jeudi 10 juin 2021

Confins du confinement par Alain Hobé

"Chez soi. Dans son absence au monde devenue malgré tout, malgré soi, l'absence de monde. Depuis son triste enfermement dans un quotidien sans élan, qui est aussi la triste assignation à sa personne, à ses vétilles et ses nécessités tout exclusives des douleurs endurées par ses contemporains. Chez soi, chez le soi de son être inquiet pour ses proches et pour lui, pour ses amis, dans la fluctuation des rapports au malheur qui en relativise l'acuité. Manifestant dès lors une cruauté dans l'inégalité des soucis qu'on se fait, quoi qu'on en dise, et quoiqu'on applaudisse en se joignant à cette humanité s'épanouissant en gestes symboliques conjurateurs. Passablement vains. Dont le pouvoir, gestionnaire misérable, aura eu tout loisir de mesurer l'innocuité."


"Que se sera-t-il passé? C'est la question qu'on se sera posée, sans doute obscène pour les témoins directs de drames, mais non moins insistante pour celles et ceux qui n'en auront rien vu. Rien que les protocoles sanitaires organisés dans tous les lieux de la socialité qui sont aussi les lieux d'un début de possibilité politique, intégralement annulée. Rien que cette désespérance de contemporanéité pour celles et ceux qui ne se seront trouvés ensemble qu'à défaut. Par mégarde. Dans un rapport d'incompréhension sans recours avec les populations touchées. Rentrés chez eux comme s'il fallait n'avoir jamais un jour passé sa porte, atterrés scrupuleusement dans l'attente de rien, veillant sur l'invisible, étrangers au dehors proche ou lointain."


"Que se sera-t-il passé, hormis d'abord la sourde épreuve du sentiment d'une énième impuissance? Le sentiment non pas de n'être que ça, pas mieux qu'à côté des choses et des faits. Cette présence à demeure , inquiète, aux aguets, sur le qui-vive, au demeurant exemplaire en son inanité. Que se sera-t-il passé sinon la persistance ou la perpétuation d'abord du sentiment d'une impuissance à ne pas l'éprouver une énième fois, comme une infirmité,  de se savoir à nouveau bon qu'à ça? Bon qu'à rien dans cette histoire. Bon à n'être que bon à rien devant sa fenêtre ouverte sur un monde impénétrable, aux confins immédiats."


"On aura vu revenir à l'occasion de cette quarantaine en forme de disgrâce certains réflexes qu'on avait naïvement crus ceux d'une sombre époque, et qui ne l'étaient que parce que cette époque avait permis à des fâcheux, des criminels de cave et de judas, de donner libre cours à leur désir policier. Pour cette fois: sentiers notoirement obstrués, chiens laissé libres à l'approche des promeneurs, marcheurs de loin morigénés. Ailleurs, ragots et tentations délatrices. On les aura vus revenir sans coup férir, et surtout vite, étonnamment vite, dans la presque immédiateté des dispositions entérinées par le pouvoir. Comme si ce pouvoir les possédait tous, tous les pouvoirs, possédant par-dessus tout celui d'acclimater bon nombre d'esprits au pire de ce que l'autorité peut exiger pour son seul bénéfice. Et pour le malheur même de ses complices sournois dès lors objectivant la tentation de mort dont le fascisme est d'abord l'expression.

Tout cela dans une société saturée de police, obscurcie déjà, qu'attend la nuit vraiment sécuritaire, autoritaire en tout, aveugle à tout savoir, qu'appelleront de leurs voeux des populations traversées d'effrois. Parce qu'une histoire politique les y aura amenés. Parce que l'humanité aura d'abord appris à se jalouser à tout propos, puis s'alarmer de tout et n'importe quoi, puis se détester dans la suspicion générale. Parce qu'on ne s'en remet pas à ce point à la police sans verser dans la surenchère sécuritaire. Parce que l'enseignement par les informations aura d'abord instruit sur la nécessité des convoitises et de la suspicion. Jusqu'à la nausée ces derniers mois. Faisant de la servilité la raison d'être et de prospérer de l'individu en régime néolibéral."


"L'impression vient, en s'informant sur internet de ce qui se déroule ailleurs, sur d'autres écrans, de voir un certain journalisme, et le pouvoir qu'il sert, jouer aux apprentis sorciers. Le tapis rouge est déroulé sous les pas d'authentiques fascistes dont l'histoire nous a appris quel usage ils savent faire de la publicité que des écervelés ou des flatteurs intéressés leur font. L'impression domine aussi, par la même occasion, par le même mouvement, d'un pays brisé que rien ne peut plus maintenant réconcilier. Et que se pose aujourd'hui la question de savoir ce qu'il en est des possibilités de vivre ensemble, et de se supporter."


"Le monde d'après. On aura vu surgir tout à trac cette formule avec la consternation qui vient à voir des gens écouter, retenir, répéter les boniments du management. On ne sait plus à la fin si les naifs qui l'auront reprise à l'envi auront pu croire un seul instant qu'elle allait revêtir un sens quelconque et se montrer persuasive en diable à l'égard de gouvernants, par ailleurs pressés d'en subvertir le semblant de portée. Car au sortir du confinement, tout se passe comme si le confinement devait durer. Différemment, sans doute, mais dans une même disposition à l'isolement. Tout se passe comme si la crise allait ne pas trouver d'issue qui ne soit lui, l'enfermement comme un impératif déjà, comme un désir bientôt. Rien qui n'en soit le prolongement sous l'aspect terminal d'une condition  mise à la préservation de soi dans le malaise général. On n'en sortira pas, pas complètement du moins, pas suffisamment pour ne pas se sentir repris par la réalité de cet atterrement-là. C'en est la leçon politique. Quelque chose se referme. On ne croit plus. Quand bien même on n'aura pas pensé pouvoir aller jusqu'à, d'emblée, ne pas désespérer. Ne pas désespérer de croire." 

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