(du mot anglais Lynch)
Ce que l'on nomme aux
Etats-Unis « la loi de Lynch », d'où le terme français « lynchage », est une
forme de justice sommaire et primitive, non reconnue par la législation
officielle, mais qui est demeurée jusqu'à présent dans les mœurs populaires de
la grande république américaine. La foule saisit le coupable - ou présumé tel -
le juge, le condamne, et l'exécute séance tenante, ordinairement par pendaison,
à moins qu'elle ne le fasse brûler vif, lorsqu'il s'agit d'hommes de couleur
accusés de meurtre, ou de cet attentat particulièrement grave qu'est le viol
d'une femme blanche. Voici quelques exemples de lynchage tels qu'ils ont été
rapportés dans la presse : Le 1er décembre 1927, une centaine d'automobiles,
bondées d'hommes armés, s'arrêtent devant la prison de Whitesburg, dans le
Kentucky, où se trouvait incarcéré le noir Léonard Woods, accusé d'avoir
assassiné un blanc. Les portes de la prison sont enfoncées ; le noir, tiré de
son cachot, est ligoté et traîné sur la place publique. Là, il est arrosé de
pétrole et transformé en torche vivante, devant une foule énorme « qui couvrait
de ses vivats les hurlements du supplicié ». Le 30 juillet 1928, à Brookhaven,
dans l'Etat de Mississipi, la foule se rue à l'intérieur de la prison, dans
laquelle se trouvaient deux nègres, deux frères, qui avaient blessé à coups de
revolver un créancier blanc. L'un d'eux est attaché par le cou derrière une
automobile, et traîné jusque dans la banlieue, où il est pendu à un arbre,
tandis que son frère était pendu à un ponceau des environs. Le 2 janvier 1929,
à Clarksdale, dans l'Etat de Mississipi également, un nègre nommé Shepherd,
ayant enlevé une jeune fille blanche, sous menace de mort, après avoir tué
d'une balle le père de cette jeune fille, qui tentait de la défendre, la foule
s'empare du meurtrier, le lie à un poteau, au sommet d'un énorme bûcher, et
s'exerce, tout d'abord, à tirer sur lui, en prenant grand soin de ne pas le
tuer. Puis il est arrosé de pétrole, et le feu est mis au bûcher, mais de telle
manière que la mort ne vînt qu'avec lenteur. Deux mille personnes assistaient à
ce spectacle. Les Etats-Unis se sont fait, de nos jours, une triste spécialité
de ce genre d'exécutions, perpétrées avec des raffinements de révoltante
cruauté, et la complicité, ou presque, des forces de police. Mais les scènes de
violence, dans des conditions analogues, sont de tous les temps et de tous les
pays. En France même où, à l'ordinaire, les mœurs sont relativement douces, il
est des circonstances où la foule exaspérée lynche, ou tente de lyncher des
coupables, alors même qu'ils sont déjà entre les mains de l’autorité
judiciaire. Le 16 novembre 1927, l'égorgeuse de Saint-Thégonnec, Marie-Jeanne
Pouliguen, transférée à Brest sous escorte de gendarmerie, fut, dans toutes les
gares, l'objet de manifestations hostiles, auxquelles ses gardiens eurent
beaucoup de peine à la soustraire. A Landerneau, notamment, la foule essaya de
s'emparer d'elle pour la lancer, vivante, dans le foyer de la locomotive! Le 9
juin 1929, à Paris, un soldat déserteur nommé Imbard, étant entré, en plein
jour, dans un café de la rue Cadet, pour obliger, sous la menace du revolver,
le propriétaire de l'établissement à lui remettre le contenu de son
tiroir-caisse, la foule mit en lamentable état ce malheureux, qui n'avait même
pas osé faire usage de son arme, et elle l'aurait probablement tué sans
l'arrivée des agents. Ces faits ne sont malheureusement pas très rares, surtout
dans les périodes de surexcitation publique et de fièvre. Au début de la guerre
furent commis, un peu partout, à l'égard des étrangers et des suspects, des
actes immondes, et cela de la part d'individus appartenant à toutes les classes
de la société. Ces quelques exemples suffisent à montrer que l'autorité, dans
ce qu'elle présente d'injuste et de barbare, n'est pas seulement en fonction de
l'existence du policier, du juge et du bourreau. Avec leur suppression peut
coïncider la, mort d'une certaine forme d'autorité jusque là consacrée. Mais,
si subsistent entre les hommes des motifs de compétition, elle persiste sous
l'influence déterminante des événements, quoique dans des conditions qui
peuvent être différentes de celles du passé. Pour ne point se présenter avec
l'appareil classique de Thémis, la tyrannie n'en conserve pas moins force et
vigueur là où se substitue à un pouvoir judiciaire défaillant le régime de
l'arbitraire individuel et de la violence anonyme. Aux excès qui résultent de
ceux-ci, il est un remède : l'éducation. On devrait enseigner, principalement à
l'enfance, en y insistant, qu'il ne faut jamais se hâter de porter sur autrui
des jugements téméraires et que, s'il est légitime de se défendre, il est
honteux, par contre, d'infliger à l’ennemi vaincu d'inutiles souffrances. –
Jean MARESTAN
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