samedi 26 juin 2021

PANNEKOEK : LA THÉORIE DE L’ÉCROULEMENT DU CAPITALISME (1934) PARTIE V

 

Le nouveau mouvement ouvrier On peut comprendre que le livre de Grossmann ait éveillé un intérêt certain chez les porte[1]parole du nouveau mouvement ouvrier, parce qu’il s’attaque aux mêmes ennemis. Ces porte[1]parole combattent en effet la Sociale démocratie et les partis communistes de la troisième internationale, deux branches issues d’un même tronc, parce que tous les deux adaptent la classe ouvrière au capitalisme. Grossmann reproche aux théoriciens de ces organisations d’avoir déformé et falsifié l’enseignement de Marx et il met l’accent sur l’inévitabilité de l’effondrement du capitalisme. Ses conclusions sonnent quelque peu comme les nôtres ; mais leur esprit et leur essence sont tout à fait différents. Nous aussi sommes d’avis que les théoriciens social-démocrates, même s’ils avaient une bonne connaissance – et c’était souvent le cas- de la théorie marxienne, ont déformé pourtant l’enseignement de Marx ; mais nous pensons que leur erreur est une erreur historique qui correspond, sur le plan théorique, à la défaite de la lutte prolétarienne au cours d’une période révolue. L’erreur de Grossmann est celle d’un économiste national bourgeois qui ne connaît rien à la pratique de la lutte prolétarienne et qui par conséquent, passe à côté de, ou même interprète à contre sens, l’essence du marxisme. Donnons un exemple de la manière dont les conclusions de Grossmann qui peuvent paraître en accord avec les conceptions du nouveau mouvement ouvrier, sont en réalité totalement opposées dans leur essence ; celui de la théorie du salaire. Selon le schéma, au bout de 35 ans, l’effondrement se produit entraînant avec lui un chômage en rapide extension. Il s’en suit que le salaire doit tomber très en dessous de la valeur de la force de travail et cela sans qu’une résistance efficace soit possible. Voilà où se trouve la limite objective de l’action syndicale, nous dit Grossmann [op. cit., p. 579]. Et cette phrase sonne comme quelque chose de familier ; pourtant la base en est toute différente. L’impuissance et l’inefficacité de l’action syndicale existent depuis longtemps et on ne peut les attribuer à un effondrement économique, mais à un déplacement des forces sociales. Chacun sait comment la puissance sans cesse accrue des associations d’entrepreneurs (trusts) du Grand Capital concentré a relativement affaibli la classe ouvrière. Aujourd’hui nous sommes face à une crise économique importante qui, comme toutes les crises qui l’on précédée, entraîne une baisse des salaires. L’effondrement purement économique que Grossmann fabrique, n’entraîna pas, selon lui, la passivité totale du prolétariat. En effet quand cet effondrement se produit, la classe ouvrière doit se lever, unie pour modifier la production et l’installer sur d’autres bases. Ainsi le développement pousse au déploiement et à l’exaspération de la contradiction interne entre capital et travail, jusqu’à ce que la résolution de ces contradictions ne puisse être trouvée que par la lutte entre les deux. [id.] Et ce combat final reste cohérent avec la lutte pour les salaires parce que (comme il a déjà été dit plus haut) la catastrophe qui a été quelque peu ajournée par la baisse des salaires, sera accélérée s’il y a une remontée de ceux-ci. La catastrophe n’en reste pas moins l’impulsion essentielle et la nouvelle régulation s’imposera de force aux hommes. Sans doute les travailleurs, en tant que masse de la population, donneront la force, l’armée lourde de la révolution, tout comme ils avaient fourni les masses dans les révolutions bourgeoises du passé. Mais ils le feront, comme lors de ces révoltes de la faim, indépendamment en quelque sorte de leur maturité révolutionnaire, de leur capacité personnelle, et c’est cela prendre en mains la maîtrise de la société et la garder ! Ceci revient à dire qu’un groupe révolutionnaire, un parti affichant des buts révolutionnaires, devra prendre la place de l’ancienne domination et introduire, au lieu du capitalisme une quelconque économie planifiée. Cette théorie de l’effondrement convient donc tout à fait bien aux intellectuels qui se sont rendus compte de la faiblesse du capitalisme et qui veulent une économie planifiée qui doit être construite