Le mot lyrisme vient de lyre.
La lyre dont la fable attribue l'invention à Orphée est encore de nos jours,
malgré l'invasion du jazz-band, l'emblème commun de la poésie et de la musique,
ces deux sœurs qui vont si rarement de pair. La poésie fléchit quand elle est
accompagnée de la musique, et la musique quand elle veut régler son vol sur
celui de la poésie. La lyre symbolique élevée par un génie vers le ciel, domine
le faîte de notre Opéra. Les poétesses sentimentales qui se recrutent encore
sous les charmilles des jardins ou des parcs en province se montrent à nous,
les doigts sur leur lyre et les yeux tournés vers leur Muse. Avec cet
indispensable instrument, et sous l'aile de cette inspiratrice, souvent rebelle
et parfois bossue, elles sont de la phalange. La lyre n'en est pas moins
démodée, de même que sa variante : le luth. Le lyrisme reste le plus noble et
le plus beau record de l'inspiration. Il est rare, car il est difficile. Une
foule, accourue de toutes parts sur le passage d'un héros, attend son grand
homme qui tarde à se montrer. Elle frémit, elle acclame et l'acclamation ne lui
suffisant plus, elle chante. Un avion roule sur le terrain de l'aéroport, la
vitesse de sa course, la puissance vibrante de son moteur font qu'il s'enlève.
A cet instant précis où le sol est quitté, où le terre-à-terre finit, où
l'attraction du normal est vaincue, le lyrisme commence. Son essor assure un
libre champ à ses ébats. Factice, le lyrisme est odieux. Qu'il soit ivre de sa
liberté, mais fou et titubant dans les airs, il est ivrogne, et combien de
fois, incapable d'un vol soutenu, il tombe en vrille et s'écrase sur le terrain
plat. Boileau a écrit ce vers didactique et qui ne casse rien : « Souvent un
beau désordre est un effet de l'art ». Retenons de ce précepte indirect que le
poète, même lyrique, ne doit pas perdre le contrôle de son altimètre, ni jouer
imprudemment avec son gouvernail de profondeur. Le mot lyrisme n'a pas
exactement le même sens dans la musique et dans la poésie. L'œuvre musicale est
dite lyrique quand elle est descriptive de sentiments qui agitent l'âme, et ne
se modèle pas sur le thème d'une action. Ainsi l'hymne, la cantate.
L'expression : théâtre lyrique, plus éloignée encore de la source dont elle
dérive, désigne un théâtre qui joue des pièces revêtues de musique. La prose
même a son lyrisme : témoin Chateaubriand. Ce lyrisme tient à l'enthousiasme de
l'auteur quand son style bout, ou lorsque, sur la surface d'une eau tranquille
il porte comme un fleuve des idées généreuses ou des idées générales ; il n'est
pas un cours d'eau de plaisance ; j'oserai dire qu'il irrigue avec une véhémence
tranquille et sûre d'elle-même le domaine qui est le patrimoine de l'humanité.
Le diminutif de ce lyrisme est l'éloquence : son écueil est l'emphase. Emile
Zola atteint au lyrisme quand il décrit dans Germinal l'émeute de la grève et
le déchaînement des travailleurs courroucés. Séparant les poètes des musiciens,
nous placerons ici, dans des médaillons trop étroits, les bustes des poètes
lyriques les plus justement célèbres. TYRTÉE. Il était né en Grèce, dans la
petite ville d'Aphide, au VIIème siècle avant notre ère. Les Lacédémoniens, en
guerre pour la seconde fois avec les Messéniens, avaient interrogé l’oracle
pour le succès de leurs armes. « Demandez un général aux Athéniens », répondit
le Dieu. Athènes, par dérision, offrit à Lacédémone Tyrtée. Mais les oracles
sont infaillibles, pourvu qu'on interprète avec astuce leur sens caché ou qu'on
s'en remette aveuglément à leur sagesse qui prend le masque de la folie. Ce
boiteux, cet homme de petite taille, disgracié et contrefait - il louchait par
surcroît - fut un Esope d'une autre trempe. Il enflamma les combattants par ses
harangues ; il les éleva au-dessus d'eux-mêmes par ses chants. Il arracha du
ciel la Victoire. Il fallut Epaminondas, il fallut les batailles sanglantes de
Leuctres et de Mantinée pour briser le joug de l'hégémonie spartiate. Tyrtée
n'est pas mort tout entier, il reste de lui quelques fragments que les
hellénistes ont recueillis. Horace le cite et le place aux côtés d'Homère. Le
nom de Tyrtée est resté populaire, il est classique. Il est tant d'auteurs
célèbres dont la gloire est d'autant plus solide qu'on ne les lit plus!
