vendredi 4 juin 2021

LUCIDITE (PATHOLOGIE) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 C'est en psychiatrie que le problème de la lucidité trouve sa place. Il est sous la plume du neuropsychiatre à tout instant, car la pathologie a délimité des états où l'aliénation mentale n’est pas incompatible avec la lucidité. La contradiction n'est qu'apparente si l'on conçoit que l'unité de l'âme n'est qu'une billevesée de scolastique et qu'il en est des multiples fonctions de la personnalité, ce qu'il en est d'autres fonctions complexes. Le cerveau est pour l'observateur moniste sur le même plan que le foie ou les reins. On peut donc concevoir l'automatisme de certains centres nerveux tels que d'autres centres, préposés au contrôle, y assistent, de façon lucide, mais impuissants. Tous les aliénistes connaissent des fous lucides qui apparaissent comme psychiquement dédoublés. Prenons pour exemple le kleptomane qu'il ne faut pas confondre avec le voleur. Cet obsédé qu'un appétit formidable entraine vers la possession urgente et immédiate d'un objet qui n'est pas son bien propre, a la parfaite notion qu'il n'a point le droit de prendre, que son appétit est parfaitement déplacé, qu'en prenant, il va risquer sa réputation, et encourir des sanctions légales. Il le sait, il le déplore, il veut et ne veut pas simultanément. La lutte qui s'engage en lui témoigne de sa lucidité. Il cherche à apaiser une impulsion qu'il sait immotivée, car l'appétit qui l'étreint ne rime à aucun besoin réel. Et pourtant il sent qu'il va succomber. Il succombe et aussitôt, malgré le regret qui le hante, il éprouve une satisfaction organique qui n'a aucun rapport logique avec la possession d'un objet sans intérêt. Au lieu du kleptomane prenons le dipsomane qu’il ne faut pas confondre avec le buveur. Ce dipsomane est pris d'une soif morbide qui le pousse à absorber des boissons qu'il sait dangereuses et dont au fond il ne veut point. Il jouit d’une parfaite lucidité, se gourmande, supplie même qu'on lui lie les mains. Et pourtant il succombe et il succombera de nouveau tant que durera l’accès. En pathologie mentale, lucidité ne marche pas de pair forcément avec conscience. On peut être conscient d'un état sans porter sur cet état un jugement conforme à la vérité. Voici un aliéné qui s'expose avec tout le comportement d'un potentat ou d'un grand de la terre. Il a une conscience tellement nette de son cas qu'il en discute avec une puissance curieuse de raisonnement. Il accumulera toutes les raisons, bonnes et surtout mauvaises, de vous convaincre qu'il est milliardaire quand il n'a pas un sou ; il étalera sa puissance à l'aide de mille signes extérieurs. Il est conscient mais il n'est pas lucide, car il se trompe et vous seul le savez. Sur le terrain de la psychologie normale les deux vocables conscience et lucidité sont du reste en parfaite concurrence. Car personne n'est en possession de la vérité qui est toujours relative, et le signe de la certitude est toujours introuvable. Il y a chance seulement d'effleurer un peu plus de vérité, si l'on se soumet à la discipline très dure qui consiste à objectiver ses jugements. Le malheur est que la plupart des hommes qui tout naturellement naissent subjectifs, restent fidèles à la méthode subjective et s'en rapportent à eux comme étalons de vérité. C'est burlesque et cette façon de raisonner entraine chaque jour les plus étranges conflits. Pour être lucide, ou tout au moins, pour être sur la voie d'un peu plus de lucidité, il faut rechercher une commune mesure si conventionnelle qu'elle puisse être un type étalon, auquel on rapporte ses jugements Où sont les critères, où est la collection de critères qui permettront à l'homme de se rapprocher de l'absolu? Il y a encore du travail pour les psychologues. –

Dr LEGRAIN

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