par des économistes et des dirigeants capables. D’ailleurs on doit s’attendre à voir sortir de ce cercle encore bien d’autres théories du même genre, ou, si elles n’en sortent pas, en recevoir l’approbation. Mais même parmi les ouvriers révolutionnaires la théorie de l’inévitabilité de la catastrophe peut exercer une attraction certaine. Ils voient en effet la grande masse du prolétariat suivre encore les vieilles organisations, les vieux leaders, utiliser les vieilles méthodes, rester aveugle aux tâches qui l’attendent et qui lui imposent les nouveaux développements, bref rester passive, immobile, sans trace d’énergie révolutionnaire. Et les quelques révolutionnaires qui se rendent compte de cet état de fait pourraient en venir à souhaiter une catastrophe économique qui, tombant sur les masses abêties, les sortent de leur léthargie et les force à entrer en action., sans compter que la théorie selon laquelle le capitalisme est entré dans sa crise finale constitue une réfutation définitive, frappante et simple, de tous les réformismes, de tous les programmes de partis qui se livrent au travail parlementaire et au travail syndical, une preuve facilement administrée que seule la tactique révolutionnaire est indispensable,si bien que des groupes révolutionnaires peuvent être enclins à la considérer avec sympathie. Mais en réalité le combat n’est ni si simple ni si aisé. Et cette remarque est tout autant valable pour le combat qui se déroule au niveau des principes et de l’administration des preuves. Le réformisme n’est pas une tactique qui ne serait erronée que pendant les périodes de crise. Elle est fausse tout autant pendant celles de prospérité. Le parlementarisme et la tactique syndicale se sont montrés inefficaces non seulement pendant cette crise mais aussi pendant toutes les années qui l’ont précédée. Et le prolétariat doit passer à l’action de masse non pas pour lutter contre un effondrement économique du capitalisme, mais au contraire pour s’opposer à son formidable déploiement de puissance, à son extension à toute la terre, à l’exaspération de ses contradictions, au renforcement brutal de sa force interne ; il doit y consacrer la construction de la force de toute la classe. C’est dans le développement de cette force que se trouve la base de la nouvelle orientation du mouvement ouvrier. La classe ouvrière doit s’attendre à un grand nombre de catastrophes et non spécialement espérer une catastrophe finale ; catastrophes politiques comme la guerre et catastrophes économiques comme les crises, qui ravageront toujours ce système, tantôt irrégulièrement. Plus ou moins périodiquement, mais en gros allant en se renforçant au fur et à mesure que le capitalisme se développe. Grâce à cela les illusions du prolétariat cesseront, sa tendance au repos se dissipera de plus en plus et une lutte de classe, de plus en plus forte, de plus en plus profonde, se développera. Si on l’examine du point de vue de ces contradictions, il ne semble pas que la crise d’aujourd’hui, pourtant plus profonde et plus ravageante que toutes celle qui l’on précédées, montre des signes de l’éveil d’une révolution prolétarienne. Mais ce quelle doit réaliser c’est la dissipation des vieilles illusions : illusions, d’un côté, de rendre la capitalisme supportable par la politique parlementaire social démocrate et l’action syndicale ; illusion, de l’autre, de pouvoir bousculer le capitalisme par un assaut sous la direction d’un parti communiste accoucheur de la révolution. C’est la classe ouvrière elle-même qui, en tant que classe, doit mener le combat et qui a encore à trouver son chemin vers de nouvelles formes de lutte, tandis que la bourgeoisie, elle, renforce sa puissance. On ne pourra éviter qu’il y ait des combats encore plus durs qu’autrefois. Et cette crise aussi peut se terminer, mais il viendra d’autres crises et d’autres combats. C’est au cours de ces combats que la classe ouvrière développera sa force, dégagera ses buts, s’éduquera et apprendra à tenir debout par elle-même : alors elle prendra en mains son propre destin, c’est-à-dire la production sociale. Et au cours de ce processus, s’accomplira le déclin du capitalisme. L’auto libération du prolétariat, voilà l’écroulement du capitalisme.

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