PINDARE. Pindare, né à Cynocéphales en 521 av. J.-C., domine toute la série des
poètes lyriques. Le XVIIème siècle était à genoux devant lui. Pourtant, nous ne
pouvons lire de son œuvre que le recueil le plus spécial, celui qui s'intitule
: Epinicia. Les Epinicia sont des Odes qui célèbrent les athlètes vainqueurs
dans les Jeux. L'antiquité classique fut sportive, comme nous dirions
aujourd'hui. C'est presque un miracle de la justice immanente que le poète soit
illustre, et que la renommée triomphale des champions victorieux se soit fanée
comme se sont desséchés leurs lauriers. Toute l'histoire atteste le sublime
génie de Pindare, la beauté de ses évocations, l'audace heureuse de ses
fictions et de ses images, la richesse, la pompe même et l'ordonnance de la
composition et de son décor. HORACE. Horace a le privilège d'attirer à lui tous
ceux qui sont versés dans les lettres latines et tous ceux qui, pour aimer les
charmes de la grâce, pour se plaire à l’étincellement de l'esprit, ne se
croient pas obligés de savoir le latin. Mais pour ceux qui peuvent aborder dans
son texte une œuvre immortelle et délicieuse, pour ceux qui pénètrent
facilement le mécanisme agencé de ces vers dont chaque mot est le mot juste
avec sa nuance exacte, d'un coloris inimitable, quelle joie ajoutée à
l’agrément de la lecture! Horace ne s'attarde pas : pour employer une
expression de Victor Hugo, sa flèche jouterait avec l'éclair. Sa malice sourit,
sa philosophie s'illumine, sa rhétorique s'affine et son élégance patricienne
s'affirme sous la plénitude du bon sens et sous le couvert d'une santé morale,
toute romaine. Qu'il regimbe devant Mécène, qu'il défende son indépendance,
qu'il revendique son droit de descendre vers la mer si les champs albins se
poudrent de neige, qu'il flâne sur ce boulevard de son temps qu'était la voie
sacrée, qu'il se laisse faire la leçon par son pendard de valet, je veux dire
par son esclave, il se révèle à nous comme le plus brillant et le plus aimable
des parisiens avant la lettre, Ses odes sont sages, mais étincelantes, non pas
à jet continu, mais par de soudaines émissions radieuses, elles sont
grandioses, souvent, quoiqu’elles semblent faites avec rien d'une main
négligente. Elles empruntent leur grandeur à la majesté des traditions de Rome,
à sa légende sacrée, à son histoire primitive, à la mythologie qui entoure ses
dieux. Elles commémorent et surtout quand il s'agit de Mécène, dont les
ancêtres étaient des rois, elles répondent au désir ou à la nécessité d'une
délicate flatterie. La Fontaine qui s'était teinté d'Horace, mais dont le naturel
avait survécu à ce traitement pédagogique, avait cependant retenu la manière de
tourner la fable en allégorie et d'honorer l'Olympe pour exalter les grands. A
l'Horace des Odes, la postérité préfère, à juste titre, l'Horace des Epîtres et
des Satires. Le Romantisme est né des audaces de la Révolution et des
platitudes de la Restauration. La grande rénovation mondiale a suscité, tant en
Allemagne qu'en France, les plus grands poètes modernes, et à la fois ou
presque ensemble dans un espace de cent ans. S'il est difficile de considérer
Goethe et Schiller comme des poètes lyriques, à proprement parler, on ne peut
traiter du lyrisme sans s'incliner devant Faust, et des poèmes qui ne sont pas
des odes : le Chant de la Cloche, par exemple, sont des œuvres lyriques de
grande beauté. VICTOR HUGO est-il un poète lyrique? Par les odes des Odes et
Ballades, il réclame ce titre, mais on peut dire que son lyrisme est ailleurs
ou, pour parler plus exactement, qu'en lui il est partout. Lorsque l'auteur des
Contemplations et des Feuilles d'Automne célèbre les premiers jours du monde :
« Des avalanches d'or s'écroulaient dans l'azur ». Lorsqu'il s'adresse à son
cœur : « Que t'importe, mon cœur, ces naissances des rois?... » Lorsqu'il nous
montre les cloches et les canons éclatants à la fois en volées et « la nuit,
dans le ciel des villes en éveil » fait monter les gerbes étoilées, quel poète
lyrique a porté plus haut le lyrisme? N'a-t-il pas, dans les Orientales, fait
s'écrouler devant nos yeux les cités impures si voluptueusement étendues dans
leur mollesse avant que ne passât la nuée aux flancs noirs : « Et le vent,
soupirant sous le frais sycomore, Allait, tout parfumé, de Sodome à Gomorrhe ».
La gloire de Victor Hugo ne saurait s'obscurcir, et pour comprendre lagrandeur
du monde de poésie qu'il a créée, il faut se rappeler ce qu'était la poésie
avant lui. Elle en était à Delille, à ses exploits de virtuosité sur les cordes
d'un violon ronronnant et phtisique, à la traduction des Géorgiques au poème
des Jardins. Elle en était aux poètes académiciens que Rostand a raillés dans
Cyrano. Il est évident toutefois que cette gloire du « Maître » du « Dire », n'ensoleille
plus notre siècle comme le sien. Le nom d'Hugo resplendit au firmament, mais
son œuvre semble se détacher de son nom et glisser dans la constellation des
vieilles lunes. Ce qui la démode comme l'intérieur d'un palais ancien, cette
œuvre, c'est son ameublement : ces draperies opulentes aux fenêtres
monumentales, ces ors sur les colonnes, ces peintures dans les caissons qui
plafonnent les moindres pièces, tandis que, dans leurs âtres, brûlent, jetant
des flammes vives, les arbres entiers fournis par la forêt profonde. Nous avons
le goût des appartements clairs, un peu nus, sans ornements, des meubles en
bois précieux mais terminés par des arêtes vives, des vitres claires et sans
rideaux à long plis. La Muse d'Hugo (ancien style) a pour cheveux tous les
rayons de l'aurore du jour et du crépuscule. Depuis Sarah, « belle d'indolence
» la chevelure des femmes et même celle des Fiérides s'est raccourcie. Il n'en
est pas moins vrai que, passent les soleils et meurent les étoiles, Hugo
demeure : « Entre les plus beaux noms son nom est le plus beau ». HENRI-AUGUSTE
BARBIER. Que la plus large place lui soit donnée parmi les poètes inspirés !
L'indignation a fait son vers, la Liberté l'a pris dans ses bras, une liberté
qui n'était pas une duchesse du noble faubourg Saint-Germain, mais une
prolétaire aux fortes mamelles : le jour où le soleil chauffait les grandes
dalles, il a chanté la grande populace et la sainte canaille. Il les a vues «
se ruer à l'immortalité ». Il exhale en imprécations, fougueuses et en cris de
triomphe cette pitié, cette tendresse humaine, ces « pensers nouveaux »
qu'ANDRÉ CHÉNIER a répandus en vers antiques d'une admirable douceur et d'une
adorable pureté. Mais Chénier, de par ses Elégies et ses Idylles n'est pas un
lyrique. Est-il bien certain cependant qu'à ce point spontané et jaillissant
sous les coups du malheur, le sentiment n'atteigne pas aux sphères
extra-terrestres du lyrisme? LAMARTINE. Le cygne de Mantoue, c'est Virgile. Je
ne sais quel mauvais épigraphiste affubla de ce surnom le poète magnifique
salué par ses contemporains d'un autre nom : les délices du peuple.
L'épigraphiste bel esprit aurait pu appeler Lamartine le Cygne du Lac, car le
Lac de Lamartine et la Tristesse d'Olympia, le poème d'Hugo, sont deux sommets
dans la chaîne ininterrompue et sans fin de la production poétique, depuis
qu'il y a des hommes et qui souffrent, et qui chantent nos douleurs. L'amour
est la floraison de ces montagnes altières, une floraison si vite recouverte
par des neiges éternelles. On ne dira pas la défroque de Lamartine comme on a
dit la défroque d'Hugo ; Lamartine est plus proche de
l'Harmonie sans fioritures, et ses Méditations,
plus que les Contemplations s'agenouillent, sans coussin de velours, sur le
prie-dieu devant la fragilité de l'homme et l'infini de l'Univers. Lamartine
est un cygne, mais qui de ses ailes puissantes et cadencées, loin de s'attarder
aux barcarolles, franchit des espaces d'azur, à travers les mélodies éoliennes.
Le lyrisme, comme les grandes pensées, ne doit pas venir du cerveau mais du
cœur. –
Paul MOREL
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