en quelque sorte de leur maturité révolutionnaire,
de leur capacité personnelle, et c’est cela prendre en mains la maîtrise de la
société et la garder ! Ceci revient à dire qu’un groupe révolutionnaire, un
parti affichant des buts révolutionnaires, devra prendre la place de l’ancienne
domination et introduire, au lieu du capitalisme une quelconque économie
planifiée. Cette théorie de l’effondrement convient donc tout à fait bien aux
intellectuels qui se sont rendus compte de la faiblesse du capitalisme et qui
veulent une économie planifiée qui doit être construite par des économistes et
des dirigeants capables. D’ailleurs on doit s’attendre à voir sortir de ce
cercle encore bien d’autres théories du même genre, ou, si elles n’en sortent
pas, en recevoir l’approbation. Mais même parmi les ouvriers révolutionnaires
la théorie de l’inévitabilité de la catastrophe peut exercer une attraction
certaine. Ils voient en effet la grande masse du prolétariat suivre encore les
vieilles organisations, les vieux leaders, utiliser les vieilles méthodes,
rester aveugle aux tâches qui l’attendent et qui lui imposent les nouveaux
développements, bref rester passive, immobile, sans trace d’énergie
révolutionnaire. Et les quelques révolutionnaires qui se rendent compte de cet
état de fait pourraient en venir à souhaiter une catastrophe économique qui,
tombant sur les masses abêties, les sortent de leur léthargie et les force à
entrer en action., sans compter que la théorie selon laquelle le capitalisme
est entré dans sa crise finale constitue une réfutation définitive, frappante
et simple, de tous les réformismes, de tous les programmes de partis qui se
livrent au travail parlementaire et au travail syndical, une preuve facilement
administrée que seule la tactique révolutionnaire est indispensable,si bien que
des groupes révolutionnaires peuvent être enclins à la considérer avec
sympathie. Mais en réalité le combat n’est ni si simple ni si aisé. Et cette
remarque est tout autant valable pour le combat qui se déroule au niveau des
principes et de l’administration des preuves. Le réformisme n’est pas une
tactique qui ne serait erronée que pendant les périodes de crise. Elle est
fausse tout autant pendant celles de prospérité. Le parlementarisme et la
tactique syndicale se sont montrés inefficaces non seulement pendant cette crise
mais aussi pendant toutes les années qui l’ont précédée. Et le prolétariat doit
passer à l’action de masse non pas pour lutter contre un effondrement
économique du capitalisme, mais au contraire pour s’opposer à son formidable
déploiement de puissance, à son extension à toute la terre, à l’exaspération de
ses contradictions, au renforcement brutal de sa force interne ; il doit y
consacrer la construction de la force de toute la classe. C’est dans le
développement de cette force que se trouve la base de la nouvelle orientation
du mouvement ouvrier. La classe ouvrière doit s’attendre à un grand nombre de
catastrophes et non spécialement espérer une catastrophe finale ; catastrophes
politiques comme la guerre et catastrophes économiques comme les crises, qui
ravageront toujours ce système, tantôt irrégulièrement. Plus ou moins
périodiquement, mais en gros allant en se renforçant au fur et à mesure que le
capitalisme se développe. Grâce à cela les illusions du prolétariat cesseront,
sa tendance au repos se dissipera de plus en plus et une lutte de classe, de
plus en plus forte, de plus en plus profonde, se développera. Si on l’examine
du point de vue de ces contradictions, il ne semble pas que la crise
d’aujourd’hui, pourtant plus profonde et plus ravageante que toutes celle qui
l’on précédées, montre des signes de l’éveil d’une révolution prolétarienne.
Mais ce quelle doit réaliser c’est la dissipation des vieilles illusions :
illusions, d’un côté, de rendre la capitalisme supportable par la politique
parlementaire social démocrate et l’action syndicale ; illusion, de l’autre, de
pouvoir bousculer le capitalisme par un assaut sous la direction d’un parti
communiste accoucheur de la révolution. C’est la classe ouvrière elle-même qui,
en tant que classe, doit mener le combat et qui a encore à trouver son chemin
vers de nouvelles formes de lutte, tandis que la bourgeoisie, elle, renforce sa
puissance. On ne pourra éviter qu’il y ait des combats encore plus durs
qu’autrefois. Et cette crise aussi peut se terminer, mais il viendra d’autres
crises et d’autres combats. C’est au cours de ces combats que la classe
ouvrière développera sa force, dégagera ses buts, s’éduquera et apprendra à
tenir debout par elle-même : alors elle prendra en mains son propre destin,
c’est-à-dire la production sociale. Et au cours de ce processus, s’accomplira
le déclin du capitalisme. L’auto libération du prolétariat, voilà l’écroulement
du capitalisme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire